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Critiques de Joyce Carol Oates (3260)
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Ma vie de cafard

Je n'ai lu qu'un seul livre de Joyce Carol Oates, un livre qui m'avait projetée dans l'intimité d'un grand malade psychopathe et qui m'avait grandement perturbée, mais dont j'avais aimé la plume. Il était donc logique que je revienne vers elle, sans trop savoir vers lequel de ses nombreux romans je me tournerai (d'autant que je m'en étais noté pas mal). C'est un peu par hasard que j'ai choisi "Ma vie de cafard", le titre et les thèmes associés étant attirants.



Un cafard, outre l'insecte, désigne également une personne qui moucharde ou dénonce. Dans ce roman, il s'agit de Violet Rue, gamine de 12 ans, témoin d'un événement accusant directement deux de ses frères du meurtre d'un jeune afro-américain. Comme le titre et le résumé de la quatrième de couverture l'indiquent, elle va cafarder, entraînant l'arrestation et la condamnation de ces derniers.



L'histoire se déroule en premier lieu à South Niagara, dans l'état de New York. Violet revient sur son enfance et sa vie de famille d'avant le drame, prend le temps de nous présenter chacun des membres : son père, que tout le monde craint et adore ; sa mère, dévouée à son mari et ses enfants mais malheureuse ; ses quatre frères et ses deux sœurs, tous plus âgés qu'elle. Une vie de famille tout ce qu'il y a de plus normale (ou presque), jusqu'à ce fameux jour où Hadrian Johnson se fait agresser et meurt quelques jours après de ses blessures.



Reniée par sa famille pour avoir dénoncé ses frères lors d'un moment de panique et de forte fièvre, Violet est recueillie par une tante et continue à nous raconter son histoire, désormais sa vie de cafard.



Rejet familial, violence, racisme, sexisme, abus sexuels, culpabilité, honte, vont bercer les vingt années qui vont suivre, toujours dans la peur de représailles et toujours avec l'espoir qu'on lui pardonne et qu'on lui demande de revenir...



Joyce Carol Oates nous entraîne dans une histoire sombrement initiatique, dans laquelle on aimerait prendre sous son aile cette gamine complètement perdue et rejetée, qui tente d'avancer et briller pour se faire pardonner, pour rentrer, pour retrouver sa vie d'avant, son insouciance, son enfance. J'ai souffert avec elle et perçu ses moindres ressentis, elle m'a beaucoup touchée.



Et la plume de l'autrice y est pour beaucoup, puisqu'elle sait nous raconter des choses moches de belle manière. Une plume qui a une âme, s'adressant directement au lecteur, lui permettant de s'impliquer dès les premières pages. Une plume sachant décortiquer la complexité des liens familiaux autant que les sentiments et la psychologie des personnages. Une plume qui dégage une certaine aura, rendant l'atmosphère ambiante pas toujours très confortable et pourtant captivante.



Joyce Carol Oates prend le temps de tout installer, les personnages, les lieux, le contexte socio-familial. Son histoire, tragique, ne nous laisse pas indifférents, tout comme ses personnages, fouillés et bien campés, qui nous touchent ou qu'on déteste profondément.



Roman noir, roman iniatique, roman psychologique, "Ma vie de cafard" est tout ça à la fois. Bouleversant, incandescent et intense, tels sont les premiers mots qui me sont venus à l'esprit en le fermant. J'ai beaucoup aimé, vraiment beaucoup aimé.

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Les Chutes

Les Chutes



Niagara Falls.



Une île au milieu des Chutes.



Goat Island.



Les Chutes.



Horseshoe Falls. American Falls.





Le vacarme incessant des tonnes d'eau qui se fracassent, qui se jettent à corps perdu dans le vide.

Comme cet homme, ce jeune pasteur, en voyage de noces. Qui laisse Ariah.

Ariah, la Veuve blanche des Chutes.

Ariah, jeune femme étrange, pas si jolie, mais diablement attirante. Il se damnera pour elle, le play boy de service. Dirk Burnaby, brillant avocat, riche, un beau jeune homme plein d'avenir.



Ils se marièrent, très peu de temps après le suicide de l'Autre...Et s'installèrent non loin des Chutes, à Niagara Falls.





Les Chutes.

Omniprésentes. Impressionnantes. Attirantes. Époustouflantes. Mais Dangereuses.





Je n'ai pas résisté à la fascination des Chutes. J'ai lu ce pavé en deux jours. L'histoire m'intriguait, m'entraînait, me captivait, me subjuguait, et m'a emportée.

Dès le début, le ton donné est dramatique. Dès le début, on se sent oppressé, tendu, sur le qui-vive.

Et si jamais l'envie vous prend d'aller vous balader sur Coat Island pour admirer les Chutes du Niagara, histoire de prendre l'air, histoire de se vider la tête , dîtes vous bien que ce magnifique paysage, ce décor incroyable ne vous délivrera pas de cette angoisse qui s'intensifie au fil des pages.

Bien au contraire...





Les Chutes



Toujours là, saisissantes...

Toujours là, inquiétantes...

Toujours là, funestes et … fatales.





Fatales, vraiment ?

N'y aura-t-il pas une lueur d'espoir ? Une échappée possible au destin maudit de la famille Burnaby ? On a envie d'y croire …

Mais pour cela, il faut se dépêcher de terminer le livre !

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Premier amour

Ransomville, État de New York.

La vieille maison des Burkhardt, cossue, comme toutes celles de Trinity Street, appelée "la maison du révérend" depuis plusieurs générations de pasteurs presbytériens, n'est plus habitée que par Ester Allan Burkhardt et son petit-fils adoré et vénéré, Jared Jr.

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L'acariâtre vieille dame a recueilli sa nièce Delia et sa petite-nièce Josie lorsque la mère de celle-ci a quitté son mari, sans en expliquer la raison à la fillette.

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Josie, 11 ans, se retrouvant très souvent seule dans l'immense bâtisse, descend souvent vers le marais en contrebas de la maison, au bord de la Cassadaga, rivière dont sa mère lui a vanté la beauté.

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En tant que parentes pauvres, Delia et Josie sont reléguées au second étage, dans deux pièces exiguës, la plupart du temps ignorées par Ester et son fils.

