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Critiques de Jón Kalman Stefánsson (1109)
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Ton absence n'est que ténèbres

« Même en plein soleil nous abritons en nous des vallées de ténèbres. Est-ce le prix à payer pour être humain ? Peut-être ».



Avec « Ton absence n'est que ténèbres », Jon Kalman Stefansson signe un dernier opus singulier et intime dans lequel la tendresse et l'amour du monde le dispute à la dureté et l'inéluctabilité de la mort.



Il prend pour point de départ un homme dans une église au fin fond d'un fjord de l'ouest de l'Islande, qui ne se souvient de rien, qui ne sait plus qui il est, ni pourquoi il se trouve là. Nous sommes à l'été 2020. L'ensemble de sa vie et de ses souvenirs semble avoir été effacé de manière radicale. Mais pas l'amour comme il le sentira peu à peu. Celui-ci va rencontrer des gens, et en l'occurrence deux soeurs, qui semblent le reconnaitre, leurs confessions, leurs discussions vont lui permettre d'apprendre, ou plutôt de réapprendre, la vie des habitants, leurs histoires respectives, la mort qui les a frappés, de reconstituer le puzzle sociétale et historique de ce coin du monde alors que ses pièces de mémoire ont disparu. Une part belle est faite à la vie islandaise, rude et simple, dans le fjord, loin de la capitale Reykjavík. L'homme, qui n'a pas avoué à ses interlocuteurs son amnésie, est dans une telle qualité d'écoute que chaque personne rencontrée va au bout de ses confessions, en toute honnêteté, chacune d'elle ose s'aventurer parmi les ombres, « elle semblait même apprécier de plonger dans les ténèbres. Il n'y avait entre ses mots aucun blanc, aucune hésitation, ses phrases étaient tels de longs trains qui s'avançaient sur les voies, les wagons solidement accrochés les uns aux autres, entrainés par une force titanesque et inébranlable ». Et nous avons l'impression d'être dans ce train.



Le narrateur s'adresse parfois aux défunts et la mort vient alors faucher le texte même, nous laissant pantois. « Tout le monde finit par mourir, les lombrics comme les êtres humains. Etant défunt tu as parcouru plus de chemin. Elle sort. Comment s'y prend-ton pour laisser derrière soi les ténèbres ? Elle sort, et la mort les a tous fauchés ».



L'amour est tout aussi curieusement convoqué, si étrangement ressenti, tout au fond de soi, dans les tripes, malgré l'amnésie le corps vibre et ressent instinctivement :

« Je regarde Soley, commettant là une grave erreur, puisqu'elle a ces maudits yeux, ces cheveux d'ange et cette lèvre supérieure qui repose sur sa soeur comme en un baiser. Sauf qu'elle n'y repose pas en ce moment parce que Soley sourit. J'ai l'impression de sentir un organe dégringoler dans ma poitrine. Espérons que c'est le coeur. J'espère qu'il va sombrer avec armes et bagages, qu'il se mêlera à mes excréments et qu'il s'évacuera la prochaine fois que j'irai à la selle. Enfin débarrassé je me sentirai plus léger. C'est plus simple de vivre sans cet organe. Si ce n'est qu'il ne tombe pas si bas que ça, il atterrit dans mon estomac où il se débat comme un oiseau aveugle et désemparé parmi les galettes au seigle, baignant dans le vin rouge et la bière ».



Notre narrateur écrit sur des feuilles volantes toutes les histoires qu'il entend, tout ce qu'il glane au fur et à mesure de ses rencontres, afin de sortir sa mémoire des ténèbres, conscient aussi que nous ne voyons et ne comprenons bien souvent les événements de nos vies qu'une fois qu'ils sont entièrement révolus, lorsque leur enchainement est arrivé à son terme. Faire la lumière. Sur les vivants et surtout sur les absents. Les sortir des ténèbres. Écrire pour arrêter la course du temps et démêler le fil d'une saga familiale commencée cent vingt ans plus tôt lorsqu'une femme a osé écrire un article sur les lombrics.



Le livre regorge de maximes des plus classiques, des plus philosophiques aux plus poétiques, telles des bouées qui surgissent en un plop étincelant dans le chaos de la découverte du monde qui l'entoure. Des bouées pour ne pas chavirer. Des petits cailloux qui ponctuent le texte pour retrouver le chemin de la mémoire. Autres petits cailloux semés, des chanteurs tels Dylan, Nick Cave, ou des auteurs comme Zola, Hölderlin, Dante, Homère, Kierkegaard, nous éclairent de leur lumière dans ce texte dense et touffu.



Ce livre exigeant se déguste, telle une tasse de café, breuvage qui aide les gens à survivre dans ce paysage âpre et rude, toujours très présent dans les livres de Jon Kalman Stefansson et qui se trouve une nouvelle fois honoré dans ce livre. Il se lit parfois à voix haute. Il faut prendre son temps pour cette plongée totale en terres islandaises et en réflexions existentielles. Stefansson a une manière de raconter singulière, complètement atypique, entre le conte écrit et la transmission orale, nous livrant l'histoire d'une saga familiale islandaise de façon surprenante, en nous perdant parfois tant du fait des détails, des longueurs que des prénoms islandais que je finissais par mélanger, mais en nous remettant sur le chemin toujours, c'est un récit où passé et présent sont mêlés, où les morts sont parmi les vivants. « Évidemment que ce fjord est hanté parce que nous avons toujours été si peu nombreux à vivre ici que nous sommes réticents à laisser les défunts le quitter». C'est un livre qui fait émerger de nombreuses questions sans apporter nécessairement de réponses, car Jon Kalman Stefansson nous le dit tout au long du livre, parfois les questions sont la vie et les réponses la mort.



Laissez-vous envelopper par ces phrases magnifiques, bercer par ces histoires incroyables, éblouir par ce paysage de contes vikings, ce livre ambitieux, original, lumineux a le don d'interrompre le court du temps. Un livre qui nous conduit des profondeurs de l'humus avec les lombrics jusque dans les ténèbres entre les étoiles où l'homme découvre la clé des grands secrets. Ascenseur émotionnel qui souvent nous fait sourire.



« Un sourire embellit la plupart des gens. Il illumine leur visage. Un sourire est une épice, un onguent, une joie, une porte qui s'ouvre ».

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Ton absence n'est que ténèbres

Cher Monsieur Stefansson,



Je sais, c'est idiot, je ne devrais pas commencer comme ça, pas dire ces mots-là, me centrer sur votre livre, et c'est ce que je ferais sans doute dans un instant.



Mais permettez-moi juste un aveu, Monsieur Stefansson, la lecture de votre roman m'a peut-être coûtée mon couple. Ou bien comment doit-on dire lorsque la personne avec qui vous vivez vous laisse pantoise, seule, avec votre livre entre les mains ?



Je n'aurais pas dû. Pas dû me relever la nuit pour poursuivre cette lecture. Pas dû continuer toute la journée sans voir passer les heures, alors qu'il était temps de « profiter des vacances », de préparer le repas, de vaquer à toutes les occupations que vous proposent gentiment les villes qui vous accueillent. Je suis désolée, je n'aurais pas dû.



Pas plus que je ne devrais m'appesantir sur ces quelques phrases, que je devrais me précipiter pour parler des histoires de ces femmes et de ces hommes au nom imprononçable, vivant à l'autre bout de notre planète, alors que je suis là, bêtement, votre livre à la main, et seule alors que la porte vient de claquer.



C'était peut-être le livre de trop.



Ou bien, comme me le suggérait la personne avec qui j'étais censée partager mon quotidien, peut-être que oui « les femmes qui lisent sont dangereuses », effectivement, comme cela m'a été dit ce matin.



Passe encore qu'il faille me déposer régulièrement à la bibliothèque pour faire le plein, passe encore que je doive passer du temps sur les écrans pour partager mes coups de coeur, il fallait encore que je tombe sur vous, Monsieur Stefansson, et que je ne puisse rien faire d'autre que de vous lire jusqu'au bout.



Il faudrait donc que je parle ici de Peter le pasteur et de Gudridur, de Haraldur et Aldis, d'Hafrun et Skuli, de Soley, d'Asi et Mundi, de Svana, de Kari, d'Odi, de Margret qui apparaît en songe à Runa, ou d'Eirikur le guitariste, de Pall, d'Halldor et de Skuli, il faudrait que je parle d'un diable qui surgit à tout moment, interrompant un récit qu'on voudrait tellement entendre se poursuivre, mais je suis désolée, Monsieur Stefansson, mais je vais avoir du mal à parler de votre « Ton absence n'est que ténèbres » d'une seule traite.



