Les amants ne pouvaient ni vivre ni mourir l'un sans l'autre. Séparés, ce n'était pas la vie, ni la mort, mais la vie et la mort à la fois.
Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu'au rivage. Ils espéraient encore, car l'espérance au coeur des hommes vit de chétive pâture.
"Dame, relevez-vous, et laissez-moi approcher. J'ai plus de droits à le pleurer que vous, croyez-m'en. Je l'ai plus aimé." Elle se tourna vers l'orient et pria Dieu. Puis elle découvrit un peu le corps, s'étendit près de lui, tout le long de son ami, lui baisa la bouche et la face, et le serra étroitement : corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend ainsi son âme ; elle mourut auprès de lui pour la douleur de son ami.
Quand le lai fut achevé, le roi se tut longuement.
Fils, dit-il enfin, béni soit le maître qui t'enseigna, et béni sois-tu de Dieu ! Dieu aime les bons chanteurs. Leur voix et la voix de leur harpe pénètrent le coeur des hommes, réveillent leurs souvenirs chers et leur font oublier maint deuil et maint méfait. Tu es venu pour notre joie en cette demeure. Reste longtemps près de moi, ami !
Un pêcheur s’en venait, vêtu d’une gonelle de bure velue, à grand chaperon. Tristan le voit, lui fait un signe, le prend à l’écart.
« Ami, veux-tu troquer tes draps contre les miens ? Donne-moi ta cotte, qui me plaît fort. »
Le pêcheur regarda les vêtements de Tristan, les trouva meilleurs que les siens, les prit aussitôt et s’en alla bien vite, heureux de l’échange.
Alors Tristan tondit sa belle chevelure blonde, au ras de la tête, en y dessinant une croix. Il enduisit sa face d’une liqueur faite d’une herbe magique apportée de son pays, et aussitôt sa couleur et l’aspect de son visage muèrent si étrangement que nul homme au monde n’aurait pu le reconnaître. Il arracha d’une haie une pousse de châtaigner, s’en fit une massue et la pendit à son cou : les pieds nus, il marcha droit vers le château.
Le portier crut qu’assurément il était fou, et lui dit :
« Approchez ; où donc êtes-vous resté si longtemps ? »
Tristan dit :
Comment pourrais-je vivre ?
_ Oui, ami Tristan, nos vies sont enlacées et tissées l'une à l'autre. Et moi, comment pourrais-je vivre ? Mon corps reste ici, tu as mon coeur. (p. 79)
Certes comme vous l'entendrez bientôt, jamais, malgré l'angoisse le tourment et les terribles représailles, Marc ne put chasser de son coeur Iseut ni Tristan ; mais sachez, seigneurs, qu'il n'avait pas bu le vin herbé. Ni poison ni sortilège ; seule, la tendre noblesse de son coeur lui inspira d'aimer. (p. 29)
Au fond de la forêt sauvage, à grand ahan, comme des bêtes traquées, ils errent, et rarement osent revenir le soir au gîte de la veille. Ils ne mangent que la chair des fauves et regrettent le goût du sel. Leurs visages amaigris se font blêmes, leurs vêtements tombent en haillons, déchirés par les ronces. Ils s'aiment, ils ne souffrent pas.
Mais qui donc peut longtemps tenir ses amours secrètes ? Hélas ! Amour ne peut se celer !
Fils, lui dit-elle, j'ai longtemps désiré de te voir ; et je vois la plus belle créature que femme ait jamais portée. Triste j'accouche, triste est la première fête que je te fais, à cause de toi j'ai tristesse à mourir. Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, tu auras nom Tristan.
Quand elle eut dit ces mots, elle le baisa, et, sitôt qu'elle l'eut baisé, elle mourut.