Josef Schovanec

une fois que tes yeux seront ouverts,
le monde t'apparaîtra un rêve
Eva de Vitray Meyerovitch la meilleure experte du soufisme

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, / Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, / Et puis est retourné, plein d’usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ! » En somme, le voyage de l’Ulysse idéal est le voyage utilitaire : celui qui permet d’acquérir argent, mais également bonheur.

L’économie peut être réelle, non par rapport à une autre dépense plus importante d’un voyage plus coûteux, mais par rapport à la seule situation sans voyage.

Dans beaucoup de régions du monde, évoquer les voyages fait penser immédiatement aux visas, passeports et autorisations ; l’argent est considéré comme secondaire, une difficulté que l’on pourra résoudre quoi qu’il arrive.

L’idée de voyager peut agacer. N’est-il pas vrai que les Français réduisent leurs vacances du fait de la crise ? Dans cette optique, voyager souvent peut passer pour une sorte de vain luxe, un attribut des – pour parler comme dans les années 30 – riches oisifs, voire pour une provocation.

Il est donc des voyages qui rendent les névroses les plus fortement implantées sans objet. Il est également des pays plus accueillants, plus ouverts aux différences, vers lesquels le voyage agit de manière décuplée.

Dans une langue où la France se dit faguo, littéralement le « pays de la loi », ou si vous préférez « pays du dharma » en contexte bouddhique, comment associer le pays à quelque turpitude ? En somme, voyager devrait être remboursé par la Sécu.

Quand bien même on l’a pris des milliers de fois dans le passé de sa vie. Le voyage, mieux que nulle autre thérapie, rend obsolètes les traumatismes passés.

Parfois, il faut beaucoup de patience. Il faut surtout beaucoup d’endurance pour supporter les railleries des autres quand on vous a vu en compagnie de l’Arménien.

Je suis un peu comme le moineau qui picore un peu partout. J'ai picoré bon nombre de grains. Mais je ne suis qu'un moineau, pas un aigle prédateur. Le moineau ne peut que rêvasser, admirer l'érudition d'un Mircea Eliade ou d'autres. Regretter l'époque où les cultures gardaient en mémoire poésies et textes anciens. De quoi devenir probablement fossile de trilobite.

Sur le plan social, j'étais seul. J'avais peur des autres enfants - et ce, hélas, avec raison,ou du moins avec de bonnes raisons. La peur était quasiment quelque chose de rationnel et de raisonnable. Chaque jour, je recevais des coups. Certains jeux de groupe tournaient expressément autour des façons appropriées pour se défouler sur moi. Il ne faut pas croire que le phénomène des violences scolaires n'existe que dans les mauvais établissements : j'étais scolarisé dans des établissements de taille restreinte, jugés bons, voire très bons. A l'époque, les surveillants n'avaient pas le réflexe de veiller à ce qu'aucun enfant ne se fasse tabasser. L'ont-ils aujourd'hui ? J'ose y croire, tout en n'en étant pas sûr. Pire : en situation de handicap, la faute de mes mauvaises fortunes sociales m’était naturellement imputée. Si dans un groupe de quatre enfants, A, B, C et D, les trois derniers refusent de jouer avec l’enfant avec autisme A, la « faute » ou l’interprétation du phénomène tiendra à une particularité de A, et non point à une décision blâmable de B, C et D. Une double peine, en somme que nous rencontrerons à toutes les étapes ou presque.

On peut comparer une personne avec autisme qui a appris des codes sociaux à un intermittent du spectacle ou à un comédien. Parce que respecter, appliquer en permanence toutes ces règles a un côté en partie artificiel. L'image est intéressante parce qu'elle montre également à quel point la personne avec autisme peut s'épuiser à respecter ces codes.

Il ne faut pas croire que tout se passe très bien pour les enfants avec autisme dans un « bon » établissement. Pire, les très bons sont en général plus « excluants » pour les enfants handicapés que ceux qui sont réputés mauvais. Un paradoxe ou un scandale qui a ses raisons.

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"Réforme", "refondation", que sais - je encore, on a épuisé à peu près tout le lexique pour ce qui est de l'école. Force est de constater que tout cela semble bien inefficace pour impliquer les jeunes générations dans le cursus scolaire. En particulier ce que l'on appelle (accroche-vous) le "trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité ", qui fait des ravages ; en Amérique, une médication relativement lourde est de rigueur, et dont souvent le premier des effets positifs est pour la poche de certains laboratoires pharmaceutiques.

Tout cela était trop compliqué pour moi. Peu à peu une idée diabolique m'est venue : sauter Noël en partant à ce moment-là de l'année dans des pays où Noël n'a pas cous. Et de ce fait, depuis quelques années je passe Noël en voyage.
Pour autant échapper à Noël n'est pas aussi simple que cela. Je me sens un peu comme le vieil avare Ebenezer Scrooge de la nouvelle de Charles Dickens, A christmas Carol, qui finit toujours par être rattrapé par Noël

Le temps est court. Nos forces sont limitées. Il y a quelques années encore, j’avais foi en la possibilité d’apprendre beaucoup. Dorénavant, je sais que je ne pourrai apprendre que fort peu. L’oubli, la fatigue entrent en jeu.

Et que le véritable amour n'est autre que cet instant d'éternité qui permet que des mondes qui ne devaient pas se lier se rencontrent. L'ultime moteur qui permet de s'arracher à son confort, à son connu, à son même.

Si j'étais un artiste, je dirais comme Paul McCartney que c'est aux toilettes que l'on compose ses plus belles chansons. N'étant qu'autiste, une lettre de différence seulement, c'est là que je médite sur l'étymologie et la polysémie de tout le vocabulaire spécialisé qui au cours des âges a eu toutes sortes de significations. Ainsi que sur le mélange de peur de l'autre et de dissimulation qui semble tellement ancré dans l'être humain, quelle que soit sa culture.

Assurément, il est touchant qu'une personne qui, il y a quelques années encore, était vouée en apparence à la poubelle, qui passait son temps à dessiner des criquets du matin au soir, enfermée dans sa chambre , ait désormais un emploi.

Dans mes moments de déprime, je me sens apatride ; dans mes moments de manie, citoyen du monde.