Car voyez-vous, à cause de vous, je suis bien embêtée. Il va falloir sans doute qu'à cause de vous je me décide à faire mon portrait sur l'un de ces sites miraculeux promoteurs de relation amoureuse, et comment vais-je faire pour apparaître sous mon meilleur jour ? Et si, miraculeusement, j'en venais à avoir un premier rendez-vous, que dirais-je à la personne face à moi pour justifier d'être seule dans une société où tout doit s'expliquer ?

Je ne pourrais jamais dire que c'est à cause d'un livre – personne ne me croirait.

Je ne saurais même pas par quel bout commencer pour dire de quoi parle le livre d'ailleurs, et je m'emberlificoterai les pinceaux comme je le fais à cet instant, toute en digression, au lieu de dire tout le bien que je devrais de votre récit.



Mais voilà, c'est plus fort que moi. J'ai dû attraper votre virus.

Notez d'ailleurs que je vais vous faire un aveu – encore un, me ferez-vous remarquer.



Je vous ai déjà vu. Vu pour de bon. Oh, certes, pas en tête-à-tête, ne rêvons pas trop, mais entendu dans une grande salle parler de l'un de vos précédents livres que j'avais lu religieusement. Je me souviens surtout de votre démarche. de la façon dont vous avez glissé le long des rangs où je me trouvais pour vous approcher de l'estrade. Oui je sais : c'est idiot mais je me souviens surtout de votre démarche pour aller jusqu'à l'estrade.

Je ne devrais pas le dire, ni pas plus l'écrire. Ou bien, rêvons encore une minute : et si cette minuscule chronique, pouvait vous atteindre – non, je ne pense pas que Babelio soit connu en Islande, c'est trop loin, lorsque vous êtes venus jusqu'à moi pour que je vous écoute vous étiez à des milliers de kilomètres de chez vous.

De mon côté, l'Islande je n'y ai jamais mis les pieds, juste vu des reportages, ou plutôt si, je devrais vous avouer encore quelque chose – pardon, une dernière fois, je sais que j'abuse et je ne voudrais surtout pas vous lasser – j'ai le souvenir d'un rêve très lointain, que j'ai fait quand j'étais toute petite mais dont je me suis souvenue longtemps, rêve d'un paysage que beaucoup plus tard j'ai appris à nommer « fjord », et j'étais à bord d'un grand bateau, à l'avant, et je me laissais couler le long de la coque vers le fond de cette eau sans fin.



Je rêve donc. Non pas que cette 80ème chronique sur votre livre – tout a déjà été dit par les Babeliotes, bien plus loquaces que moi, sur la qualité de votre écriture – ne mérite qu'on s'y attarde, et comme vous ne connaissez pas Babelio, aucun risque que vous la lisiez un jour, à moins, que, une très infime probabilité, mettons une chance sur un million peut-être, un éditeur, à court d'idées, et qui tombe par hasard sur ces quelques mots, et veuillent les traduire en objet – je sais je suis en plein rêve, mais c'est à cause de votre livre – oh non pas un grand éditeur, pas une maison d'édition avec de grands auteurs comme ceux qu'on invite à la Grande Librairie ou dont on parle dans les grands journaux, non, une toute petite maison d'édition, qui ferait de ces quelques lignes un bel objet relié à la main, qui se vendrait un euro sur les marchés, de la littérature locale en quelque sorte, coincée entre les tomates et le saucisson. Et si ce petit objet pouvait voguer jusqu'au nord de notre Europe, telle une bouteille à la mer, et que quelqu'un le découvre ...

Je digresse, j'en conviens.



Il faut revenir à votre récit ou plutôt à vos récits, vous qui avez le talent du charmeur de serpent : vous nous appâtez, vous nous faîtes croire que l'amour peut survenir entre deux personnes que tout oppose – un pasteur et une paysanne illettrée par exemple – et il faudrait qu'on vous suive, et en plus vous vous arrêtez au meilleur moment.

C'est affreux.

Vous nous piégez, Monsieur Stefansson, et à cause de vous des couples se disputent et se déchirent alors qu'il y a tant à faire à l'extérieur.



J'imagine encore un truc – promis c'est le dernier, mais c'est de votre faute aussi, vous nous faîtes croire à l'improbable, et en plus vous nous mettez une musique de Tom Waits, Ella Fitzgerald ou David Bowie en fond sonore, et on ne peut que vous suivre, c'est très injuste ce que vous faîtes.



Alors j'imagine que je vous rencontre un jour pour de vrai, pas dans une conférence comme lorsque je vous ai entendu, mais en tête-à-tête, un truc totalement improbable encore, allez je dirais une chance sur un milliard cette fois-ci, mais voilà vous nous avez fait croire que rien n'était impossible dans votre récit, alors j'extrapole.



Mais que vous dirais-je dans ce cas ? Je serais aussi muette qu'au premier rendez-vous avec un jeune cadre dynamique après avoir posté mon portrait sur un site de rencontre. Je me tiendrais là, les bras ballants, ou plutôt avec une tasse de thé dans la main, et déjà je pense que notre rencontre démarrerait très mal, parce que certainement vous aimez le café comme les litres que vous faîtes boire à vos personnages - celui du Pasteur notamment, servi par Gudridur qui n'en croit pas ses yeux – mais a-t-on idée de s'appeler avec des noms pareils ? – et moi je n'aime pas du tout le café : vous voyez ? ça ne collerait absolument pas entre nous, et je n'aurais rien à vous dire parce que tout est dit là et qu'il est grand temps de refermer cette chronique.



Bon, j'en termine donc, moi qui n'ai jamais l'habitude d'écrire si long - mes amis Babeliotes vous le confirmeront.



Vous m'avez écrit « Vous prenez une décision, un tel sombre dans le désespoir, un autre embrasse le bonheur, mais il y a toujours un tribut à payer. Vous ne prenez aucune décision et vous voilà paralysé ». Et je vous en remercie de m'avoir écrit ces simples mots.



Et vous avez terminé par « Et maintenant que je t'ai vue sourire, que va-t-il advenir de moi ? »



Je dirais juste, pour terminer, et encore pardon d'avoir été si longue

Et maintenant que j'ai fini « Ton absence n'est que ténèbres », que va-t-il advenir de moi ?

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Entre ciel et terre

Quand la frontière est mince entre la vie et la mort, et que parfois les mots peuvent sauver ou faire périr...



Dans ce pays à la rigueur infernale ; l’Islande ; mais aussi à la lumière qui laisse entrevoir l’espoir, «le gamin» cherche un sens à la vie. Il n’est pas fait pour être marin, il est fait pour la beauté des mots, la magie de la poésie. Il est envoûté par le pouvoir des vers, qui lui font découvrir un ailleurs, une possibilité, autre chose que le labeur et la douleur. La vie est rude pour le gamin. Son chemin le mènera vers un abri, un foyer, où d’autres comme lui connaissent les ténèbres de l’existence. Le gamin est hésitant, il se sent souvent idiot, maladroit. Et pourtant il recèle un trésor, une grande sensibilité que certains sauront découvrir en lui.



C’est une lecture magique qui nous parle de douleur et d’amitié, de lumière et de ténèbres, de gens qui oscillent entre la vie et la mort. Une très belle découverte.

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Entre ciel et terre

Cela commençait bien. Cela commençait même TRÈS bien : j'étais embarquée, je trouvais l'écriture à la fois plaisante et poétique ; les paysages, l'ambiance, tout me convenait. Et puis...



Et puis, peu à peu, j'ai eu le sentiment de m'enliser. Page après page, l'expérience devenait moins plaisante, des atermoiements, une impression vague d'être dans une barque, de ramer et de rester toujours à la même place, de ne m'approcher de rien.



Et puis, à la fin de la première moitié du roman, la disparition du personnage qui paraissait le plus intéressant, le plus prometteur est venue mettre un coup d'arrêt très net à mon plaisir. La suite devint ennui, puis effort et finalement, je me trouve très contente d'en finir, car aller plus loin m'eût été pénible.



C'est dommage, très dommage, car j'ai vraiment le sentiment que Jón Kalman Stefánsson avait les moyens de me faire vivre une très grande expérience littéraire et, tout bien considéré, une fois le livre achevé, mon impression confine plus à la déception qu'à l'extase.