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C'est lors de l'une de ses excursions dans le marais que la gamine tombe sur son cousin, Jared Jr, 25 ans, étudiant dans un séminaire, se destinant à embrasser la carrière de ses aïeux.

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Je ne sais pas trop comment donner mon avis sur cette lecture dérangeante.

Appelons les choses par leur nom, le cousin est un pédophile et fait subir des atrocités à la petite Josie.

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La 4e parle de vertige des fantasmes et d'érotisme... je n'ai pas dû lire le même récit.

Du reste, la 4e de la version originale est bien plus représentative :

"A thirteen-year-old girl moves with her mother to her aunt's house, where she becomes involved in an affair with her aloof, twenty-five-year-old cousin, a seminary student, a liaison that leaves her victimized and confused."

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La plupart des choses ne sont que suggérées mais d'autres suffisamment décrites pour me choquer. Pourtant, il m'en faut beaucoup.

Après, c'est Joyce Carol Oates et j'adore sa plume.

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Encore un livre que je ne saurais conseiller ou déconseiller.

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Les Chutes

A l’issue de cette lecture, je me suis demandé avec crainte comment j’allais pouvoir écrire un commentaire qui ne soit ni fade ni plat.

L’écriture tout en relief et en densité de JCO me paralyse, je me sens incapable de produire une ligne digne d’intérêt.

Vidé, totalement sous le charme de la force du contenu de ce roman.

Je voulais commencer par : Passionnant, mon premier Oates, je me réjouis, j’en ai encore 127 à lire ! Ridicule.

Ou alors par : Il y aura un avant et un après « Les Chutes ». Comme une fracture dans mes lectures. Facile.

Ou bien : Avec une joie profonde, je me suis laissé emporter dans le tourbillon des phrases de Joyce qui rendent Les Chutes incontournables, inévitables. Et je suis tombé d’dans, calîce.



Tabarouette, me v’la pas bien à l’aise pour poursuivre…



Niagara Falls, Etats-Unis – Canada, années 60. Ce roman m’a transporté dans un univers que je ne connaissais pas, que je n’imaginais pas, étayé par une trame romanesque qui m’a totalement happé par son intensité dramatique.

« Sortir de sa famille. Pour qui, pour quoi, pour une grande cause, pour sauver des inconnus ? »

L’écriture de JCO est tout en finesse et en subtilité ponctuée par des phrases courtes et percutantes, point contre poing.

Je peux parler de plaisir de lecture, d’une sensation d’osmose avec ce texte à la tension toujours présente, souvent sauvage, quelquefois salutaire.

Je n’ai pu détourner mes yeux de ces cataractes hypnotiques et vrombissantes qui avalent la destinée des êtres et l’avenir de leurs proches comme je n’ai pu détacher mes yeux de ces pages où les événements, les émotions et les drames de la vie s’enchaînent à « cent à l’heure », et pourtant, grâce à l’acuité acérée de l’auteure j’ai eu tout de même le temps de profiter du paysage des âmes et du panorama de leur profil psychologique étudiés avec minutie.



« Le Monde » mentionne en 4ème de couverture que l’on retrouve dans ce roman les grandes obsessions de JCO. J’ignore les obsessions de cette femme, mais je peux attester y avoir rencontré un patchwork vibrant et exalté des comportements humains et de ses tourments :

L’amour et le déchirement de la famille, la fragilité de la beauté, la solidité et la fatigue du couple, la peur et l’attirance de la mort, le dépassement de soi et de sa condition, l’austérité de la solitude, la puissance et la défaillance de la justice, la corruption et le meurtre, la culpabilité, le pouvoir de l’argent et la foi.

Il y a aussi et surtout la jubilation de la réussite et le ravage des chutes…



Une chute, enfin ! Quand JCO cite les aquarelles de Winslow Homer et fait allusion à une des plus belles toiles de John William Waterhouse, Lady of Shalott, elle ne peut être que ma copine.



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Un livre de martyrs américains

Je n’avais jamais lu Joyce Carol Oates, une femme de lettres américaine née en 1938, auteure de plusieurs dizaines de romans, auxquels il convient d’ajouter essais, pièces de théâtre, recueils de nouvelles et de poésies. Un livre des martyrs américains est son dernier opus. C’est un roman qui pourrait être le récit d’une histoire vraie, un récit enrichi de témoignages semblant pris sur le vif.



Le livre commence comme un thriller sanglant. En novembre 1999, un individu qui se dit « Soldat de Dieu » raconte en direct son meurtre prémédité d’un homme qu’il qualifie de « médecin avorteur ». Un meurtre qu’il revendique au nom de sa foi religieuse. Il tue en même temps le garde du corps du médecin.



Luther Dunphy est un homme fruste, à l’esprit malade et pervers. Incapable de s'assumer, enfermé dans le déni, il s’est réfugié dans une bigoterie absurde au sein d’une église évangélique radicalisée, comme il en existe de nombreuses aux États-Unis. Des chapelles où l’on fait allégeance à la « Parole de Jésus » et non à la Loi des hommes. Où l’on considère que l’avortement est un assassinat et qu’un médecin avorteur est un tueur en série qu’il convient d’éliminer.



La famille Dunphy est à l’image du père. La mère et les enfants sont arriérés, à la limite de la débilité. Vivant dans la crasse et le désordre, ils sont manipulés par un environnement de bigots qui élèveront leur père au rang de héros, et plus tard, de martyr.



La cible du tueur, le docteur Augustus (ou Gus) Vorhees, était un médecin obstétricien laïque aux idées progressistes, convaincu du droit des femmes à disposer librement de leur corps. A l’écoute de celles qui, pour une raison ou pour une autre, se refusaient à mettre au monde un enfant non désiré, il pratiquait des avortements depuis des années. Lors de sa mort, il exerçait dans le centre spécialisé d’une petite ville du Midwest américain, dans un contexte ayant légalisé l’interruption de grossesse.



La disparition du mari et du père provoque un cataclysme dans la famille Vorhees. Les enfants découvrent que l’engagement de Gus l’exposait à des menaces qu’il connaissait, qu’il assumait en toute conscience et qui faisaient vivre sa femme dans l’angoisse. Leur reste le sentiment d’avoir été abandonnés par leur père au profit de ses convictions. Ou de ses ambitions.



