Interview de Joseph Zobel.
Quand la journée avait été sans incident ni malheur, le soir arrivait, souriant de tendresse.
D'aussi loin que je voyais venir m'man Tine, ma grand-mère, au fond du large chemin qui convoyait les nègres dans les champs de canne de la plantation et les ramenait, je me précipitais à sa rencontre, en imitant le vol du mansfenil, le galop des ânes, et avec des cris de joie, entraînant toute la bande de mes petits camarades qui attendaient comme moi le retour de leurs parents.
M'man Tine savait qu'étant venu au-devant d'elle, je m'étais bien conduit pendant son absence. Alors, du corsage de sa robe, elle retirait quelque friandise qu'elle me donnait : une mangue. une goyave, des icaques, un morceau d'igname, reste de son déjeuner, enveloppé dans une feuille verte; ou, encore mieux que tout cela, un morceau de pain... Derrière nous apparaissaient d'autres groupes de travailleurs, et ceux de mes camarades qui y reconnaissaient leurs parents se précipitaient à leur rencontre, en redoublant de criaillerie.»
Et cela confirme nettement mon intuition que les habitants du pays se divisent bien en trois catégories : Nègres, Mulâtres, Blancs (sans compter les subdivisions), que les premiers -- de beaucoup les plus nombreux -- sont dépréciés, tels des fruits sauvages savoureux, mais se passe volontiers de soins; les seconds pouvant être considérés comme des espèces obtenues par greffage; et les autres, bien qu'ignares, ou incultes en majeure partie, constituant l'espèce rare, précieuse.
-Médouze est mort, disait-il d’un ton de circonstance. C’est la douloureuse nouvelle que j’ai le chagrin de vous annoncer, messieurs-dames. Ainsi que je le constate, ce qui nous peine le plus, c’est que Médouze est mort et n’a pas voulu que nous assistions à son agonie.
Mais les Nardal !
Dire qu’ils avaient tout ! Tout : l’instruction, les diplômes, les postes administratifs, une maison à étages donnant sur une des plus belles rues de Fort-de-France.
Mais, on ne put jamais dire que Monsieur Nardal ou Paulette Nardal avaient paru, fût-ce une seconde, éclaircis, ou un peu moins noirs. Ils restaient noirs, comme on ne pouvait pas se le permettre à Fort-de-France.
Le concept de négritude jeta le trouble dans l’esprit de certains intellectuels ; mais plus nombreux furent ceux pour qui il joua le rôle de passeur vers une sorte de marronnage spirituel ou un retour à soi. Et ceux-là de s’interroger. C’est d’ailleurs, la non-réponse à leurs questions, qui donne à la Martinique son visage crispé d’aujourd’hui.
"Après bonjour,c'est:quoi de neuf?"