Pourquoi ? En littérature, selon moi, il y a deux types de héros : l'archétype, c'est-à-dire un héros qui n'est pas forcément amené à changer, mais dont les manières et le type sont tellement bien trempés, bien campés, qu'ils en font un personnage très marquant. Don Quichotte en est un, Cyrano de Bergerac (le fictif) en est un autre ou bien encore le fameux Sherlock Holmes.



L'autre type de héros — selon moi le plus intéressant — est constitué par l'évolution qu'il subit en étant confronté aux événements. Il partait d'un état initial A, il subit x, y, z situations auxquelles il doit faire face, ce qui le modifie et le fait parvenir à un état final B. C'est cette transformation, ce passage de A à B qui intéresse le lecteur, en tout cas qui m'intéresse, moi. Elizabeth Bennet en est une, Candide ou Eugénie Grandet en sont d'autres, s'il faut donner des exemples.



Or, dans Entre ciel et terre, qu'en est-il ? le personnage à tendance archétypale était Bárđur : rude marin islandais et pourtant lettré et poète. C'était intéressant, on avait envie de savoir ce que LUI ferait devant telle ou telle alternative que la vie lui offrirait. Or, il meurt bêtement au beau milieu de l'ouvrage, sans qu'on ait bien eu le temps de couvrir, de parcourir l'ensemble de l'archétype qu'il représentait.



Qui nous reste-t-il ? le personnage du gamin. Lui semble plutôt être un personnage dont on prendra plaisir à mesurer les évolutions. On se dit qu'il est un peu comme un genre d'Adso auprès de l'archétype Guillaume de Baskerville. Et puis... et puis lui aussi se consume avant que d'avoir brillé. FLOUF ! Plus rien, c'est déjà fini.



À un moment, j'ai cru que son destin allait prendre un tour intéressant au contact de la troublante autant qu'énigmatique Geirƥrúđur, mais là encore, PFOUIT ! rien du tout, c'est déjà fini.



Donc premier problème, selon moi, le manque de héros véritable. Alors, se dit-on, l'intérêt résiderait dans le fait de dépeindre une assemblée, une ambiance, de nous plonger dans un monde révolu, celui des villages de pêcheurs islandais de la fin du XIXème siècle.



Mais là encore c'est bancal : un alignement de personnages, comme autant de coquilles vides, n'a jamais fait une atmosphère. Pour s'en faire une opinion à pareille époque, autant lire Pêcheur d'Islande de Pierre Loti. Afin d'argumenter ce point précis, je m'en vais convoquer une citation d'Edith Wharton dans son ouvrage, Les Règles de la fiction :



« On produit un effet bien plus profond en se livrant à l'étude pénétrante de quelques personnages, au lieu de multiplier les silhouettes vaguement dessinées. Ni le romancier ni le dramaturge ne devrait s'aventurer à créer un personnage sans le suivre jusqu'au bout de l'action, et sans être sûr que cette dernière serait appauvrie par son absence. Les personnages dont la fonction n'a pas été précisément définie à l'avance risquent de devenir aussi déplacés que des intrus. »



Enfin, ce qui fut pire encore, pour moi, à la lecture, ce sont les moments où l'auteur plaque des réflexions ou des manières de penser contemporaines sur des actions passées, censées relever de la fin du XIXème siècle. Il crée ainsi un anachronisme qui a eu pour effet de me décoller de son histoire, de m'y sentir extérieure, c'est-à-dire l'inverse de ce qui serait souhaitable, de mon point de vue, à savoir, l'immersion du lecteur dans l'histoire ou dans l'ambiance donnée.



Bref, pour moi, toujours pas le premier grand roman du XXIème siècle : ce fut une puissante et stimulante eau à la bouche, presqu'immédiatement suivie par une vilaine amertume, d'où cette appréciation finale fort mitigée. Mais, comme à chaque fois, je vous invite à consulter d'autres opinions à propos de cette même lecture — qui semble avoir eu des effets tout autres sur quantité d'autres lecteurs —, car cet avis ne représente, somme toute, que l'expression de mon avis, c'est-à-dire, une mince parcelle de subjectivité coincée entre ciel et terre, autant dire, vraiment pas grand-chose.
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Ásta

" Fallait - il que je meure pour te prouver que tu ne pouvais vivre sans moi ? " écrit à Asta , d'outre -tombe , Joseph qui fut son grand amour " .

" Avons - nous un autre but dans la vie que celui de naître, de tousser deux ou trois fois , puis de mourir ? "

Voici un roman construit comme un puzzle géant , non linéaire, sans continuité oú le lecteur devra maintenir son attention constamment, ce qui risque de détourner ou décourager nombre d'adeptes.....Difficile d'écrire une chronique !

Mais quel roman !

On dirait que le romancier Islandais n'a que faire de mettre à l'aise son lecteur et de le tranquilliser :" Il est impossible de raconter une histoire sans s'égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer , non seulement une fois mais au moins trois--- ---car nous vivons en même temps à toutes les époques" ..-----

Nous voilà prévenus...



L'histoire d'une femme Asta : Reykjavik , début des années 50 ( un prénom dérivé du mot " amour", Ast en islandais )..de sa naissance à sa vieillesse ..





Une séquence conte l'amour fou , charnel,exalté entre Sigvaldi, la trentaine avec Helga, 19 ans, belle, d'une beauté aussi impardonnable qu'incompréhensive, vibrante duquel naîtront deux filles en deux ans , Sesselja puis Asta....

Puis l'auteur rompt le rythme de l'histoire une 1ère fois : vingt ans plus tard , Asta vit à Vienne, suit des études de théâtre en même temps qu'un traitement psychiatrique ....

Quand à Sigvaldi il est tombé d'une échelle , tandis qu'il agonise sur le trottoir ses souvenirs refont surface emmêlés , en désordre qui brassent une grande partie du roman : instants de vie, paysages dans lesquels s'inscrivent les époques , les pays pour recoller les piéces d'une Fresque Familiale :

Helga , la femme aimée passionnément, Asta et Sesselja, Sigrid , Josef,..

L'auteur écrit surtout sur " la maniére qu'a le destin d'ouvrir les portes " .

Ses mots nous brûlent et nous entraînent au coeur de cette fresque familiale envoûtante, puissante , inédite , originale, sociale, charnelle, spirituelle ,contemporaine , urbaine (Reykjavik) houleuse (auprès des fjords de l'ouest), et place l'amour surtout avec un grand À au centre : amour paternel, maternel, filial , fraternel, passion amoureuse . ....

Pour l'auteur c'est la capacité d'aimer et de souffrir qui confére à l'existence humaine son intensité et qui la justifie.



C'est l'amour dans toutes ses définitions, la vie et rien d'autre entre microcosme familial et macrocosme universel, la confiance et la connivence , l'inexpiable échec, le chagrin éternel, la compassion pour tout ce qui vit et souffre, la brièveté de l'existence ... le temps qui passe qui efface tout.



Oú l'on croise des Poétes et des écrivains , oú l'on entend de la musique : Ella Fitzgerald, Elvis Presley, Nina-Simone , Billie Halliday ...



C'est une oeuvre foisonnante, pétrie de sensibilité , de poésie , ample, profonde , exaltante qui signe d'une façon fragmentée le fil de la vie d' Asta ....merveilleusement traduite, tissée d'amour , de bonheur , de grâce et d'infinie noirceur .....de tout ce qui peut suspendre le temps ...

L'écriture est sensuelle , charnelle, vigoureuse , un VOLCAN islandais ....



Difficile de traduire en mots ce lyrisme , ces sentiments plus grands que nous et ces vies qui s'enlisent sous nos yeux malgré une incessante pulsion de vie et une quête inlassable du bonheur.

L'auteur est un conteur ensorceleur, singulier, capricieux . Sa logique narrative nous rend impatient ...... Il dit "L'amour" dans Toutes ses déclinaisons et touche à l'universel .

Je salue son travail .

Ce n'est que mon avis , bien sûr !
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D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds

Pourquoi ce titre ? Une question de mode ? Pour le moment, les titres à rallonge ont la cote mais il y a toujours un élément dans le livre qui l'explique, je l'ai trouvé dans le texte ci-après :

... cette idiote de gamine continue d'avancer, elle entre dans l'eau sans l'ombre d'une hésitation même si personne n'a réussi à marcher sur l'eau depuis que Jésus est grimpé sur un lac il y a deux mille ans, histoire d'impressionner quelques pêcheurs. Cette fille descend du rocher et plonge son pied droit dans la mer, le gauche suit une fraction de seconde plus tard. Le problème est que personne n'est capable de marcher sur la mer, c'est d'ailleurs pourquoi les poissons n'ont pas de pieds.