Les deux familles vont suivre, chacune de son côté, la longue procédure judiciaire qui conduira Luther Dunphy dans le couloir de la mort. Deux personnages principaux émergent peu à peu : les filles cadettes des deux familles, Dawn Dunphy et Naomi Vorhees. Leurs profils s’opposent, mais elles sont toutes les deux anéanties par l’acte du début et par ses prolongements. A mon étonnement, j’ai été captivé par l’évolution et le parcours de ces deux jeunes filles, puis jeunes femmes, jusqu’à l’inattendue et émouvante fin concoctée par l’auteure, douze ans après le meurtre… Le talent d’une romancière !



Pour attester d’une complexité difficile à assumer par les uns et par les autres, l’auteure n’hésite pas à prendre du recul et à peindre dans toute sa largeur une société américaine en butte à de nombreux problèmes sociaux et sociétaux, parmi lesquels le racisme et l’intolérance dans le pays profond, périphérique et rural. Les paradoxes ne manquent pas, notamment le constat que les conservateurs « pro-vie », hostiles à l’avortement, sont de fervents partisans de la peine de mort, à laquelle les progressistes « pro-choix », sont opposés par conviction.



Finalement qui sont les martyrs ? A l’approche de son exécution, Luther Dunphy se voit en martyr au service de Jésus. C’est aussi en martyr que l’érigent ceux qui le soutiennent. On est dans la même logique monstrueuse que celle des islamistes radicalisés qui tuent au nom d’Allah. Le docteur Vorhees pourrait être considéré comme un martyr de la lutte pour la libération de la femme. Et que dire des enfants dont les pères ont sacrifié l’équilibre, au profit d’une cause qui leur paraissait essentielle et qui ne comptait peut-être que pour leur propre ego ?



Le martyr n’est qu’un « idiot suicidaire », selon un personnage apparaissant dans la seconde partie du livre. A chacun d’en penser ce qu’il croit bon.



L’écriture de Joyce Carol Oates est ample, déliée, le ton est vivant, varié, adapté aux narrateurs auxquels elle prête sa plume. Des passages en italique lui permettent de mettre en perspective plusieurs narrations, plusieurs moments, plusieurs points de vue. On sent que les mots lui viennent facilement, trop facilement peut-être, inspirant quelques redondances, quelques détails en trop, quelques longueurs. Fallait-il huit cent cinquante pages ?


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Respire...

J’aime beaucoup la plume de l’écrivaine américaine, Joyce Carol Oates, qui sait si bien raconter les soubresauts humains mais j’avoue avoir eu du mal à lire Respire.

Le thème de la perte d’un époux lui a été inspiré par la mort de son second mari et, sans doute, y a-t-il une part autobiographique dans ce roman.

Sur 400 pages, on suit l’évolution de Michaela entre le moment où son mari est admis à l’hôpital, condamné par un cancer, et la période après la mort où son esprit divague.



Gérard et Michaela forment un couple uni et fusionnel. Leur complicité intellectuelle cimente leur union. Exilés un temps au Nouveau Mexique, loin des amis et de la famille, ils vont devoir affronter la maladie. Respire ! dit Michaela à son mari qui étouffe sous son respirateur. C’est poignant car on assiste à l’impuissance d’une épouse qui ne peut imaginer la vie sans son époux.

Lorsque la mort survient, Michaela continue de faire vivre Gérard. Il l’accompagne partout, ou bien elle le retrouve sur des sites touristiques qu’elle s’oblige à visiter car elle croit qu’il l’attend afin de passer de l’autre côté de la vie avec elle.



« Un fait curieux : une partie de toi croit que (probablement, presque certainement) Gérard t’attend quelque part sur le sentier du canyon mais en même temps tu sais que Gérard est mort, que Gérard est devenu de (simples) cendres, déjà rangées dans l’une des grandes valises et tendrement enveloppes de tes propres mains dans le peignoir éponge de Gérard pour les protéger de tout accident. »



La confusion de Michaela est poignante, elle tient à poursuivre ses ateliers d’écriture avec ses étudiants, s’intéresse à eux, et cela lui permet de maintenir la douleur à distance. Mais cette souffrance de la perte de l’être aimé la poursuit, au point qu’elle devient confuse.

Elle est veuve. Ce mot revient souvent, façon de l’apprivoiser et d’accepter d’entrer dans le deuil. Mais son corps résiste.

Il y a l’hôpital aseptisé, et la chaleur accablante du Mexique, et ces figures grotesques de figures de dieux qui décorent la maison, tout cela contribue au malaise de Michaela. Elle songe même au suicide.



« Malade de culpabilité, de honte.

Le premier devoir de la veuve est de rejoindre son mari.

Nous sommes sur terre pour adoucir mutuellement notre solitude.

Rien de plus solitaire que la mort.

Tu sens ta tête s’alléger comme un ballon rempli d’hélium. Tu es prise d’une soudaine griserie. Bientôt, cette épreuve sera terminée ! »



Joyce Carol Oates a pris le parti de dire tantôt « tu », tantôt « elle » en parlant de son héroïne et cela illustre bien cette confusion dans la tête de Michaela qui, par moment, perd pied.

Ses pensées sont parfois en italique tandis que de nombreux mots se retrouvent entre parenthèse, et j’ai trouvé que cela ralentissait ma lecture.

Malgré une lecture complexe et certaines longueurs, j’ai été touchée par ce récit sur le deuil et sur la fragilité de l’héroïne.



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Carthage

Une horreur, une abomination.

Un samedi soir, votre enfant, votre jeune fille de 19 ans ne rentre pas de chez son amie. Vous découvrez son lit, vide, à 4 heures du matin. Disparue. Tuée ? Par qui ? Par l’ancien fiancé de sa sœur ? Par une bande de motards violents ? Où est son corps, alors ?

Commence votre chemin de croix. Horrible. Abominable.

Les recherches dans la réserve de la Nautauga, quasi frontalière avec le Canada.

Les appels à la TV, les journalistes envahissants.

L’espoir.

La peur au ventre.

L’horreur. L’abomination.

Et puis les années passent.

Et puis...Mais je m’arrête là. Je m’en voudrais de vous ôter tout le « plaisir » de la découverte.



En tout cas, personne, je dis bien personne, excepté Joyce Carol Oates, n’a le don exceptionnel de se mettre à la place des gens impliqués dans ce drame, à part ceux qui l’ont déjà vécu. Mais tout drame est unique, n’est-ce pas ?

