-Judith, tu n'as pas une amie qui se cherche un travail?
-Un travail?
-J'ai congédié Fanny. Il me faut quelqu'un dès ce soir.
Je réfléchis rapidement et lui de mande la permission de faire quelques appels. Je réussis à joindre la mère de Pierre qui me donne les coordenées d'Anne. Par chance, cette dernière est chez elle quand je lui téléphone. Après l'avoir saluéè, je lui demande:
-Est-ce que tu as un boulot?
-Je garde des enfants les jeudis et les vendredis.
-Parfait! On cherche quelqu'un à la pharmacie où je travaille. Je dois t'avouer que ça ne représente pas beaucoup d'heures. Les dimanches dans la journée, les lundis et les mardis soirs. Est-ce que tu veux venir rencontrer ma patronne?
Je sens une hésitation.
-Anne?
-Je vais en parler à mes parents.
Surprise, je demande:
-Tu as besoin de l'autorisation de tes parents pour travailler?
-Non . Je dois leur demander s'ils peuvent garder mon fils.
Son quoi?
-Heeeeu!
-Je te rappelle, fait-elle,entousiaste. J'ai très envie d'avoir ce boulot.
Incrédule je reste immobile un bon moment après avoir raccroché. Son quoi?
Dans ma tête, je me répète sans arrêt: '' son fils? Elle a un garçon? "" Qui est le père? Pierre? Noooon! Il m'en aurait parlé. Anne a un fils? Je suis complètement abasourdie!
Raphaëlle se relève avec peine. Elle a encore raté un saut. La glace a mouillé son collant et la culotte de son maillot. Sa cuisse est sûrement rougie et compte sans doute une nouvelle ecchymose. Elle glisse sur ses lames, découragée, et rejoint son entraîneur. Ce dernier a froncé les sourcils : on les voit à peine, cachés sous le rebord de sa tuque. Il a croisé les bras sur son manteau Kanuk, visiblement insatisfait de la piètre perfomance de son élève. Raphaëlle ne le regarde pas, elle sait déjà qu'elle subira ses réprimandes. Malgré tout le talent qu'elle possède, elle se sent minable.
-Eh bien! Qu'est-ce qu'il t'arrive aujourd'hui? lui demande-t-il, impatient.
Lorsqu'il parle, un petit brouillard se produit au contact de l'air froid. Raphaëlle est restée tête basse, penaude. Elle frotte discrètement ses fesses endolories. Encore une fois, la désillusion l'assaille.
-Je ne sais pas. Je n'y arrive pas, marmonne-t-elle.
Je pince les lèvres en me sentant idiote de penser que les oursons peuvent avoir une âme.
Je le remercie du fond du cœur.
– Pourquoi as-tu pris ce risque ?
– Parce que celui que tu attends n’est pas la bonne personne. Je veux t’en faire prendre conscience. Il n’aurait pas pris ce risque pour toi.
C’est à ce moment que je me suis éveillée. Je reste perplexe. Les rêves sont toujours bizarres. Je me demande souvent où j’ai pu pêcher ces idées. Il me semble que mon cerveau, lorsqu’il est réveillé, n’a pas assez d’imagination pour inventer ce genre de trucs. Quand je dois inventer une histoire, c’est toujours d’un ridicule.
-… Jamais, au grand jamais, tu ne nous as demandé un seul soir de congé depuis sa naissance. Fatiguée ou non, tu as pris soin de lui. Tu es une mère extraordinaire, Anne. Sois aussi une jeune fille extraordinaire.
Je remercie mes parents d’être aussi compréhensifs et de m’encourager sans cesse.
Je reviens de l’école dans un état d’exubérance avancé. Il ne peut en être autrement puisque, aujourd’hui, j’ai terminé ma quatrième secondaire. Je sautille comme une enfant jusqu’à la maison, où je rejoins Vincent, mon petit frère. Il est aussi excité que moi d’être enfin en vacances. Je me sens légère. Comme c’est bon de savoir que je n’aurai ni devoir ni étude pour les huit prochaines semaines ! Ça, c’est la vraie vie !
Certes, Anne avait un enfant. La vie nous joue de bien vilains tours, mais nous devons avoir le courage d’affronter nos peurs. Arrêtons de regarder notre nombril, voyons plus loin. Plus loin que le bout de l’ongle de notre gros orteil… Oubliez les montagnes, elles n’en valent pas la peine. Faires confiance à vos parents et à vos amis.
-Tu as l’air malheureux, déplore-t-elle.
-C’est ta présence qui m’ennuie, répond-il du tac au tac.
Je n’en peux plus. Je veux une vie normale. Je veux être libre de faire ce que je veux. Je ne veux plus passer ma vie à prouver à mes parents que je suis belle, studieuse et talentueuse sur patins. Ça me tue!