Cette gamine qui a voulu se noyer en a été empêchée et la raison de ce suicide raté, nous la connaîtrons à la fin du roman. D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds, une histoire familiale qui s'étend sur trois générations, une famille venue du Norðfjörður qui s'établit à Keflavik, petite ville portuaire. Pendant cette saga, j'ai vécu avec Ari et le narrateur au temps présent mais aussi pendant leur adolescence et au temps jadis, comme le sont titrés ces chapitres, avec leurs ascendants.

Dès que j'ai appris, par une amie Babelio, qu'un nouveau roman de Jón Kalman Stefánsson allait être édité, je l'ai commandé et dès sa réception, j'en ai commencé la lecture, et quelle lecture !

Jón Kalman Stefánsson est un auteur que je qualifierais de "complet", une très belle écriture, un poète, un écrivain qui va au fond des choses ; à la lecture, je ressens sa profonde humanité, sa connaissance de la vie ... Un livre plus que coup de cœur !
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Ton absence n'est que ténèbres

A l'été 2020, dans un fjord de l'ouest de l'Islande, un homme s'éveille sur un banc dans une petite église. Il ne comprend pas ce qu'il fait là, il ne se rappelle pas comment il est arrivé dans cet endroit. Pire, il ne se rappelle pas qui il est, il ne sait même pas s'il rêve, s'il est mort ou vivant.

En sortant de l'église, il découvre dans le cimetière une pierre tombale portant l'inscription « Ton souvenir est lumière, et ton absence ténèbre ». Toujours aussi perdu, il y rencontre une femme, qui le reconnaît. L'inverse n'étant pas vrai, l'homme comprend qu'il est amnésique, mais n'en dit rien et fait semblant, tentant de donner le change. Il rencontre ensuite la soeur de cette femme, puis d'autres personnes qu'il est censé connaître mais dont il ne se souvient pas. Au fil des conversations avec les uns et les autres, il assemble peu à peu les tranches de vie et reconstitue la généalogie d'une saga familiale. Une histoire qui en réalité a débuté 120 ans plus tôt, lorsqu'une femme du peuple a osé écrire un article sur le lombric, ce « poète discret oeuvrant dans la nuit de la glèbe », et qu'elle a osé l'envoyer à une revue scientifique locale qui décide de le publier. Cette femme ne se doutait pas alors qu'elle allait dévier le cours du destin.

Au début tout est nébuleux et flou pour le narrateur (et pour le lecteur), mais peu à peu les morceaux d'histoire s'imbriquent les uns dans les autres et chaque génération prend sa place sur l'arbre généalogique. Les ténèbres s'éclaircissent peu à peu pour le narrateur, sans disparaître complètement. Il est beaucoup question de perte, de deuils, de tristesse, de stagnation, d'ombre et de mélancolie, de sacrifices et de renoncements. Mais tout est dans tout et chaque revers a sa médaille, alors on trouve aussi dans ce roman de la lumière douce, du bonheur tendre, de l'amour, du désir, du sexe, de l'humour et de la joie, du mouvement et de la vie. Et de la poésie, des lettres envoyées ou pas, même aux morts, des coups de téléphone et des e-mails qui arrivent à temps ou non. On croise Zola, Hölderlin et Kierkegaard, des réfugiées syriennes, des touristes japonais, des moutons, des chiens et un chat qui a le mal des transports. On y tire à la carabine sur des poteaux ou des camions, on s'y soûle sous les étoiles et surtout on entend beaucoup de musique avec la « compilation de la Camarde », parce que « le désir le plus brûlant de la mort est d'embrasser la vie, mais chaque fois qu'elle se risque à l'étreindre, elle l'anéantit. C'est là sa plus grande douleur, une douleur que seule la musique a le pouvoir d'atténuer ».

« Ton absence n'est que ténèbres » est un roman un peu déroutant au début parce que sa narration n'est pas chronologique. Mais on apprend très vite à relier les fils entre eux, et la lecture devient alors addictive. Tous les mystères ne seront pas résolus à la fin, on ne saura pas tout, mais c'est sans doute mieux comme ça, parce que: « Celui qui sait tout ne peut pas écrire. Celui qui sait tout perd la faculté de vivre, parce que c'est le doute qui pousse l'être humain à aller de l'avant. le doute, la peur, la solitude et le désir ».

Un brin onirique et très nostalgique, ce roman raconte avec un souffle impressionnant des histoires d'amour sublimes et questionne les thèmes de la mémoire, de la transmission et des choix (ou de l'absence de choix) qui déterminent une vie (« On doit toujours choisir de deux choses l'une, mais qu'importe celle que vous choisissez, cela créera toujours un trou noir quelque part. Dans ce cas, comment vivre? »).



« Ton absence n'est que ténèbres » est un de ces rares romans dans les phrases duquel on a envie de s'enrouler tellement l'histoire et l'écriture sont belles, dont on n'a pas envie de sortir tellement on s'y sent bien même si on est heureux et triste en même temps. Coup de coeur pour ce livre ambitieux, lumineux, déchirant, bouleversant, magnifique.



En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.

#Tonabsencenestqueténèbres #NetGalleyFrance
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Lumière d'été, puis vient la nuit

Je termine Lumière d'été, puis vient la nuit, de Jón Kalman Stefánsson, cette chronique villageoise qui aurait pu durer encore longtemps mais que j'ai trouvée un peu longue, par moments.

C'est un habitant de ce village islandais de quatre cents âmes qui raconte. L'auteur lui-même ? Sûrement. Ici, loin de Reykjavik, la capitale, il n'y a rien pour distinguer le village, même pas d'église ni de cimetière. Par contre, on y vit très vieux et les abattoirs, la laiterie, la Coopérative et l'Atelier de tricot sont très actifs.

Au cours de ma lecture, j'ai croisé beaucoup de personnages, me suis perdu un peu avec tous ces noms islandais auxquels je ne suis pas habitué. Alors, je me suis laissé bercer par ces histoires racontées en huit chapitres divisés en plusieurs mouvements. S'il y a un petit port avec quelques cinq cents habitants répartis dans les fermes alentour.

Ces hommes et ces femmes partagent une vie rude et le moindre événement attire attention et commérages comme Águsta, la postière si indiscrète sait bien lancer.

Tout comme avec le Directeur de l'Atelier de tricot devenu soudain passionné pour le latin et l'astronomie. On l'appelle alors l'Astronome et il se met même à donner régulièrement des conférences. Hélas, l'Atelier qui fabriquait chaussettes, chandails, bonnets, moufles, gants, ferme subitement. Sur l'ensemble du personnel, cinq femmes ne retrouvent pas de travail et vont tenter de se venger.

Les femmes, justement, tiennent un rôle important. L'auteur sait les décrire de manière très sensuelle tout en étant parfois cruel pour certains détails physiques. Elles attisent les sens des hommes et cela peut déclencher des catastrophes, même si, ici, on sait tout remettre dans l'ordre afin que la vie continue tout de même.

L'auteur que j'avais déjà apprécié dans Ásta, ne se contente pas de conter ces destinées à la fois ordinaires et extraordinaires, il saupoudre très judicieusement des réflexions sur notre monde, sur nos modes de consommations, sur nos façons de vivre et de passer le temps.

Ce sont ces réflexions que j'ai le plus appréciées au fil de ma lecture regrettant parfois d'abandonner certains personnages alors que leur histoire ne semble pas terminée.

Qu'elles s'appellent Helga, Elísabet, Báva, Harpa, Sigriður, Asdís, Kristin ou encore Þuriður, leur sort est émouvant, leur recherche d'amour pas toujours récompensée.

De leur côté, les hommes, jeunes ou vieux, heureux ou pas en amour, se mettent souvent à boire mais Jonas se révèle peintre de talent, Davið est un bon violoniste alors que je croise Hannes, Finnur, Þorgrímur, Kjartan, Matthías, Jakob et Benedikt. Tous m'ont fait partager un peu de leur vie dans ce climat islandais si rude où les nuits d'hiver sont interminables mais où l'été fait surgir fleurs et fruits en abondance.