Je peux vous certifier que vous allez vivre DE L’INTERIEUR cette horreur, cette abomination.

Et pas seulement en vous focalisant sur un seul être, mais sur tous, chacun à leur tour.

Car une catastrophe ne touche pas un seul individu, une seule victime.

La victime, la mère, le père, la grande sœur, l’amie, le présumé coupable, ses amis, sa mère.



Le présumé coupable. Parlons-en. Ce beau garçon, soldat blessé au retour de la guerre d’Irak, après ce 11 septembre où l’Amérique devait combattre le Mal. Traumatisé dans son corps et son cœur. A vie. A mort.



La victime elle-même. Parlons-en.

Une fille très spéciale, qui des 2 sœurs, est « l’intelligente », c’est-à-dire, plus crûment, « la laide ». Nous la suivons jusqu’au bout : avant, pendant, après.

Et nous assistons à un magistral décorticage psychologique fouillant jusqu’aux tréfonds de l’âme.



En passant, Oates nous décrit avec une minutie hors du commun la vie des prisons ainsi que la vie au combat.

Violence. Torture physique et psychologique. Faiblesse. Résistance. Domination jubilatoire.

Abattement. Désespoir. Auto-sabotage.

Religion. Alcool.

« Exposer le ventre malade de l’âme américaine » : Oates en est la spécialiste ultime.



Magistral.

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Valet de pique

Je suis une fois de plus admirative du talent de Joyce Carol Oates. Style impeccable et efficace, suspense prenant ; en un peu plus de deux cents pages, elle livre le portrait à la fois drôle et inquiétant d’un auteur de romans policiers à succès embarqué dans une folie meurtrière.



Certes, le procédé est classique et a même été utilisé par Joyce Carol herself : écrire sous pseudo ! Rien de mieux semble-t-il pour pimenter la vie et l’écriture d’un auteur reconnu que d’emprunter ni vu ni connu des chemins de traverse littéraires. Oui, mais cela peut s’avérer extrêmement dangereux si l’alter ego fictif devient trop…vivant en quelque sorte.

C’est ce qui arrive à Andrew J. Rush qui, dans le plus grand secret, écrit aussi sous le nom de Valet de pique, d’« une plume plus crue, plus viscérale, plus franchement horrifiante ». Bref, le Valet de pique incarne sa face noire, à l’image de la carte, symbole fourbe et malhonnête.



« Il est rare d'entendre la voix de la folie. La voix véritable, déchirante, de la folie d'autrui. »

« Pour détruire le mal, nous devons détruire l'être habité par le mal, même s'il s'agit de nous-même. »

Voilà bien des domaines de prédilection ( d’obsession ? ) de J.C. Oates que l’on retrouve à nouveau ici et où son sens de l’analyse excelle : la folie, le mal.



Mais entendons-nous : il ne s’agit pas selon moi d’une oeuvre majeure de l’écrivain, certains développements sont un peu courts, voire frustrants, en particulier dans l’affaire du plagiat.

Un très bon moment de lecture, voilà tout !

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Les Chutes

Me voici bien embêtée. Un livre que j'ai adoré, et je ne sais pas trop comment aborder ce retour, D'habitude c'est plutôt avec les livres que je n'aime pas que ce phénomène se produit.

Un livre d'une telle richesse, où l'autrice aborde énormément de thèmes, où l'écriture est une telle merveille que je ne sais par où commencer.



Peut-être l'histoire. C'est celle d'une famille, que l'on voit se créer, dont certains membres vont disparaitre, dont certains vont avoir du mal à cohabiter, dont certains voudront disparaitre. Et qui nous entraîne de surprise en surprise.

Et dans cette famille en tout premier lieu, la mère, personnage complexe qui m'a souvent exaspérée, par son attitude. On a l'impression qu'elle a peur du bonheur, et qu'elle ne s'autorise pas, sauf à de courts moments à être heureuse. Elle est parfois naïve, parfois autoritaire, manipulatrice, certainement un peu névrosée, hautaine, voire méprisante. Et pourtant aucun de ces adjectifs ne peut la résumer. Elle était une jeune femme inexpérimentée, elle deviendra une femme très forte, la colonne vertébrale de cette famille.

Il y a aussi le mari, devrais-je dire les maris, même si le rôle du premier est plutôt limité, à la fois dans l'état de mari, et dans le roman. Et les enfants, dont chacun prendra tout à tour le devant de la scène, très différents les uns des autres, tous marqués par la relation avec leur mère, tous marqués par l'absence du père. Les relations entre les différents membres de la famille sont complexes, et l'autrice prend beaucoup de plaisir à les décortiquer pour nos yeux ébahis et admiratifs de lecteurs.



C'est aussi l'histoire d'un lieu, une ville, Niagara Falls, une ville aux deux aspects, d'un coté la beauté bien connue mais tout de même inquiétante des Chutes, et de l'autre la laideur de l'industrie, Chimie essentiellement :

« C'était une jumelle, mais une jumelle difforme. Il y avait les Chutes, et il y avait la ville de Niagara Falls. D'un côté, beauté et terreur de la beauté ; de l'autre, utilité pure et laideur de la fabrication humaine. »

Et ces deux aspects de la ville tiendront à égalité un rôle important dans l'évolution des personnages.

Mais ce qui imprègne tout ce récit, ce qui en est un personnage à part entière, reste quand même cette merveille de la nature, les Chutes, omniprésentes dans le récit, imprégnant tout le texte de leur humidité et de leur attrait parfois maléfique, certains y laissent leur vie et les habitants de la ville s'en méfient :

« Les Chutes exerçaient néanmoins un charme maléfique qui ne faiblissait jamais. Lorsque vous grandissiez dans la région du Niagara, vous saviez. L'adolescence était l'âge dangereux. La plupart des gens du cru se tenaient à l'écart des Chutes et ne risquaient donc rien. Mais si vous approchiez trop près, même par curiosité intellectuelle, vous étiez en danger : vous commenciez à avoir des pensées qui ne vous ressemblaient pas, comme si le tonnerre des eaux pensait pour vous, vous dépossédait de votre volonté. »



