Heureuse époque pour les biographes d’écrivains que celle permettant, grâce aux échanges épistolaires, de reconstituer les vingt-deux rencontres de Gustave et Louise. Depuis le temps s’est accéléré, les échanges ont pris de multiples chemins et les biographies seront, je n’en doute pas, de plus en plus incertaines et sujet à controverse. Tandis qu’ici l’auteur structure son récit à partir des lettres de Gustave et de Louise, telles qu’elles ont été conservées, se contentant d’en commenter des extraits choisis, avec beaucoup d’humour et de retenue.
De leur rencontre entre 1846 et 1848, les amants ne se seront vus que six fois, un premier acte mouvementé. Le chapitre 10 est d’ailleurs intitulé très finement « Entracte », avec rupture puis départ de Flaubert en orient accompagné de son ami Du Camp. Entracte au cours duquel Louise connaît diverses liaisons amoureuses qui ne parviennent pas à lui faire oublier son grand amour. Le deuxième acte court de 1851 à 1855 où une Louise obstinée parvient à ramener Gustave vers elle.
J’ai aimé découvrir la genèse des œuvres de Flaubert. A 15 ans, Gustave est amoureux d’Elisa Schlésinger. Elle servira de modèle à Marie Arnoux dans L’éducation sentimentale.
Après l’échec de La Tentation de saint Antoine, le sujet de Madame Bovary aurait été soufflé par son ami Bouilhet reprochant à Gustave une tendance à tomber dans le lyrisme...
Gustave cultivera toute sa vie l’exaltation de l’adolescence, l’amour, la pureté, la beauté, le sublime, l’éternité. Il va s’attacher à construire son œuvre, seul endroit où il peut trouver l’absolu recherché. L’amitié chez lui est masculine et sert sa passion d’écrivain (Louis Bouilhet, Maxime Du Camp...). L’amour qu’il porte à Louise est d’autant plus intense qu’il la tient éloignée de son quotidien.
L’auteur s’agace par moment de ce qu’il trouve dans les lettres de Gustave. « On ne saurait être plus goujat ! »... « Quelle triste conception de l’amour ! ». Joseph Vebret admire visiblement l’écrivain mais a plutôt le cœur du côté de Louise, amoureuse d’un drôle de lascar donnant moins qu’il ne reçoit. Encore qu’il module : pour ces deux-là on a l’alliance de l’eau et du feu ; Louise en prise avec la vie parisienne, autrice reconnue tenant salon alors que Gustave en Normandie rêve d'accéder au statut d’écrivain ; elle vivant intensément chaque jour, lui se retirant le plus possible dans la littérature.
Louise et son entêtement ! Une femme forte, qui ne s’en laisse pas compter. Liée avec divers artistes de renom, poétesse célèbre, couronnée par l’Académie française, elle a tenu salon chez elle avec Victor Hugo, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Charles Baudelaire, ainsi que de nombreux peintres et politiciens...
George Sand avait eu une relation avec Alfred de Musset dans leur jeunesse. On retrouve le même Musset, vieillissant et porté sur l’alcool, en amant de compensation d’une Louise désemparée. La biographie de l’ouvrage cite des titres qui disent beaucoup : « L’indomptable Louise Colet », Louise Colet ou la Muse », Gustave Flaubert, une manière de vivre », « Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur », « Les véhémences de Louise Colet », « Louise Colet et ses amis littéraires », « Mon cher volcan ou la vie passionnée de Louise Colet », « Flaubert, une jeunesse d’ours », « Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi les hommes. »
J’ai eu aussi quelques surprises : Gustave s’engageant dans la garde nationale et qui aurait été vu participant à une barricade un fusil à la main lors de la révolution de 1848 ? Mythe ou réalité ? Personnellement je ne l'imagine pas autrement qu'en observateur prudent...
Gustave avait tous les atouts en main et a réussi à atteindre son objectif de postérité. Louise a dû batailler dur et est en passe d’être oubliée. On doit être reconnaissant à Joseph Vebret de redonner une visibilité à celle que Gustave Flaubert appelait « La muse ». Rare sont les femmes à passer la barre de la misogynie à cette époque et quand une George Sand y parvient, c’est en masculinisant son nom !
Joseph Vebret est auteur et éditeur. Il a notamment écrit sur les procès de Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et Oscar Wilde, ceci parmi une quarantaine d’ouvrages (romans, récits historiques, théâtre, anthologies). Ce Flaubert et Louise Colet est parfait, passionnant de bout en bout. Il m’a éclairé, une fois de plus, sur les mécanismes conduisant à la sélection littéraire, qui n’a rien de naturel et d’absolu. J’aime m’intéresser aux oublié (es) de ce récit national qui gomme ce qui lui déplaît. Vous avez compris que cette Louise Colet attire ma curiosité. Depuis quelques années on la redécouvre et pour la première fois depuis longtemps deux de ses romans ont été réédités : Un drame dans la rue de Rivoli et Une Histoire de soldat. Je serais peut-être amené à parler dans quelques temps de celle qui a aidé Victor Hugo lors de son exil et que celui-ci acclamait, ce n’est pas rien. Du côté de Gustave Flaubert il a la longue amitié avec la dame de Nohant et c’est beaucoup pour moi également. Heureux livre qui réunit (ou désunit...) tous ces personnages.
Si vous vous intéressez à la littérature du XIXe siècle, à l’art de la biographie, aux livres épistolaires... ce livre de Joseph Vebret est fait pour vous.
Chronique avec illustrations (dessins de Gustave et Louise, de la propriété de Croisset, de la couverture... ) sur Bibliofeel .
Je n’ai pas trouvé de photo de Gustave jeune car il n’était pas du tout en vue. A l’inverse il y a quantité de dessins, gravures et photos de Louise, plus âgée de 10 ans et déjà célèbre dans sa jeunesse.
Propriété de Croisset, imaginée par Thomsen, 1937.
Pavillon de Croisset. Photo : Service audiovisuel, Faculté des Lettres, Université de Rouen
Flaubert meurt à Croisset, le 8 mai 1880, en plein travail sur les dernières pages de Bouvard et Pécuchet.
Peu après, le domaine de Croisset est vendu par les Commanville, et la grande maison est immédiatement détruite. On dit qu’elle se dégradait, qu’il aurait fallu beaucoup d’argent pour l’entretenir. Les Commanville n’avaient pas les fonds nécessaires, et la vente permettait d’éponger bien des dettes.
On a beaucoup glosé sur le devenir de cette maison d’artiste : une usine à pétrole (signe d’un progrès industriel que Flaubert détestait) ; une distillerie d’alcool (à part quelques grogs, on ne lui connaissait aucun penchant pour les boissons fortes) ; une fabrique de papier (ironie du sort…).
Site Université de Rouen
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