Quand, dans les locaux abandonnés de l'Atelier de tricot, Elísabet crée le Tekla, le premier restaurant jamais inauguré au village, les habitudes changent, la vie devient plus gaie. Mais celles que l'auteur nomme « les dix mains », veillent, remuent le maire, portent plainte. C'est l'occasion de voir débarquer Áki, un enquêteur dont l'aventure finit de façon bien savoureuse.

Lumière d'été, puis vient la nuit, sélectionné par le Prix des Lecteurs des 2 Rives 2021 est donc un livre foisonnant d'histoires différentes, d'histoires gaies ou tragiques, une bonne lecture pour s'imprégner d'un mode de vie bien différent du nôtre et pourtant relativement proche.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Ásta

Àsta, enlevez le a final et vous obtenez amour en islandais, mais vous tenez surtout un des refrains du roman. C'est en effet d'amour dont il est souvent question dans ces tranches de vies familiales et amoureuses, entremêlées et souvent tumultueuses, donnant au final l'image d'une saga quelque peu dynamitée. Car si le début nous amène sur la conception d'Àsta par ses parents Helga et Sigvaldi, le parcours narratif ne sera pas linéaire loin de là, nous informe vite l'auteur : «Si tant est que ça l'ait été un jour, il n'est désormais plus possible de raconter l'histoire d'une personne de manière linéaire, ou comme on dit du berceau à la tombe. Dès que notre premier souvenir s'ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les évènements passés que dans le présent.»

Une narration rythmée par les souvenirs du père d'Àsta tombé d'un immeuble dont il repeignait la façade. Désormais étendu sur le trottoir il s'adresse (ou croit s'adresser) à cette norvégienne réconfortante, lui transmettant les épisodes de sa vie qui défilent dans sa mémoire au gré du vent. Une narration rythmée aussi par les lettres d'Àsta à un amour perdu, ou encore par les nouvelles que nous donne l'auteur du récit depuis sa retraite au fin fond des fjords de l'Ouest, avec pour seul voisin un entrepreneur de tourisme local pour le moins envahissant. Autant dire que l'on navigue entre les époques et les personnes, sans se perdre pour autant, on construit le puzzle au diapason d'une prose toujours aussi poétique et lyrique, profonde, sous tension permanente de questionnement sur le sens de la vie.

Et c'est magique, comme toujours avec Jon Kalman Stefansson. La lecture est envoûtante sous les décors contrastés d'Islande. Les lumières d'été et les nuits d'hiver y sont comme des pendants de la vie et la mort, les personnages si humains prennent corps sous les étoiles qu'allume l'auteur.

Encore une bien belle réussite à mes yeux, pour un auteur (souvent associé au travail de son traducteur Eric Boury) dont je suis résolument fan.



« Je le mesure depuis maintenant six mois et un jour. Les résultats sont disponibles : il s'avère que mon manque de toi dépasse les limites du monde des vivants. En réalité, il les dépasse tellement qu'il engendre une certaine agitation jusque chez les défunts. »
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Entre ciel et terre

S'en vient le soir

Qui pose sa capuche

Emplie l'ombre

Sur toute chose

Tombe le silence

Déjà se lovent

La bête sur son lit d'humus

L'oiseau dans son nid

Pour le repos nocturne



« Il est mort de froid parce qu'il a lu un poème ».



Précisément ce poème de Milton, poète anglais aveugle, au début du XIXè siècle. Nous pourrions résumer ainsi ce livre magnifique, ce livre des entre deux. Entre ciel et terre, entre vie et mort, entre montagne et mer, entre sommeil et réalité, l'Islande, île rude, sauvage, cruelle, présentée et honorée dans toute sa rigueur, dans toute son âpreté, dans toute sa beauté glaciale, dans ce majestueux livre poétique et ensorcelant. L'Islande, enneigée, iodée, battue par les vents, battue par les flots, blanche de neige et d'écume, noire de roches acérées, enfin devenue verte en avril, avril empli de clarté, de chants d'oiseaux et d'impatience. Quelques semaines lumineuses enveloppées par des mois de ténèbres.



Entre ciel et terre, il y a la lune. Cette lune que les amoureux, depuis la nuit des temps, malgré les montagnes et les immensités qui les séparent, regardent à la même heure afin que leurs yeux se rencontrent sur l'astre nocturne en même temps. « Voilà pourquoi la lune a été placée dans le ciel ». Entre ciel et terre, il y a aussi l'horizon parfois devenu invisible lorsque les tempêtes font rage et que le ciel embrasse la terre d'un baiser meurtrier.

Entre vie et mort, il y a l'enfer, « l'enfer d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité ». Il y a aussi la peur mêlée à la curiosité apeurée, celle d'obtenir enfin les réponses à toutes nos questions.

Entre montagne et mer il y a les immensités, la campagne herbeuse et ample où se nichent quelques fermes, et même, du seuil de certaines d'entre elles on n'aperçoit pas la mer, chose rare sur cette île. Il y a les vallées desquelles on ne voit que des fragments du ciel. Ceux qui vivent là ont pour horizon les montagnes et les rêves. Entre montagne et mer, il y a tout simplement la vie des islandais « D'un côté, la mer, de l'autre, des montagnes vertigineuses comme le ciel : voilà toute notre histoire ».

Entre sommeil et veille enfin il y a les rêves et le répit car « ceux qui vivent au pied de montagnes aux pentes vertigineuses et aussi près du bout du monde sont experts dans la science des rêves », ils maintiennent la réalité à distance aussi loin qu'ils le peuvent avant de retrouver la réalité qui est la leur.

Cet entre deux est un geyser de poésie, une poésie de troll et d'elfes, une poésie de fin du monde qui bouillonne et s'infiltre dans chaque page, dans chaque âme, dans chaque pensée.



Nous suivons les déambulations désespérées et les réflexions d'un très jeune homme de vingt ans, sans prénom, juste dénommé « le gamin » qui vient de perdre son meilleur ami, après avoir perdu sa mère et sa petite soeur. Il fuit désormais le métier de marin, amère expérience empreinte de deuil, uniquement habité par la beauté des mots et de la poésie. Il atterrira dans la maison et buvette de la mystérieuse Ragnheiður, où d'autres comme lui, notamment un vieux capitaine devenu aveugle et féru de littérature et de poésie, Kolbeinn, un autre loup de mer alcoolique, Brynjolfur, sont marqués par les difficultés de l'existence. Entre deux lectures, et en attendant d'avoir le courage de se tuer pour rejoindre tous les êtres qui lui sont chers, il s'occupe à servir la bière, le café. Malgré ses maladresses, sa sensibilité pure saura toucher son entourage.



Au-delà des conditions de vie très dures des pêcheurs islandais, au-delà de celles, particulières, confinées, de ceux qui restent sur la terre ferme, ce livre est une réflexion puissante et poétique sur la mort, sur l'importance de la poésie, sur ces mots qui peuvent sauver ou faire mourir : « Certains poèmes nous conduisent en des lieux que nuls mots n'atteignent, nulle pensée, ils vous guident jusqu'à l'essence même, la vie s'immobilise l'espace d'un instant et devient belle, limpide de regrets ou de bonheur. Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l'oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s'approche de vous : touché ! dit-il et vous voilà mort ».

« Entre ciel et terre » parle également avec génie du temps qui passe, du temps relatif, subjectif, celui qui passe différemment en notre for intérieur que celui affiché par la pendule : « Combien d'années peuvent tenir en un jour, en l'espace de vingt-quatre heures ? C'est un homme d'âge mûr et non plus un gamin de vingt ans qui pousse la porte d'entrée de la buvette de Geirþrúður, deux jours bien comptés après l'avoir franchie pour la première fois, en compagnie de son ami Bárður ».



Dès le début j'ai été happée par la musicalité de l'écriture de Jon Kalman Stefansson, qui fleure bon la lande sauvage fouettée par l'iode et les vents, qui sent fort l'odeur âcre de ces hommes rustres aux noms vikings et à la barbe sauvage constitutive de leur personnalité. Qui met en lumière ce « gamin » sensible, timide, peu confiant en lui mais si touchant au milieu de ces éléments naturels et humains où la vie est une lutte perpétuelle pour maintenir le froid et la rudesse à distance. Il est des livres dont on ressort émue et marquée. C'est le cas pour moi avec « Entre terre et ciel », premier tome de la trilogie qui a rendu célèbre l'auteur. Tellement heureuse de retrouver cette terre de légendes et ce « gamin » lunaire dans les deux autres tomes !

