Nous sommes emmenés sous le ciel aveugle. Le train plombé s'enfonce dans la nuit qui ne bifurque plus. Quand le mur, au bout, se déchire, il livre sa cargaison de chair. Poids de plume ou de plomb. Sueur. Sacs d'os. Morts et vivants confondus dans le même prix. Le mur derrière nous s'est refermé. Suture obscure du destin. Dans la puanteur et le grelottement, qui sont notre nouvelle maison, nous nous comptons; et nous nous racontons ce que furent nos vies, jadis, dans un monde lointain où le jour succédait à la nuit.
enfants
nés d'une plaie incicatrisable
du ciel
anéantis d'être nés
fût-ce d'un ventre
le plus aimant
d'un désir partagé
qui jamais n'annulera
la cendre
Voler n'est pas difficile. Il
faut courir très vite, puis
rabattre la jambe droite et ne
plus courir que de la jambe gauche.
On peut ensuite cesser com-
plètement de s'agiter. Quelle
joie alors de planer au-dessus
de l'allée et de la cime dorée
des arbres. Les dangers de
l'atterrissage. (à suivre)
et la crainte
à mesure
qui affleure
de rencontrer non le sens
mais le défaut de sens
*
mais il faudra bien un jour
dénouer ce qui est noué
une nuit
tard dans la nuit
au coin d'un feu intérieur
dans la confiance retrouvée
*
qu'est-ce qui te retient
d'entrer dans un café
et de te réchauffer
aux reines de la nuit
*
chaque pas
obscur
sur la neige
tremble au seuil de l'arrêt complet
de la victoire définitive du blanc
*
les lèvres s'habituent aux lèvres et
à l'absence de lèvres
*
éros
tapi dans les replis du rêve
dans les matins déchirants
dans les joues déchirées du soir
toujours en arrière ou en avant de moi
éros reviendra à travers la glace
je le fêterai comme il se doit
Nous errons dans les escaliers de l'hôtel, à la recherche d'une issue de secours. Mais les couloirs débouchent sur des caveaux de marbre peint ou s'ouvrent sur le vide. Nous descendons encore. Les portes au fond des couloirs ne s'ouvrent plus et les édifices mortuaires en trompe-l’œil continuent de nous refuser l'entrée qui nous sauverait. Bientôt, la trappe derrière nous rabattue, nous nous serrerons, assis sur nos valises, sous l'ampoule nue de la cave, fermant sur nos poitrines nos manteaux fatigués.
Depuis que la bascule des années 1970, avec le reflux du brechtisme et de la prégnance des "grilles de lecture", lui a fait abandonner sa position de pouvoir, la dramaturgie se cherche dans le processus de déconstruction auquel elle a à s'affronter. Aggrave désormais cette crise le climat général de défiance à l'égard du drame, qui peut conduire la dramaturgie, au-delà du doute qui lui est constitutif (pour le meilleur) de son "état d'esprit", à une négation d'elle-même, y compris lorsqu'elle travaille sur des oeuvres dramatiques.
Déferlement de cada-
vres en pyjamas. Ils
remontent par millions
aux portes du métro
et des grands magasins.
Faire de la place. Je veux
bien céder le pantalon,
mais pas la ceinture.
Il faut prendre la "Dramaturgie" de Lessing pour ce qu'elle est, un moment décisif dans l'histoire du théâtre, sans perdre de vue qu'elle précède la naissance de la mise en scène et que ce sont celle-ci, son développement phénoménal au long du XXe siècle, et la conflagration provoquée alors entre le texte et ses mises en scène, entre le texte et la scène, qui obligeront à repenser la notion de dramaturgie.
L'action se délite, s'émiette en micro-actions. Frappée de paralysie et d'impossibilité, elle va donner naissance au XXe siècle à de paradoxales dramaturgies de la non-action, dont le degré le plus bas d'étiage est atteint avec Beckett. Ces dramaturgies de la non-action sont encore des dramaturgies.
A quoi sert alors la dramaturgie? Elle délimite un cadre ou, pour mieux dire, un champ qui sera celui du jeu - dont Dort disait qu'il était "la chair même de la dramaturgie". Il disait aussi, citant Brecht, pour qui "la représentation seule importait", que la dramaturgie devait se consumer dans le "feu d'artifice" de la représentation. La dramaturgie doit se dissoudre dans le jeu et dans le geste de la mise en scène. S'y dissoudre en les nourrissant. De même, lorsque nous écrivons, nous n'annulons pas notre savoir mais nous l'oublions pour un temps. Celui-ci, qui constitue ce que nous sommes, doit "passer dans le sang" pour faire naître les formes imprévues de l’œuvre et agir là où gît son secret.