Josef Skvorecky : dix péchés pour le père Knox
Olivier BARROT dans le décor du
théâtre national des marionnettes de Prague, présente le livre de
Josef SKVORECKY "Dix Péchés pour le Père Knox".
Tout ça, tout ce que j'ai vécu, était beau et heureux. Tout ce que j'étais en train de vivre, les regrets et le désespoir dans lesquels j'étais empêtré, était bête. Mais une fois vécu, ça devenait beau. C'était toujours comme ça. Je le savais. Je savais sacrément bien qu'on ne peut jamais être heureux, parce que le bonheur est foncièrement une affaire du passé.
"Vraiment ? dit la chanteuse. Mais comment savez-vous qu'il va vous descendre ce soir ?
-Il m'en a averti ce matin, dit monsieur Jensen.
-C'est extrêmement irrespectueux de sa part."
La fille sortit un paquet de cigarettes d'un petit sac à paillettes, décora son visage pâle par un clou-de-cercueil blanc, et après une courte hésitation en offrit une au monsieur qui devait être assassiné.
"Non, merci, dit-il. Ou pourquoi pas ? De toute façon, aujourd'hui je vais mourir."
Il prit la cigarette en la plantant comiquement au milieu de sa bouche. La chanteuse attendait qu'il sorte un briquet de sa poche, mais il ne s'est rien passé. Elle frotta donc une allumette, alluma la sienne, et se pencha vers lui avec du feu.
Le monsieur aspira est s'est mis à tousser. Il sortit tout de suite la cigarette de sa bouche, en la regardant avec répugnance.
" Que je sois damné, c'est quoi, cette saloperie ? L'herbe marine, non ?
-Vous n'avez sans doute jamais fumé ça, sourit la fille de toutes ses dents. Cela s'appelle une partisane.
On a commencé par l’esclavagisme – dont la forme socialiste est le stalinisme. Les chefs se font trancher la tête et les rouspéteurs sont expédiés sur les chantiers des pyramides. A présent, nous vivons la période du féodalisme socialiste : les chefs perdent simplement leur trône, les rouspéteurs perdent la grâce du prince, cette grâce qui, de temps à autre, permet un petit quelque chose à ses sujets. Bientôt, nous devrions entrer dans la période de la démocratie bourgeoise : les chefs s’en iront au terme de leur mandat, les citoyens pourront vivre plus ou moins comme sous Dubcek. Puis, on retombera dans de nouveaux emmerdements, qu’on appellera de nouveau du nom de révolution. Les gens ne sont pas faits pour le bonheur.
« Loin de Moscou ― c'est un livre ― un livre ― comme on dit ― un livre ― je veux dire un livre ― où on ― où ils, c'est à dire dans ce livre ― l'auteur nous raconte ― nous raconte ou plutôt nous décrit ― ce qui est arrivé ― nous raconte ― la vie, quoi, là-bas, le travail... comment ça s'est passé là-bas ― loin de Moscou, c'est ça ― très loin de Moscou n'est-ce pas? et l'auteur raconte ― décrit ce qu'ils ont fait ― comment ils ont travaillé... pas vrai ! ― bien travaillé, les camarades, ou pas tellement bien que ça... certain, c'est à dire, ben, y en avait qui travaillaient pas si bien que ça... mais après ils ont compris qu'il le fallait... parce que... ils travaillaient pour eux... là-bas, dans ces contrées... dans ces contrées... loin de Moscou... loin de la capitale de l'Union soviétique... parce qu'il n'y avait plus de capitalistes... qui extorquaient... qui exploitaient... les ouvriers et il fallait améliorer... comment qu'on appelle ça... ah oui, c'est ça, les normes parce que les travailleurs... travaillent pour le peuple alors à la fin ils ont compris... ils ont pris des... comment dire des initiatives là-bas... ils ont pris des engagements sovié... socialistes seulement ça a été dur parce qu'il fallait expliquer aux gens qui ne comprenaient pas... et les curés qui leur disaient qu'ils iraient en enfer s'ils travaillaient...et il y avait aussi des Koulaks... des saboteurs dans ce pays-là, loin de Moscou, loin de la capitale de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques... »
Le sous-lieutenant Prouza se remit enfin de sa stupeur. Il savait que les soldats ne possédaient pas comme lui le don de la rhétorique, mais il ne soupçonnait pas un telle carence de moyens d'expression ― et en plus, il avait l'impression que l'adjudant ne connaissait pas grand-chose au livre. Il se demandait même ce que les curés venaient faire là-dedans.
A sa taille était fixé un vieux sabre autrichien et il paraissait sorti d'une crazy comedy américaine. C'est à cause de ce travail pro-boche que maintenant il était bien obligé d'être héroïque. J'étais curieux de voir si les autres collabos se trouvaient eux aussi à la brasserie. Mais sûrement. Ils étaient tous obligés d'être héroïque, les pauvres !
Un écrivain ne doit pas et ne peut pas parler uniquement de lui. Cela n'a rien à voir avec l'idée romantique ou patriotique du "porte-parole du peuple". C'est l'essence même de l'écriture. Certains écrivains peuvent croire qu'ils sont leur unique sujet : s'ils ont un quelconque talent, c'est en fait l'histoire de leur temps et de leurs contemporains qu'ils racontent, sous forme d'autoportrait. Car tout autoportrait a un second plan, avec des petits personnages qui peinent ou qui gambadent, comme les représentaient les maîtres hollandais. Si un écrivain n'arrive à produire rien de plus qu'une image de lui-même sur fond noir, ce n'est qu'un misérable écrivaillon qui n'est jamais sorti de la puberté, quel que soit le nombre de scènes de baise qu'il met dans son roman.
L'avertissement que les personnages et les événements décrits dans le présent livre sont rigoureusement imaginaires et que, s'ils rappellent au lecteur des personnages qu'il a connus ou des événements dont il a été témoin, la ressemblance ne peut être qui fortuite, ne sera sans doute pas pris au sérieux par personne parce qu'il correspond à la vérité. Car ce livre n'est pas un roman psychologique ou social, mais un roman policier ; il ne décrit pas des hommes et des femmes réels, mais des attitudes réelles dans manifestations rudimentaires, celles qui répondent le mieux aux deux objectifs essentiels d'un roman policier : la découverte de l'assassin et le divertissement du lecteur.
Je ne savais pas quoi dire, je voulais seulement prolonger cette expulsion du paradis, parce que j'étais tout de même un spécialiste malgré mon fiasco, et je savais qu'il était parfaitement inutile de rester là, inutile d'écrire des lettres, d'être spirituel ou sincère, simple ou compliqué, d'y aller avec un poème avec Mlle Stribrna ou de me jeter sur elle comme un charretier ivre. Avec elle, j'avais perdu avant de commencer, j'avais perdu sur toute la ligne.
Sur l’écran de son imagination se projeta l’image de la pomme de la tentation infernale, sous l’aspect d’un séduisant chignon châtain surmontant un cou de cygne.
« …il reste au moins une empreinte, au moins la trace d’une âme, de cette beauté, de cette splendeur, de cet homme ou de cette femme, de ce rêve, de cette légende, d’Emöke… »