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Ton absence n'est que ténèbres

Pas une mince affaire ce livre de 600 pages, mais attention, écrites en tout petit ! et qui ne se lisent pas très vite …. Un vrai cauchemar même ces 300 premières pages, après plus de 2 semaines, j'ai jeté l'éponge, le bébé et l'eau du bain … Finalement, prise de remords, j'ai quand même gardé le bébé et l'ai mis bien au chaud pendant une dizaine de jours. Bah oui, j'avais d'autres lectures sur le feu moi, et je n'avais pas envie de payer des amendes de retard à la médiathèque... tout ça pour un obscur (enfin ténébreux) écrivain islandais. Bref, quand j'ai repris le bébé, il avait finalement bien grandi tout seul, et on a repris notre conversation là où on l'avait laissée…

Cette pause a été bénéfique car les 300 pages suivantes sont passées assez facilement, le recul m'a permis de me mieux cerner ce livre déroutant par sa structure narrative. Comme une voix-off, un narrateur retrace une saga familiale sur plus d'un siècle mais d'une façon complétement désordonnée ; on réalise des allers-retours incessants entre les époques, les personnages, et ce fameux narrateur est également une énigme en lui-même puisqu'il nous avoue dès le début avoir perdu la mémoire et ne plus savoir qui il est. L'auteur n'est pas là pour nous faciliter la tâche, vous voilà prévenus …

Si je m'étais arrêtée aux 300 premières pages et écrit mon ressenti à chaud, j'aurais été en colère avec l'impression très nette de m'être fait duper par l'auteur avec des histoires sans queue ni tête qui se superposent, avec des personnages qui portent de surcroît des noms à coucher dehors (en tout cas, je n'en donnerai pas à un seul au bébé) et à moins de prendre des notes, il est difficile au début de s'y retrouver (et je n'aime pas prendre des notes quand je lis).

Au niveau du style, je n'ai pas été vraiment séduite par les nombreux passages dans lesquels l'auteur malaxe une même idée dans tous les sens et nous la ressert sur plusieurs paragraphes (ça m'a donné l'impression qu'il prenait ses lecteurs pour des idiots), parfois sans même de faire l'effort d'une périphrase, en faisant juste un copier/coller ! (la périphrase semble fatiguer legrandécrivain). de même, l'utilisation du mot ténèbres à toutes les sauces dans les 300 premières pages m'a insupporté. C'est même devenu une sorte de jeu dans lequel je guettais la nouvelle occurrence du mot dès une nouvelle page tournée.

Si le début a été plus que douloureux, et a frisé l'abandon, la deuxième partie finit par prendre sens. L'histoire de Gudridur m'a aidée à tenir le coup, c'est celle dont j'ai le plus aimé l'atmosphère, les descriptions de l'époque et des relation hommes-femmes. J'aurais eu un vrai coup de coeur pour ce livre si la seule histoire contée avait été celle de Gudridur.

L'ouvrage a par ailleurs de nombreuses qualités ; Jón Kalman Stefánsson nous livre la vie très dure de fermiers islandais, perdus dans leur fjord sur un bout de lande, luttant sans cesse pour leur pauvre survie. Leurs amours, leurs conditions de vie sont magnifiquement décrites. La mise en abyme avec ce narrateur en surplomb qui écrit l'histoire s'avère finalement assez intéressante, alors qu'elle m'avait déroutée et agacée au début.

Un livre original, étrange, complexe, qui ne m'a pas complètement convaincue et aurait gagné en force à être plus simple. Sans être forcément chronologique, il aurait été plus lisible en se centrant sur quelques personnages. Des passages sont bouleversants, profonds, et je me suis régalée dans la pêche aux citations, mais la puissance du récit se dilue dans les redites, les digressions et les innombrables personnages secondaires sans grand intérêt surtout dans les 300 premières pages.

Je dirais qu'il faut prendre son temps pour apprécier cette lecture, la laisser infuser, la reprendre, et, là, peut-être, le charme opérera, vous transportera en terre islandaise avec l'envie de l'apprivoiser …

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Ásta

Je viens de lire toutes les critiques concernant ce livre et je suis très content de l'adhésion quasi générale pour dire que c'est un très bon livre.Le problème, si problème il y a, vient de moi ,qui n'etais sans doute pas prêt à rentrer dans cette histoire.

J'ai été dérouté par une construction qui m'a posé d'énormes problèmes à tel point que j'ai déclaré forfait après plus de 300 pages lues.Et pourtant,le contenu est excellent, bien écrit ,surtout bien traduit, fluide.Ma frustration est d'autant plus grande que je me demande :"pourquoi?".Pourquoi cette présentation si peu conventionnelle. Alors,je sais ce que vous allez me répondre ,je ne suis pas complètement ignare et j'ai lu vos très intéressantes critiques, mais je continue à penser que l'auteur aurait pu écrire un très bon roman, tout aussi plaisant me semble-t-il ,et sans le transformer en puzzle nécessitant une réflexion continue sans faille....sans nous projeter au gré du temps,des personnages, des événements, comme des petits fétus de paille.J'aime bien me faire "balader" dans un roman,mais là c'était trop pour moi.

Bon,je le répète , vous avez aimé et le problème vient de moi, ce qui me navre, me frustre, mais me rassure aussi, tant il est essentiel que les points de vue divergent, nous ne sommes que des hommes et des femmes, pas des robots.(Pennac à donné les "droits du lecteur,"non?)

C'était le 111e livre que je lis cette année, le deuxième seulement que je laisse en cours de route, ce qui m'est toujours douloureux.

Je ne dirai jamais que ce livre est "nul", ce serait prétentieux, mais il ne m'a pas plu du fait de sa construction.Dommage.
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Lumière d'été, puis vient la nuit

L’histoire se déroule dans un petit village des fjords de l’ouest, un village sans église et sans cimetière où la proportion d’octogénaires est plus élevée que nulle part ailleurs en Islande, autre particularité du village.



En huit chapitres, c’est l’histoire des habitants à travers quelques-unes des figures des villageois qui nous est contée. Ces vies à la part parfois irréelle seront reliées entre elles par le narrateur.



Le premier portrait est celui du directeur de l’Atelier de tricot, dont la femme est si belle, qui roule en Range Rover et qui se met à rêver dans une langue qu’il ne connaît pas, le latin, lui dira le médecin. Ce rêve va métamorphoser sa vie… Il plaque tout et n’aura de cesse de scruter les étoiles. Le directeur devient l’Astronome !



Il y a Jonas, ce jeune garçon timide et fragile, hypersensible, passionné par le monde des oiseaux, fils de Hannes, colosse et policier du village.



Il y a également Kjartan et David, le fils de l’Astronome, tous deux employés à l’Entrepôt qui vont avoir à faire aux fantômes…



Il ne faut pas oublier Ágústa, la postière extrêmement fouineuse qui n’hésite pas à ouvrir les lettres des villageois, devenant ainsi « le principal organe de presse du village » et d’autres encore.



Il ne faut pas croire que Jón Kalman Stefánsson s’est contenté de dresser une série de portraits. Ses personnages, il les fait évoluer, se métamorphoser, partir, revenir, rêver, fantasmer, au gré des saisons et des rudesses du climat. Il plonge véritablement dans le cœur de leurs âmes.



La force du roman tient au fait que le narrateur, en l’occurrence, l’auteur nous amène à réfléchir, tout au long de notre lecture à la difficulté de connaître son semblable, à se connaître soi-même, à la place que nous occupons sur terre et plus largement dans le cosmos, et sur le sens de la vie. Ne nous pose-t-il pas, par exemple, et ceci dès les premières pages, cette question : « Avez-vous jamais réfléchi au nombre de choses qui tiennent au hasard, toute la vie peut-être ? »



En cela Lumière d’été, puis vient la nuit est un vrai roman philosophique.

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Entre ciel et terre

… la mer sommeille, la montagne somnole et le silence règne dans le ciel…



L'Islande. Dès les premières mesures de ce roman, je m'y suis trouvé. Installé même. le froid, l'iode. La mer qui me fouette le visage. le roulis de ce vieux bateau de pêche. Pêche à la morue. Et ce silence. Un silence lourd qui m'envahit. Un silence qui fait partie de moi. J'ai envie d'y aller, « Entre Ciel et Terre » pour ressentir ces émotions, ce parfum, cette poésie de la mer et des landes. Et puis le vent, la pluie glaciale, le blizzard. J'ai oublié ma vareuse. Fuck le blizzard.