L'autrice parle aussi de l'Amérique de ces années qu'en France on a appelé les 30 glorieuses, ces années où le tourisme n'est plus réservé à une minorité richissime, les Chutes se démocratisent, les hôtels changent, les palaces ne sont plus les destinations premières, mais à côté de cette évolution plutôt favorable, d'autres se révèlent plus nocives et ce, dans tous les sens du terme. L'industrie se développe et l'écologie est encore une notion bien méconnue. Il y a des quartiers à Niagara Falls où l'on meurt plus que les autres, et ceux qui meurent n'en sont pas responsables, malgré ce que les autorités veulent faire croire. Impossible de freiner le développement de la ville, tant pis pour ceux qui y laissent des plumes, et s'il faut arroser (et pas avec de l'eau cette fois) , corrompre, n'hésitons pas. Et si certains quartiers deviennent insalubres, peu importe, les responsables de ces grosses industries habitent ailleurs. Ce roman est aussi le récit d'un combat, celui de David contre Goliath, sauf qu'ici les miracles ne se produisent pas et Goliath restera pour cette première fois au moins le plus fort.



Elle nous parle aussi de religion, de ces familles auxquelles la religion dicte leur comportement, qui ne savent plus penser par elles-mêmes, et j'avoue que j'ai été ravie de trouver dans la famille héroïne du livre une distance très salutaire vis-à-vis de celle-ci et de ses obligations , malgré l'enfance de la mère auprès d'un père pasteur.



En dehors du fond tellement riche, il y a aussi la forme. Et en tout premier lieu, l'écriture, qui sait si bien décortiquer les sentiments, mettre à nu tous les personnages, avec une précision dans le mot qui ne déçoit jamais. C'est à la fois fascinant et horrifiant. Que de passages surlignés, sur ma liseuse.

Et puis aussi, ces variations dans les narrateurs, dans les points de vue, ces passages en italique qui relatent les pensées des personnages, et nous intriguent un peu plus. Est-on dans le réel, dans l'imaginaire ? L'autrice ne nous donne pas toutes les clés, à nous de décider.



Pour quelqu'un qui ne savait pas trop comment en parler, je suis devenue bien bavarde. Et encore, je pense qu'aussitôt refermé ce billet, je vais encore penser à bien d'autres aspects que je n'ai pas évoqués. Je vous disais ce roman est infiniment riche, infiniment bien écrit et chaque lecteur peut à mon avis y trouver des sujets qui l'inspirent.

Ce fut une nouvelle fois un plaisir de partager cette lecture, ce livre ou d'autres de JCO, avec mes complices habituels plus quelques autres. Merci à berni_29, bidule62, gromit33, HundredDreams, Isacom, mcd30, mimipinson, NicolaK, Roxanne78, Yaena.

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J'ai réussi à rester en vie

Après la mort inattendue de son mari depuis 47 ans et 25 jours, Joyce Carol Oates a terriblement souffert, mais elle a 'réussi à rester en vie', puis finalement à reprendre goût à la vie...



Son témoignage d'un deuil douloureux et intense, mais paradoxalement assez bref, m'a beaucoup intéressée et m'a par moments troublée. Alors même que JCO affirme se sentir désincarnée et dépersonnalisée, son livre ne l'est pas du tout, il relate certes des moments de désespoir, des rêveries de suicide ou des insomnies terribles, mais toujours avec émotion, chaleur et vie. La différence avec la froideur de L'année de la pensée magique de Joan Didon est d'ailleurs assez frappante.



Plus étonnant encore, il y a très vite de nombreux moments d'optimisme et de douceur : soirées avec des amis, mails de soutiens, échanges avec des étudiants, jardinage, retour du sommeil réparateur, nouvelles rencontres... Sans qu'on puisse douter de sa souffrance initiale ou de son amour pour Ray, JCO semble aller mieux très rapidement, signe probablement d'un instinct de vie et de bonheur très développé. Un rétablissement rapide assez incompréhensible pour moi qui ne fonctionne pas ainsi.



Je sors donc de ma lecture plutôt conquise et très intriguée, avec pas mal de choses à réfléchir et peut-être un jardin à planter. Pour finir, je me permets de conseiller aux éventuels futurs lecteurs de persévérer au-delà des 100 1ères pages un peu arides, la suite en vaut à mon sens la peine.



Challenge Pavés 19/xx
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Nous étions les Mulvaney

Il était une fois une jolie maison de ferme, aux murs couleur lavande, dans le comté de Chautauqua, État de New-York, États-Unis. Là vivait tous ensemble une belle et grande famille, les Mulvaney de High Point Farm.

Il y avait Papa Michael, dit Le Bouclé, solide, charmant, cordial et travailleur, faisant fructifier son entreprise de couverture et sa sociabilité.

Et puis Maman Corinne, Sifflet pour ses proches, longiligne rouquine aux rires éclatants, un sifflotement à la bouche et la lumière divine brûlant en elle.



Cet heureux couple eut quatre beaux enfants:

Michael junior, dit aussi Mulet, version plus récente de son père. Star du football au lycée, plus prompt avec un ballon et ses copains qu'avec les études.

Patrick, alias Pinch, l'intellectuel de la famille, scientifique dégingandé, curieux de tout et doté d'une pensée où rigueur des sciences pures et métaphysique de l'évolution s'entremêlent.

Marianne, également Bouton ou Mésange. La perle fine de cet écrin. Belle, radieuse, le coeur empli de bienveillance et de Jésus, populaire et bon élève... Un rêve.

Enfin Judd, aka Ranger ou Le Gosse, le benjamin, futur journaliste et narrateur de cette monographie familiale. En recherche de sa place après ses aînés.

Et gravitant autour de cette troupe joyeuse, bruyante, taquine et dynamique, des chats, des chiens, des chevaux, quelques poules et vaches, deux chèvres et Plumes un canari, roi de la cuisine.

La vie se déroule sans heurts notoires dans ce cadre idyllique, entre le travail, l'école, les corvées ménagères ou de ferme, les discussions, les plaisanteries et les services dominicaux pour les bons chrétiens de la troupe.



14 février 1976: cette existence vole en éclat. Définitivement. Chassés du jardin d'Eden... ou peu s'en faut. L'horreur frappe les Mulvaney de plein fouet même si la douce et pure Marianne est la véritable victime. Victime d'un viol atroce lors du bal de la Saint-Valentin du lycée de Mont-Ephraim. Persuadée d'être responsable de ce qui lui est arrivé, elle refuse de porter plainte contre le lycéen coupable du crime.

