Dans quelques minutes à peine elle occupera avec élégance sa place devant le piano. Elle va recevoir, d'un signe de tête presque imperceptible, le bruyant hommage du public. Sa robe couverte de paillettes brillera comme si la lumière y reflétait les applaudissements précipités des cent dix-sept personnes qui remplissent cette petite salle réservée où mes amis approuveront ou condamneront - je ne le saurai jamais - ses efforts pour interpréter la plus belle musique du monde, à ce que je crois.
Je le crois, je n'en sais rien. Bach, Mozart, Beethoven. J'entends toujours dire qu'ils sont insurpassables et j'ai fini par me l'imaginer. Et par dire qu'ils le sont. Personnellement je préférerais ne pas avoir à passer par cette épreuve. Au fond de moi-même je suis sûr de ne pas éprouver de plaisir et je soupçonne que tout le monde devine que mon enthousiasme est feint.
Je n'ai jamais été passionné par l'art. Si ma fille ne s’était pas mis en tête d’être pianiste, je n'aurais pas, moi, maintenant, ce problème. Mais je suis son père et je connais mon devoir, et je dois l’écouter et lui donner mon appui. Je suis un homme d'affaires et je ne me sens heureux que lorsque je manie les finances. Je le répète, je ne suis pas un artiste. S'il existe un art d'amasser une fortune, d'exercer la domination du marché mondial et d’écraser les concurrents, je réclame la première place de cet art-là.
[Le concert - Augusto Monterroso]