Le paysage, cette lande islandaise, sauvage et enneigée. Je me retrouve isolé, enveloppé par ce vent sourd qui emporte mes pensées, pas mes paroles muettes. Celles-là, je les garde au fond de moi. Qui voudraient d'ailleurs les entendre ? Quelques moutons sauvages et poilus dans le coin, en train de brouter pour ne pas sombrer dans la froidure de la nuit. Nuits étoilées. Ces étoiles qui sont l'âme des noyés. Et puis ces flocons de neige qui descendent à noyer mon verre, ne serait-ce pas là les ailes des anges ?



Je m'imagine à bord d'un de ces chalutiers, une pêche d'antan, à l'oeil et à la poigne. le bateau chevauche les vagues comme je rêve de renverser des sirènes. Les vagues vont et viennent, s'écrasent sur le pont, des embruns iodés qui se jettent sur ma face. le courage m'emporte, je suis dans une barque, encore plus précaire, prêt à affronter les éléments, une force insoupçonnable m'emporte, gênes de viking. Si jamais je n'avais pas oublié ma vareuse, et ma fiole de Lagavulin.



Je m'imagine là-bas. M'engouffrer dans un pub, des vieux loups de mer qui me regardent, la barbe sauvage, le teint grêlé par cette pluie glaçante du bord de mer. Une bière. Deux bières. Trois bières. C'est ma tournée. Prendre mon temps. Nul besoin de me presser. Personne ne m'attend. A part un roman, un livre de poésie ou une musique qui bercent mes nuits. Puis m'enfuir dans la nuit, dans le silence, sans ma vareuse. Et réfléchir à ma mort. Seul sous les étoiles, seul dans ce silence.



Il y a des livres qui ne peuvent s'oublier, et des auteurs non plus. Ce Jon Kalman Stefansson possède une telle poésie dans sa plume que j'en oublie la tristesse et le froid. Mais pas ma bière. Alors...



S’en vient le soir

Qui pose sa capuche

Emplie d’ombre

Sur toute chose,

Tombe le silence,

Déjà se lovent

La bête sur son lit d’humus

L’oiseau dans son nid

Pour le repos nocturne.


Lien : https://memoiresdebison.blog..
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Le cœur de l'homme

Il m'est souvent difficile de finir les pages d'une série qui m'a accompagnée des heures durant. Je clos là une trilogie particulièrement grandiose, avec des phrases bouleversantes, des sentences qui m'ont pour certaines touchée, pour d'autres transpercée. Avec ces paysages typiquement islandais emplis de glace, de montagnes vertigineuses, de neige sous toutes ces formes, de mer à la fois hostile et nourricière. Avec toute une galerie de personnages, souvent rugueux de prime abord, mais attachants qui ont tous eu leur lots de drames et de bonheurs.



« le coeur de l'homme », troisième tome de la trilogie de JK Stefansson, après « Entre ciel et terre » et « La tristesse des anges » doit-il son nom à une facette cette fois plus engagée, plus militante de l'auteur, plus introspective aussi ? En s'éloignant un peu des éléments naturels par rapport aux deux premiers tomes, il se concentre là davantage sur les injustices faites aux faibles, notamment aux femmes, aux artistes et aux pauvres. Comme s'il voulait davantage sonder le coeur de l'Homme, scindé en deux, oscillant entre bonheur et désespoir. Oui, JK Stefansson prend parti et donne la parole davantage aux opprimés. La musique, bien présente dans ce tome, et la poésie, encore et toujours, pour affronter la violence, l'égoïsme, les rumeurs et les préjugés, le pouvoir, la cupidité, la cruauté.



Et cette voix d'outre-tombe en filigrane, comme dans les précédents livres, qui nous ordonne de ne pas vivre comme un idiot, en oubliant d'être soi, en oubliant ses rêves. « Les rêves sont la lumière qui éclaire l'homme, la clarté qui le nimbe ; en leur absence il n'y a que les ténèbres ». Cette ritournelle nous met en garde



Mais comment survivre dans ce pays où même l'arrivée du printemps est compliquée et assassine les faibles : « il vient vers nous avec la lumière, les couleurs, le jaune des fleurs et les chants d'oiseaux, il verglace la couche de neige qui fond et se transforme en une insupportable soupe pendant quelques jours, l'humidité s'infiltre dans les fermes en tourbe dont certaines reposent encore sous le manteau neigeux, parfois profondément enfouies, les lits suintent, on est transi quand on s'endort, glacé lorsqu'on s'éveille, l'humidité s'immisce jusque dans les os » ?

Comment vivre dans une île où les étés sont si brefs et capricieux qu'on dirait parfois qu'ils n'existent pas ?



Comment vivre heureux dans ce pays rude, au début du 20ème siècle, lorsqu'on est différent, poète ou femme libre notamment ? le gamin n'a que la poésie comme arme, et la soif de connaissances pour unique horizon alors que pour être un homme, un vrai, et se fondre dans la communauté, il faut être avant tout viril, vulgaire, costaud, peu sensible. Les femmes indépendantes, non soumises, qui vivent comme bon leur semble, sans mari, en faisant fi des convenances et de la bienséance sont également très mal vues car normalement : « C'est toujours la femme qui doit courir de toutes parts et penser à tout le monde en même temps ; quant aux hommes, ils engloutissent le repas, debout, parfois le dos appuyé contre quelque chose, c'est une vertu que de manger vite, celui qui mange le plus vite est le plus homme parmi les hommes, la nourriture est là pour être déglutie, et non dégustée. »

Comment espérer dans un pays où l'on travaille dur et où l'on s'épuise au travail sous les ordres de quelques hommes puissants et démoniaques ?



Oui comment vivre heureux dans ce pays mais, bon, « le café et le courant marin du Gulf Stream font de ce pays, de cette île reculée, calcinée, battue par les vents, mais parsemée de vertes vallées qui sont comme des rêves entre les murailles rocheuses, une terre pratiquement habitable ». Nous pouvons ajouter la poésie, celle de JK Stefansson, mise en lumière par l'exceptionnelle traduction d'Eric Boury, qui réchauffe et fait oublier ces injustices. La beauté des femmes est toujours autant magnifiée, qu'il s'agisse de la mystérieuse Álfheiður aux cheveux d'un roux flamboyant et dont « les taches de rousseur qui lui barrent le visage en passant par le nez et les joues forment comme une ceinture d'étoiles », ou d'une simple serveuse « elle remplit les tasses, les verres de cognac, elle est jeune, ses mouvements sont fluides comme ceux d'une longue herbe oscillant au fond d'un ruisseau, elle ne lève jamais les yeux, ils n'ont pas l'occasion de voir ces yeux, ces deux joyaux bleus, et elle ne se laisse pas impressionner bien que tous la regardent, l'observent, tandis que la braise remonte en crépitant doucement le long de leurs cigares rigides. »



Reconnaissons que l'homme n'est pas vraiment mis à l'honneur dans ce livre et que l'auteur islandais est parfois même sans pitié : « Les hommes tiennent des propos incroyables avant d'assouvir leur désir ou pendant qu'ils le font, tout ce qui se murmure, les phrases haletantes, les serments abyssaux qui ne sont que surface n'ont plus aucune valeur lorsque tout est fini, qu'on a joui, que le membre n'est plus érigé, tout gonflé de désir, de volonté de vivre, mais qu'il pend, épuisé, comme un lambeau de peau entre les cuisses. »



Cette trilogie est rude, poétique et surtout profondément humaine. La lumière du gamin scintillera longtemps en moi. Laissons la parole à l'auteur pour clore ce ressenti, auteur que je considère comme un grand, très grand Ecrivain, il me semble que tout est contenu dans cet extrait : « La délicatesse est mon rêve le plus vrai, dit un très vieux poème, et ce vers scintille à travers le temps, c'est vrai, la délicatesse et la fragilité sont le coeur de l'homme, nous le percevons douloureusement au printemps, lorsque l'existence danse sur le fil du rasoir, entre vie et mort. »



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Ton absence n'est que ténèbres

C'est un roman étrange, à la narration atypique, ce qui n'est pas surprenant pour les amateurs de l'auteur.

Un homme se réveille dans une église au bord d'un fjord perdu en Islande, « un fjord situé à la limite du monde habitable, un fjord où ne vit presque personne et où si peu d'événements se produisent en hiver que les gens sortent, armés d'une carabine, pour tirer sur les poteaux des clôtures ».

Il ne sait pas pourquoi il est là, comment il y est arrivé, et plus grave il ne sait plus qui il est.