La grande écrivain qu'est Joyce Carol Oates dépeint les affres psychologiques de cette jeune fille naïve, violentée et violée, salie en son corps et son âme par un sale type persuadé de son bon droit de mâle. Comment ne pas se sentir plein de compassion pour Marianne qui puise dans sa foi le courage de ne pas sombrer totalement.

L'impact de cette tragique soirée fait exploser la cohésion familiale et c'est tout le talent de Mme Oates de représenter la déréliction et la déchéance des Mulvaney.



La suite de cette histoire? Je vous invite à la découvrir en vous plongeant dans cette extraordinaire fresque familiale.



Plus je lis les oeuvres de Joyce Carol Oates, plus je suis époustouflée par son talent et la maîtrise dont elle fait preuve. Il est assez rare, à mon avis, d'être aussi prolifique et de qualité, en littérature. Elle renouvelle ses thèmes, ses angles de vue. Ses sujets égratignent toujours le vernis brillant de l'American way of life. Elle dresse dans ses romans une galerie de personnages bien construits, à la psychologie dense et complexe. Nous étions les Mulvaney en est un exemple frappant.

Quant à l'écriture, son style frappe juste, chaque phrase ciselée avec l'art consommé de la grande dame de la littérature qu'elle est. La prose est riche, dense et limpide. Que ce soit dans ses descriptions ou dans les moments plus introspectifs, sa plume fascine et ravit par sa puissance évocatrice.

"Le marais. Les arbres mourants dénudés de leurs feuilles, perdant par lambeaux une écorce couleur papier journal moisi. Une odeur de pourriture, d'égout. On n'était qu'à la mi-avril et la vie grouillante, bourdonnante, du marais n'avait pas encore commencé, mais l'atmosphère avait quelque chose de dense, de compact; comme si des formes invisibles, affamées, toutes en bouches et en gosiers, rôdaient aux alentours."



J'ai définitivement trouvé en elle la femme de ma vie littéraire!
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Confessions d'un gang de filles

« Nous n’étions plus des individus-filles mais un faisceau de flammes en marche »



J’y croyais, moi, à Foxfire !

J’y croyais tellement, à ces filles qui s’étaient rassemblées autour d’une cheffe surnommée « Legs » et qui s’étaient donné un nom de feu contre l’Ennemi : l’homme. Entendons-nous bien : l’homme brutal, qui ne pense qu’avec une certaine partie de son corps, qui n’en a cure de ces toutes jeunes filles ; l’homme exploiteur, aussi. L’homme rusé, l’homme pervers. C’est contre cet Ennemi-là que Foxfire s’insurge, défend les filles, les femmes, pauvres, seules, abandonnées ou obligées d’obéir, vierges ou non. Nous sommes en 1954, et la société américaine très puritaine n’est dominée que par les hommes, blancs évidemment.

« Legs » est une pure, la vraie soldate ivre de faire le bien, mais rebelle, complètement givrée. Cela ne m’a pas du tout étonnée de voir s’agglutiner autour d’elle d’abord 4 jeunes filles complètement différentes, puis au fil des mois encore d’autres. Maddy, la narratrice, est une inconditionnelle de Legs. Elle a tout noté dans son carnet, tous les faits et gestes de Foxfire, depuis sa création jusqu’à, malheureusement, son effacement. Et pourtant, j’y croyais, moi, à Foxfire.

Mais comme tout ce qui est à côté de la légalité, comme tout ce qui détruit, il ne faut pas s’attendre à ce que cela demeure éternellement. La société s’en mêle, le quotidien, aussi, et ses difficultés financières. Car ces filles sont pauvres, même – surtout – associées.

La folie guette, le drame aussi.

Et pourtant, j’y croyais...



Encore une fois, JC Oates m’a attrapée dans ses filets. Cette magicienne de la psychologie a mille entourloupes pour se glisser dans la peau d’héroïnes qui, vues du dehors, suscitent le mépris ou le rejet. Un gang de filles ! Des dévergondées, oui ! Des petites putes qui ne pensent qu’à foutre le bordel partout ! Tous ces gens bienpensants de l’Amérique profonde des années 50 les ont en horreur.

Mais moi je les ai aimées, je les ai comprises, je les ai crues. Même jusqu’à la fin, inéluctable.

Grâce à Joyce Carol Oates.

Une auteure incontournable.

Une oeuvre multiforme.

Un style vivant, piquant.

Une capacité à se couler dans une infinité de personnages.

Joyce Carol Oates, j’y crois !



« Quoique vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n’oubliez jamais que sur l’autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l’oubli. Que c’est vous contre l’oubli. »

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Mudwoman

Regarde en toi-même et tu y trouveras la lumière...

Difficile de croire cette maxime des Quakers pour une femme dont l’enfance a été jetée dans la boue des marais des Adirondacks, par sa mère de surcroit.

Il lui en a fallu du courage et de la volonté pour s’en sortir ! Recueillie par un couple quaker qui l’a dorlotée mais peut-être mal aimée, elle creuse sa voie intellectuellement et arrive sur les plus hautes marches de l’Université en étant élue première femme présidente.

Mais la boue est tenace et s’est insinuée dans les moindres recoins de son âme, faisant de sa vie privée un ratage complet et empiétant même sur sa vie professionnelle. Meredith Ruth alias M.R. ou ...Jewell ou....Jedina ? pourra-t-elle sortir de ce qui l’englue ?



Joyce Carol Oates, un de mes écrivains préférés, a fait fort avec « Mudwoman » car elle a réussi à m’engluer dans cette atmosphère délétère. Quand la maltraitance sur une enfant atteint ce summum de l’horreur, la folie guette.

Oui, l’intelligence peut sauver, oui, la volonté entraine vers le haut, mais arrive toujours un moment où le passé fétide remonte à la surface et fait des dégâts.

C’est donc très lent, nous entrainant dans une spirale de mort, mort à soi, mort aux autres. Une chronologie bouleversée, un ressassement continuel.

Des cauchemars, des hallucinations, des épisodes véridiques et consternants.

Non, Oates ne nous a rien épargné.

Oui, Oates est encore la reine du roman psychologique, quitte à nous perdre parfois dans les labyrinthes traumatiques.



Affolant. Mais addictif.

