Jonathan Dehoust

"Il paraît.
Il paraît qu’une heure avant que la bombe atomique soit lancée sur Hiroshima, une centaine de chiens s’est réunie pour aboyer à la mort. Il paraît que la même chose s’est produite à Messine, en Italie, au début du 20ème siècle, avant qu’un séisme ne détruise la ville. Il paraît qu’en 2004, en Asie du sud-est, des éléphants s’agitaient plus qu’à l’habitude quand quelques heures plus tard, un tsunami monstrueux emportait la vie de plus de 200.000 personnes.
Il paraît que les espèces animales possèdent des sens que les êtres humains n’ont pas et font d’eux d’excellents prévisionnistes. Ils sentent les vibrations infimes, les infrasons, les ondes lumineuses ultraviolettes, les émissions de gaz radioactifs ou encore les changements de pression atmosphérique qui annoncent la catastrophe.
Il paraît que certaines personnes ont ce don, que ça vient de l’instinct ou d’un recoupement extraordinaire d’informations dans l’inconscient.
Il paraît.
On approchait des trois heures du matin et je ne trouvais pas le sommeil dans ce dortoir exigu de quatre personnes. La fenêtre était ouverte, mais il y faisait encore une chaleur abominable. Au milieu des moustiques et des pots d’échappements des vespas, Rémi ronflait.
Pour le meurtre d’Aurélien, je pensais avoir procédé avec intelligence.
Pourtant, quelque chose me travaillait, me tracassait, me tourmentait. J’avais la sensation d’avoir oublié l’évidence au milieu de ma réflexion, d’avoir décodé le complexe sans porter attention au plus simple. Mon analyse, si fine soit-elle, était biaisée. Par quoi ? Je cherchais sans trouver. Je me sentais comme piégé, le sentiment de ne pouvoir empêcher l’inévitable.
Mon tsunami. Mon Hiroshima. Ma catastrophe."

L'AKM termina de pilonner le Noir cinquante mètres plus loin. Les nombreuses munitions l'avaient recouvert de trous, comme la cible en papier d'une fête foraine. Le sang giclait jusqu'à créer une mare à ses pieds. L'hémoglobine infiltrait le sous-bois sec du paysage méditerranéen. Un dernier spasme balança une dernière fois sa mâchoire décrochée. Et il s'éteint définitivement.

Fier de s'être défoulé, le tireur, un homme au large sourire, retira ses lunettes de protection. La réalité. L'arbre au loin porterait à jamais ses stigmates. La sève ruisselait là où les cartouches s'étaient enfoncées dans son écorce.