AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de mimo26


Ils habitaient une bâtisse solide, de taille moyenne, style Tudor, conçue pour résister à tout, apparemment, sauf à la pluie. À travers l’imposte en verre fumé de la porte d’entrée, le garçon distingua deux ou trois seaux dans le vestibule, qui recueillaient les gouttes d’eau, ce qui expliquait peut-être qu’ils ne l’aient pas entendu la première fois. Il frappa encore, recula et jeta un coup d’œil à la maison. Elle semblait trop grande pour un couple âgé, mais elle avait quelque chose qui la distinguait des pièces exiguës, aux parois minces, qu’il avait toujours connues : de la personnalité.

Il fallait bien ça, au beau milieu de nulle part.

La vieille dame arriva à la porte en premier. Lorsqu’elle l’ouvrit, elle appela aussitôt son mari. Il avait l’air encore plus âgé qu’elle et donnait l’impression de se mouvoir avec difficulté. Quand, en passant la tête par-dessus l’épaule de sa femme, il aperçut le garçonnet qui frissonnait sur le seuil de leur maison, il rajusta ses lunettes, surpris. L’enfant avait la peau sur les os, le regard vitreux, le teint pâle. Seulement un T-shirt et un pantalon, détrempés par la pluie. Les deux vieux regardèrent autour de lui, mais il semblait seul.

La femme, sourcils froncés, s’accroupit.

« Tout va bien, mon petit ? »

Il resta planté là, tout tremblant.

Les yeux plissés, elle scruta de nouveau l’obscurité, puis le prit par le poignet, le tira doucement à l’intérieur et ferma la porte.

« Il est gelé », dit-elle à son mari en entraînant le garçon jusqu’au salon.

Le vieil homme referma la porte à clé, remit le verrou en place et les suivit, les yeux rivés sur les traces de pas humides sur le carrelage.

Le garçon était pieds nus.

« Je m’appelle Dot, annonça la vieille femme. Et lui, c’est Si. »

Comme le garçon ne disait toujours rien, Dot haussa les épaules. Elle dégotta une couverture et alla mettre de l’eau à chauffer. Si prit place sur le canapé, l’air inquiet. À vue de nez, le garçon devait avoir sept ou huit ans, mais à cause des cernes sombres qui encerclaient ses yeux, il faisait plus. Il ne prêtait pas attention à la pièce, ni même aux objets qui se trouvaient devant lui. Il regardait dans le vide. Quand Dot réapparut avec une bouillotte, Si posa affectueusement une main sur le bras de sa femme. Le regard du garçon fila soudain vers eux, comme si ce geste lui était étranger.

« Peux-tu nous dire comment tu t’appelles ? » interrogea Dot en soulevant la couverture pour déposer la bouillotte contre lui.

Il se mit à frissonner de plus belle, à tel point que ses dents s’entrechoquant produisaient le bruit d’un hochet. Il s’obligea à fermer les paupières et serra la mâchoire pour la maîtriser. Dot sonda son mari :

« On devrait peut-être appeler la police ? »

Il avait acquiescé en silence et se levait déjà, bien content d’avoir quelque chose à faire. Pendant qu’elle attendait, elle frotta la tête du garçon. On aurait dit que son sang bouillonnait.

« Dot… »

Si l’appela depuis le vestibule.

« Ne bouge pas », dit-elle.

Quand elle quitta la pièce, le garçon retira délicatement la couverture qui l’enveloppait et s’approcha de l’interrupteur à côté de la porte. Il l’alluma et l’éteignit, l’alluma et l’éteignit encore. Il passa la tête dans le couloir et les observa. Si et Dot, sourcils froncés, venaient de se rendre compte que le téléphone était hors service. Le garçon s’avança sur la plante des pieds jusqu’à la porte d’entrée, souleva le loquet, tira le verrou, et l’ouvrit.

Une forme se détacha de l’obscurité pour se glisser lentement vers lui. Comme il ne pleuvait plus, on distinguait des étoiles que le garçon n’avait encore jamais vues en ville. En se rapprochant, la forme finit par se découper contre le ciel, comme si elle était plus sombre encore que la nuit.

« Brave garçon », dit la forme, l’homme, avec un hochement de tête.

Son visage était plat et anguleux comme une lame, et il arborait une inexpression étudiée. C’était son corps qui disait tout, dans le jaillissement chaotique d’un réseau de muscles et de veines enchevêtrés ; on aurait dit un appareil à stocker toute la haine du monde. Dans sa main droite gantée, il tenait un marteau arrache-clou et de la gauche il lui ébouriffa les cheveux.

Il interrompit son geste, retira sa main, ébahi.

Il avait sorti une pièce de monnaie de derrière l’oreille du garçon et la lui tendit.

« Qu’est-ce qu’on dit, Wally ?

— Merci, Bateman », récita-t-il en prenant la pièce d’un air solennel.

Il s’assit sur le perron tandis que Bateman passait devant lui, dans la maison.

« Hé… »

C’était le vieil homme.

« Qu’est-ce que vous… »

Il y eut un bruit humide et sourd et quelque chose heurta lourdement le sol.
La vieille femme se mit à crier.

« Non, hurla-t-elle. Non… »

Un autre bruit humide et sourd, quelque chose d’autre heurtant lourdement le sol. L’oreille tendue, le garçon perçut un gémissement étouffé qui venait de l’intérieur. Un gargouillis obstiné et un autre mot, peut-être. Peut-être le prénom de son mari. Puis deux claquements de pas, le coup de grâce et le silence total.

Le garçon replia le poing autour de la pièce de monnaie que lui avait donnée Bateman et plongea les yeux dans l’obscurité. La salive lui vint à la bouche et des taches solaires se mirent à défiler devant ses yeux. Au départ, elles scintillaient à peine, puis elles grossirent, accélérèrent, jusqu’à vrombir devant lui comme des rideaux de pluie. Comme s’il regardait fixement une lumière vive au lieu de la nuit noire.
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}