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Confessions d'un gang de filles

Dans Confessions d’un gang de filles JCO tel un caméléon devient Maddy, alias Monkey. La mémoire du groupe, celle qui fait les comptes rendus. Et l’écriture s’en ressent c’est ce qui m’a frappé en premier. JCO a complètement adapté son style qui n’est en rien comparable aux autres livres que j’ai pu lire d’elle. C’est différent mais toujours d’un aussi bon niveau. Bluffant.

Tantôt Maddy emploie la première personne du singulier, tantôt elle emploie la troisième personne du singulier, comme si ce qu’elle avait vécu il y a des années lui semblait maintenant relever d’une autre vie, d’un rêve. Comme si celle qu’elle avait été n’était désormais plus.



Maddy (Monkey ou Killer) Rita (Red ou Fire), Goldie (Boom-Boom), Lana, et surtout Margaret (Legs), cinq gamines sans intérêt, dont tout le monde se fout. Le système éducatif, la société, leurs parents. Personne ne s’intéresse à elles.Elles sont pauvres et se sont des filles, c’est la double peine. Personne ne voit aucun atout chez ces paumées, sauf Legs qui elle voit autre chose. Elle voit leurs qualités et leurs défauts, elle voit leurs peines, leurs douleurs, leurs forces, leurs faiblesses, leurs âmes.



On parle toujours de fraternité, le mot sororité est bien moins connu. Pour cause, la société a tendance à cantonner les femmes aux espaces clos. Aux hommes la camaraderie, les bars, les cercles, les clubs, aux femmes la maison et la famille. Legs va faire voler tout ça en éclats et mettre la sororité au centre de son monde et de celui de ses sœurs. Las de voir celles-ci malmenées par une société patriarcale faite par et pour les riches elle va créer son gang : FOXFIRE. Une pour toutes et toutes pour une. Leur monde, leurs règles et après elles le déluge !



L’idée est belle pétrie d’idéalisme, de soif de justice, d’une soif inextinguible d’amour et de solidarité. Le gang compense tout ce que la vie leur a refusé et que la société n’entend pas leur laisser une chance de posséder. Ce qu’on ne leur donne pas elles l’arrache. Elles punissent, se vengent, rendent justice, aident les faibles. Legs a une idéologie, un idéal d’une société égalitaire. Un communisme qui n’est pas nommé, qui lui a été transmis par un prêtre défroqué. Un vagabond céleste.



Ces filles ont le cœur pur et la rage de celles qui n’en peuvent plus de se faire dicter leur conduite. Elles en ont assez d’être des proies sexuelles ; de la chair que les hommes convoitent. Marre qu’on leur demande de se faire oublier, qu’on leur impose de ressentir de la honte pour ce qu’elles sont, pour qui elles sont. Marre de s’excuser d’exister. Tout ça c’est fini ! Elles vont relever la tête, regarder le monde droit dans les yeux faire entendre leurs voix. Une rébellion, une nécessité, pour enfin exister sans se trahir. Elles protègent les autres et sont protégées. Le monde ne peut plus leur faire de mal. Si seulement...



Mais voilà la vie est cruelle et aussi louable soit l’idée de départ, l’idéalisme va se heurter à la dure réalité du monde. Elles ne lâcheront rien, leur idéal d’une communauté de femmes basée sur l’entraide c’est tout ce qu’elles ont. Ce combat est cruellement beau. Autant de passion ça bouleverse le cœur mais ça mène irrémédiablement au drame.



Ce livre est une ode à la liberté. Une critique de la société américaine des années 50 avec son racisme à peine dissimulé et son mépris des classes sociales ouvrières et des pauvres. JCO ose mettre en avant une vision idéalisée du communisme et critiquer ouvertement le capitalisme exacerbé des États-Unis. Culottée la dame !



J’ai souri avec FOXFIRE, j’ai eu le cœur brisé avec FOXFIRE, je me suis indignée avec FOXFIRE, j’ai enragé avec FOXFIRE, j’étais avec elles, j’étais l’une d’elles et elles m’ont émue par la sincérité de leur combat face à l’injustice du monde.

Quoi qu’il se passe, quoi qu’il advienne personne ne pourra leur enlever ce que FOXFIRE a révélé d’elles, en elles.

Dans ma tête j’entendais Lily Allen chantant gentiment mais avec conviction Fuck You. J’ai pensé à Telma et Louise, à Nous rêvions juste de liberté et je me suis dit que non vraiment ces gamines ne sont pas des personnages. Je veux croire que cette histoire était vraie et que le cri de rage poussé par Legs et ses sœurs résonne encore dans les mémoires des habitants de ce bled paumé qui accueilli jadis FOXFIRE.



FOXFIRE BRÛLE ET BRÛLE !



Merci Nico de m’avoir accompagné dans l’aventure, je sens que bientôt on aura toutes nos copines de LC dans le gang !

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Mudwoman

J'abandonne ma lecture un peu avant la 200ième page. Je ne peux plus, je me suis embourbée et enlisée dans l'écriture de Joyce Carol Oates. Trop de détails, trop de réminiscences... Je n'arrive pas à suivre le fil conducteur de l'auteur. Je n'accroche pas et je passe donc à autre chose.
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Ma vie de cafard

Ostracisée.

«Elle avait trahi la famille, voilà le péché impardonnable.»



Jerome Junior et Lionel Kerrigan ont battu à mort un adolescent noir avec une batte de base-ball.

Leur sœur, Violet, 12 ans, a cafardé. Elle doit quitter la maison, aller vivre chez sa tante Irma.

Les années d’attente commencent - «On ne cesse jamais d’espérer parce que, sinon, que reste-t-il?». Violet vit sa vie de cafard. Comme si elle aussi purgeait sa peine.

«Rester en vie. Éviter de me noyer. Tel était le défi.»

Et une fois de plus je suis fascinée par la puissance et la finesse de l’écriture de Joyce Carol Oates, par son génie quand il s’agit d’exprimer la vie des profondeurs dans sa complexité, avec toutes ses contradictions, son ambivalence, ses frémissements, ses bouillonnements, en suggérant l’indicible.
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Blonde

L’histoire de Norma Jeane Baker alias Marilyn Monroe réinventée par Joyce Carol Oates.

