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Citation de Wilkinson


« […] le pessimisme est une théorie bien consolatrice pour ceux qui souffrent, parce qu'elle désindividualise la souffrance, lui donne une dimension de loi universelle, la loi même de la vie ; ainsi elle lui retire ce caractère de cuisante injustice qui fait de celui qui souffre la victime spécifique d'une conspiration ourdie par un destin ennemi.
En fait, notre malheur nous rend surtout amers quand nous contemplons ou imaginons le bonheur de notre voisin – parce que nous nous sentons choisis, distingués pour l'infélicité alors que nous aurions pu comme lui être nés pour la fortune. Qui se plaindrait d'être boiteux si toute l'humanité boitait ? Et quels ne seraient pas les rugissements, et la furieuse révolte, de l'homme qui serait environné de neige, de froid, de vent, au cœur d'un hiver conçu spécialement pour lui par les cieux afin de n'environner que lui – tandis que tout autour l'humanité toute entière s'agiterait dans la lumineuse mansuétude du printemps ?
En effet, murmurai-je, cet homme-là aurait toutes les raisons de rugir...
D'autre part, s'écriait encore mon ami, le pessimisme est excellent pour les inertes, car il minimise leur coupable délit d'inertie. Si le seul but est une montagne de douleur contre laquelle l'âme va se heurter, pourquoi marcher vers ce but en affrontant les embarras du monde ? Et d'ailleurs tous les lyriques et tous les théoriciens du pessimisme, de Salomon à ce malin de Schopenhauer, n'entonnent leur cantique, ne propagent leur doctrine que pour dissimuler les misères qui les humilient, en les subordonnant toutes à une vaste loi de la vie, une loi cosmique, et en conférant ainsi aux infimes imperfections de leur caractère ou de leur sort l'auréole d'une origine quasi divine. Ce brave Schopenhauer formule tout son schopenhauerisme quand il est encore un philosophe sans éditeur, et un professeur sans disciples ; et il souffre de terreurs et de manies atroces ; et il cache son argent sous son plancher ; et il rédige sa comptabilité en grec dans la méfiance et les lamentations ; et il vit dans la cave par peur des incendies ; et il voyage avec un gobelet en fer-blanc dans sa poche pour ne pas toucher du verre que des lèvres de lépreux auraient contaminé !... À ce moment-là, Schopenhauer est sombrement schopenhauerien. Mais il suffit qu'il pénètre dans la célébrité pour que ses nerfs irritables se calment, et que l'entoure une paix aimable, et il n'est alors, dans tout Francfort, de bourgeois plus optimiste, de face plus réjouie, et qui profite plus sensément des avantages de l'intelligence et de la vie !...»
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