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Citation de enkidu_


« Ces bêtes ne sont à personne, reprit Patricia. Elles ne savent pas obéir. Même quand elles vous accueillent, elles restent libres. Pour jouer avec elles, vous devez connaître le vent, le soleil, les pâturages, le goût des herbes, les points d’eau. Et deviner leur humeur. Et prendre garde au temps des mariages, à la sécurité des petits. On doit se taire, s’amuser, courir, respirer comme elles.

— C’est votre père qui vous a enseigné tout cela ? demandai-je.

— Mon père ne sait pas la moitié de ce que je sais, répondit Patricia. Il n’a pas le temps. Il est trop vieux. J’ai appris seule, toute seule. »

Patricia leva soudain les yeux vers moi et je découvris sur le petit visage hâlé, têtu et fier, un sentiment dont il semblait incapable : une hésitation presque humble.

« Est-ce que… dites-le-moi… vraiment… je ne vous ennuie pas si je continue à parler des bêtes ? » demanda Patricia.

Voyant mon étonnement, elle ajouta très vite :

« Ma mère assure que les grandes personnes ne peuvent pas s’intéresser à mes histoires.

— Je voudrais passer la journée entière à les écouter, répondis-je.

— C’est vrai ! C’est vrai ! »

L’exaltation de Patricia me surpris jusqu’au malaise. Elle agrippa ma main avidement. Ses doigts brûlaient d’une fièvre subite. Ses ongles, dentelés par les cassures, entraient dans ma peau. De tels signes, pensai-je, n’exprimaient pas seulement la joie de contenter un penchant puéril. Ils montraient une profonde exigence et que l’enfant acceptait mal de voir toujours inassouvie. Se pouvait-il que Patricia fût déjà obligée de payer ses rêves et ses pouvoirs au prix, au poids de la solitude ?

La petite fille s’était mise à parler. Et, bien que sa voix demeurât étouffée et sans modulation, ou plutôt à cause de cela même, elle était comme un écho naturel de la brousse.

Elle tenait en équilibre, en suspens, le travail de la pensée et son effort impuissant à pénétrer l’énigme, la seule qui compte, de la création et de la créature. Elle envoûtait le trouble et l’inquiétude ainsi que le font les hautes herbes et les roseaux sauvages quand les souffles les plus silencieux tirent de leur sein un merveilleux murmure, toujours le même et toujours renouvelé.

Cette voix ne servait plus au commerce étroit et futile des hommes. Elle avait la faculté d’établir un contact, un échange entre leur misère, leur prison intérieure, et ce royaume de vérité, de liberté, d’innocence qui s’épanouissait dans le matin d’Afrique. (pp. 25-26)
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