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Citation de AnitaDANIEL


A la barre !
La première fois où je pénètre dans la salle d'audience, je me souviens que cela me rappelle le théâtre où notre instituteur, M. Boulogne, nous avait emmenés assister à une pièce lorsque j'étais en CP. Mais c'est à un tout autre spectacle auquel je vais participer cette fois.
En attendant mon tour, j'assiste aux audiences lorsque je suis au tribunal, face à des avocats de la défense sans pitié pour chaque enfant qui passe avant moi. Parfois, ils se mettent presque à crier dans la salle y compris contre nous, c'est effrayant. Je m'en souviens encore, surtout d'Eric Dupont-Moretti. Aujourd'hui, je dirais qu'il ne faisait pas du théâtre, mais du cinéma. Sa stratégie, c'est la peur. Cela marche contre des adultes , alors contre nous... C'est terrorisant.
Quand j'y repense, le président du tribunal, M. Monier, paraissait dépassé par la situation. A plusieurs reprises, on nous fit sortir de la salle, en attendant que la situation se calme.
Ceux qui nous accompagnent tentent, tant bien que mal, de nous rassurer. D'autant plus que le procès dure deux mois, ce qui est bien long... Chaque heure paraît interminable.
J'appréhende d'aller à la barre avec tous ces gens que je ne connais pas et ces avocats méchants. Ce n'est pas la peur de répondre aux questions - j'ai toujours raconté de la même manière ce que j'ai vécu _, mais la situation m'impressionne.
Le moment fatidique arrive. Je ne sais pas quelle est la date, mais, selon les comptes-rendus, c'est le lendemain de mon anniversaire. Je me souviens m'être avancé à la barre, en tentant de cacher du mieux que je peux la peur qui me vrille le corps. D'ailleurs, pendant l'audition, je me retourne souvent pour voir si tout se passe bien derrière mon dos, car je ne me sens pas en sécurité.
Le président me demande de me présenter - "Jonathan Delay". Il m'interroge sur mon âge et l'école que je fréquente. Je réponds, puis il énonce les raisons de ma présence. Il me demande si je comprends. Je réponds : "Oui, parce que des personnes m'ont fait du mal." Il me montre une planche avec des photos. Je dois les reconnaître et les désigner dans la salle, derrière moi.
Ensuite, je suis lâché dans la fosse aux lions. Je me rappelle la façon dont les avocats de la défense s'acharnent sur moi, notamment Eric Dupont-Moretti, Franck Berton, Delarue père et fils, sans oublier Blandine Lejeune. Je ne sais plus si d'autres m'ont interrogé, mais ces cinq-là m'ont marqué. Ils m'attaquent tout le temps. Aujourd'hui, j'ai encore l'impression que rien ne pouvait les retenir. Voici un exemple de question : "Tu te souviens de la couleur du papier peint de la pièce où tu as été violé ?" Par qui c'était, oui, mais la couleur du mur, non. Eric Dupont-Moretti revient à la charge, en ajoutant "chaque détail a son importance." Bien sûr... Parce que si je ne m'en souviens pas quatre ans après, cela signifie que rien ne s'est produit ? Toute personne violée doit donc désormais prendre note de ce genre de "détail".
A plusieurs reprises, nous aurions aimé que nos avocats se lèvent pour demander au président de calmer la situation, mais ils n'en font rien et lui n'est pas plus actif. Tous paraissent absents et laissent le champ libre à la défense. En revanche, j'entends ma mère crier à plusieurs reprises qu'ils doivent faire attention à la façon dont ils nous parlent, que nous sommes des enfants.
Mon audition devient trop éprouvante, j'ai besoin de respirer et de reprendre mes esprits. Comme j'ai vu d'autres le faire avant moi, je demande une pause. Nous pouvons sortir pendant quinze minutes.
A la reprise, je continue de répondre aux questions. Plus elles défilent, plus la peur m'envahit. Ils sont toujours au minimum trois ou quatre à me poser des questions en même temps. Je me demande pourquoi cette méchanceté, comme si j'avais fait quelque choses de mal. Je finis par perdre le fil, je deviens fuyant, je réponds à côté. Leur méthode est redoutable. C'est pire qu'un interrogatoire avec un policier ou chez le juge. Je n'ai même pas le temps de répondre à une question qu'ils m'en posent une autre. Je suis complètement déstabilisé. Cela dure environ deux heures. Je me sens perdu à la fin.
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