Les habitants de cet endroit le connaissent, ceux qui y sont depuis des années en tous cas. Il n'ose révéler son amnésie et les pousse à lui raconter des histoires pour essayer de comprendre. Ces histoires s'enchainent, sans ordre apparent, mettant en jeu de nombreux personnages. Cela semble un peu décousu au départ, et puis les différents pans d'une saga familiale se mettent en place : tout a commencé par une histoire de lombric, il y a plus d'un siècle.

Au-delà de l'histoire elle-même, fascinante, et de sa mise en place déroutante et pourtant addictive, j'ai aimé l'atmosphère et les mots de ce livre. Jon Kalman Stefansson est un conteur-né, à l'écriture poétique, qui nous parle autant des hommes que des poissons, des moutons ou des chevaux :

« Certains chevaux sont peinés de voir les hommes pleurer, mais ils n'ont pas de bras pour les réconforter et c'est pour cette raison que leurs grands yeux, parfois, s'emplissent de tristesse. »

Il nous parle de mort, de deuils, de pauvreté, de vies âpres et difficiles, mais aussi d'amour, de rires, de musique et de lumière. Il décrit des femmes et des hommes, des paysages, des vies de son écriture évocatrice, inventive qui fait surgir mille images dans notre esprit.

Un roman où le rêve, le passé se mêlent à la réalité d'aujourd'hui, où les morts sont aussi présents que les vivants :

« Évidemment que ce fjord est hanté parce que nous avons toujours été si peu nombreux à vivre ici que nous sommes réticents à laisser les défunts le quitter »

La musique rythme ce livre, celle de la compilation pour la Camarde, qui se construit tout au long de ces histoires et celle des mots, les mots des chansons et ceux de l'auteur toujours justes, peignant tout aussi magistralement les paysages et les sentiments, les femmes et les hommes, la mort et la vie.

Un roman magnifique, lumineux, riche de tant d'histoires, de tant de réflexions, de tant de thèmes qu'il est difficile de lui rendre justice dans un simple billet. Un roman dans lequel j'aurais pu relever une citation à chaque page tant l'écriture est belle.

En deux mots, lisez-le.

Merci aux éditions Grasset pour ce partage #Tonabsencenestqueténèbres #NetGalleyFrance

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Entre ciel et terre

Truman Capote a dit : « Le plus grand plaisir que je retire de l'écriture ne tient pas au sujet mais à la musique interne des mots »



La prose de Stefansson est aussi poétique que puissante, une perçante mélodie se dégage des mots alignés. Il parle magnifiquement de la peur et des tâtonnements des âmes, de l'incertitude des êtres, d'espoir et de rêves.

En filigrane juste au-dessous de la surface visible se retrouvent des réflexions plus profondes et appuyées comme la fine frontière qui sépare la vie de la mort et de la brèche qui se situe sous nos pieds, toujours prête à s'ouvrir.



Une vive émotion provoquée certainement par la communion parfaite des mots et de la nature, des mots et des sentiments intimes, nous fait un peu planer au-dessus de la musicalité et de la profondeur de la réflexion.



Chez Stefansson les mots soulèvent des jeux d'ombres et de lumière. Certains mots nous conduisent à des lieux qui rien d'autre ne peut atteindre. Les mots nous guident jusqu'à l'essence de qui nous sommes et le monde s'arrête de tourner.



Solaire et solitaire, cette lecture brille d'un bel éclat bien après la dernière page tournée.





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Ásta

Sigvalid a fait une mauvaise chute. Tombé du haut de son échelle, le voilà étendu sur le trottoir dur et froid. Désemparé face à cette situation incongrue. Il regarde le ciel débordant d'été. Se demande qui est cette femme penchée sur lui. Il ferme les yeux et se retrouve des années en arrière... Sigvaldi et Helga s'aiment d'un amour fou et passionnel. Déjà parents d'une petite fille, Ásta, un prénom dérivé du mot amour, ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Ásta que l'on retrouve des années plus tard à Vienne...



Ásta s'appréhende et s'apprivoise en douceur. Partant de la chute Sigvaldi du haut de son échelle, Jón Kalman Stefánsson déroule la vie d'Ásta, dépeint ses rencontres amoureuses et amicales, ses relations avec ses parents et sa nourrice, son enfance et son adolescence, son travail et la femme et la mère qu'elle est devenue aujourd'hui. Il s'attarde également sur le passé de Sigvaldi et sa première femme, Helga ; sa vie avec Sigrid, sa seconde épouse ; sa relation avec sa petite-fille qui vit à ses côtés. Sans linéarité, traversant les époques, alternant les narrateurs, ce roman singulier et surprenant se révèle tout aussi envoûtant, mystérieux que capricieux. Il faut s'armer de patience, laisser défiler le temps au fil des pages, savourer ces instants de la vie et tendre l'oreille vers cette écriture si harmonieuse et poétique. Jón Kalman Stefánsson dépeint, au cœur de ce roman, lyrique, lumineux et empli de vie, et de ces destins entremêlés, l'amour et ses tourments.
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Ásta

Sigvaldi est tombé de son échelle alors qu'il repeignait des fenêtres. Agonisant sur le trottoir, des souvenirs affleurent qu'il confie à la jeune femme venue lui porter secours. Il déroule ainsi dans la belle et sauvage Islande des bribes de vies. Celle d'Ásta, sa fille, celles d'Helga et de Sigrid, ses épouses, celle de son frère, et d'autres encore.



Il est des moments où il est délicieux d'exister. Des moments qu'on aurait préféré ne pas connaître. Des moments de routine où rien ne se passe. Tout cela forme la vie, des vies. En Islande comme ailleurs, il est des choses qu'on ne saurait fuir, la fuite du temps en est une. Remarquable conteur et poète, Jón Kalman Stefánsson construit un puzzle du temps avec des instants de vie de ses personnages. De la jeunesse à la maturité, de la vieillesse à la mort, différents pour chacun, des temps pour aimer, regretter, pleurer, chanter ou même... espérer.
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D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds

L’écriture de Jon Kalman Stefansson parle à mon âme. Je ne saurai mieux décrire le ressenti de ce livre sur tout mon être. Ce livre est empreint de nostalgie, de peine, de tristesse. Il y a des passages où j’ai pleuré. En tout cas, une très belle traduction de la part d’Eric BOURY.



Ne cherchez pas de repère de temps, celui-ci n’existe pas, en tout cas, il n’a pas d’importance.



Il y a deux personnages principaux dans ce livre : le narrateur, qui est également le meilleur ami de Ari et Ari.



Ari revient du Danemark après avoir quitté l’Islande suite à une rupture avec sa famille, rupture qu’il a voulue… Et qu’il regrette.



Tout cela, après un colis des souvenirs de la famille qu’il reçoit de son père, avec lequel il n’a aucune affinité et dont les rapports sont inexistants, et d’une lettre de sa belle-mère.



Nous n’en saurons pas plus, en tout cas, pas dans ce premier tome, car à mon avis, il y en aura un second.



Voilà pour la trame…



Le reste du roman est un aller-retour entre les événements d’aujourd’hui et ceux de l’époque de ses parents et également de ses grands-parents paternels.



Ari se remémore la vie de ses grands-parents et de ses parents, ainsi que celle de sa famille, son adolescence, il raconte l’Islande, les paysages grandioses et effrayants à la fois, la mer, la fin de la pêche, le chômage, les hommes et les femmes.



Il dresse le portrait des femmes qu’il a côtoyées, avec la plus grande sensibilité, la plus grande tendresse, le plus grand amour. On pourrait croire qu’il est lui-même une femme, vu la façon qu’il a de décrire leurs émois les plus profonds, leur mal-être, leur solitude, mais également les agressions dues aux hommes.



Hommes pour lesquels il a une certaine tendresse aussi, car ils ne sont pas tous des agresseurs, notamment son grand-père.



Voilà, je ne sais pas si j’ai réussi à vous parler de ce livre comme je l’aurai souhaité. Il y a tellement de choses à dire. Je sais qu’autour de moi, je suis une des seules à avoir aimé cet auteur. C’est vraiment dommage…. Ou pas…, parce que je pourrais penser qu’il l’a écrit uniquement pour moi.



Il faut le mériter, il faut le lire doucement, sans se presser, le déguster comme un bon vin, lire des pages et le reposer pour avoir le temps de penser à ce qu’on vient de lire et le rependre ensuite.



A vous de voir.

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