On aurait pu croire que JCO ait fait un travail titanesque de documentation sur la vie de Marilyn Monroe, il n’en est rien. L’auteure a mis son immense talent de conteuse, à l’imagination sans borne, pour aller très loin dans le détail de cette vie autant hors norme que tragique. Personne n’aurait pu décrire avec autant de précision l’histoire de Norma Jeane, à part Norma Jeane elle-même. Et bien JCO l’a fait.

Dans un style toujours « Faulknérien », la plume de JCO décortique, dissèque, répare, raccommode avec une précision chirurgicale, la vie et la psychologie de la « Blonde ». Loin du cliché de la femme fatale qui a crevé les écrans technicolors ou inondé les couvertures des magazines, l’auteure nous décrit un être plein de faiblesses, la proie d’un monde machiste, le nouveau jouet des producteurs, une femme persécutée par les angoisses de son état d’orpheline.

S’il n’avait pas été précisé au début qu’il s’agissait d’une fiction, on aurait pu être persuadé que la star hollywoodienne avait livré tous ses secrets par le récit laborieux de Joyce Carol Oates. La multiplicité des chapitres, les longues énumérations d’anecdotes loin d’être ennuyeuses, fastidieuses ou soporifiques, finissent par créer un trouble hypnotique et fascinent.

« Blonde » est une œuvre monumentale sur une femme non moins extraordinaire, bien mal grés elle.

Le récit de JCO restitue parfaitement le mythe, celui de la déesse qui s’est faite mortelle le temps d’une fraction d’existence.

En ce qui me concerne, je garderai le souvenir de cette version de l’histoire.

Traduction de Claude Seban.

Le livre de poche, 1110 pages.

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Nous étions les Mulvaney

La chute de la maison Mulvaney est écrite dès le début, car cette famille n'est qu'une illusion.

Le père et la mère, Corinne et Michael, ont tous les deux quelque chose à prouver au monde. Lui, qu'il peut s'en sortir malgré la malédiction de son père ("va-t-en, tu n'es plus mon fils !") ; elle, qu'elle a pu séduire un beau garçon musclé et qu'elle va pouvoir le garder pour former la famille idéale que tout le monde lui enviera. Tout le monde se doit d'ailleurs d'assister à la réussite des Mulvaney, à leur bonheur, à leur dynamisme. Tout le monde doit admirer leurs superbes enfants : un sportif, champion départemental de base ball, un intello major de la promo 76 de Saint Ephraim, une fille jolie comme un coeur pom pom girl populaire, mais attention, pas une fille facile, un trésor, "Bouton" Mulvaney, et un petit dernier, euh, sans qualités particulières, toutes les autres sont prises. Sans parler des chiens, des chats, des chevaux, des canaris, des poules, vaches...Car ils vivent tous dans une ferme enchantée où ils sont tous heureux et fiers, si fiers d'eux et de leur réussite...Si Instagram avait existé en 1976, Corinne Mulvaney aurait passé sa journée à poster des photos de sa #superfamille, trop contente de #trairelesvaches, regardez #mafilletropbelle, ciel #maritropbeau monte le #chevaltropbeau ; #tropbellemavie :-)))))

Ca, c'est le début. Car une famille, ce n'est pas une carte postale. Et vouloir susciter l'envie est un jeu dangereux. Dans la communauté où vivent les Mulvaney, un garçon brutal et criminel va se charger de calmer leur orgueil en souillant le joyau de la couronne : Marianne, alias Bouton Mulvaney. Le décor idyllique se fissure. Les enfants n'étaient que les créatures, les faire-valoir de deux adultes fragiles. Ils ne le savaient pas, évidemment, ils croyaient à la réalité de ce qu'ils vivaient, ils croyaient qu'ils étaient les Mulvaney, un clan fort et soudé. Mais c'était juste pour la photo. Devant le malheur, leur fille humiliée, leur famille critiquée, rejetée par le puritanisme ambiant, les parents craquent et commettent l'inimaginable : ils exilent Bouton, la font disparaître du cadre, dans l'espoir que tout pourra recommencer si on cache la blessure...

Comment les enfants vont-ils se construire par delà le mensonge de leurs premières années, qui pour eux est un paradis ? Vont-ils pouvoir exister en dehors du cadre ? Et les parents réaliseront-ils un jour leur degré de toxicité, le mal insensé qu'ils ont fait à leurs #tropmignonsbébés ?

Un roman d'une intelligence exceptionnelle, d'une actualité brûlante, sur l'emprise parentale, l'emprise sociétale, la difficulté affolante de se sortir des images que les adultes qui nous ont élevés ont projetées sur nous, sur l'orgueil, la vanité, le prix à payer, le véritable et le faux amour...Un chef d'oeuvre cruel et magnifique que tous les parents devraient longuement méditer.

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Délicieuses pourritures

Paris, février 2011. Alors qu'elle arpentait les couloirs du musée du Louvre, Gillian s'arrête devant un totem de plus de trois mètres de haut et reste coite et stupéfaite devant cette statue. Cette dernière lui rappelle en effet ces années où elle était étudiante au Heath Cottage dans les monts Berkshire. Prise de frisson, elle manque de s'évanouir...

Heath Cottage, février 1976. La jeune Gillian Bauer en est à sa troisième année au sein du Catamount College. Brillante élève, elle suit assidûment ses cours, notamment celui de littérature enseigné par Andre Harrow. Homme charismatique au charme certain, la plupart des étudiantes craquent pour lui et n'hésitent pas à se mettre en avant pour se faire remarquer. Homme marié, sa femme, Dorcas, est également très populaire. Sculptrice de renom, ses œuvres à caractère sexuel font débat et intriguent. Ses grandes statues en bois étaient considérées par certains comme outrageuses, dépravées et laides. Ce couple hors norme pourtant fascinait, de par leur manière de vivre et leur liberté de penser. Celui-ci prenait parfois sous son aile de jeunes étudiantes qui servaient d'assistantes à Dorcas et voyageaient avec le couple. Amoureuse d'Andre, Gillian va tout faire pour attirer son attention...



Très vite, on pénètre dans une ambiance glauque, parfois malsaine ou pesante. Entre Andre, le professeur qui tente de mettre à nu ses élèves en les invitant à se dévoiler via leur journal intime, Dorcas, femme volontaire et énigmatique, les alarmes incendie qui se déclenchent en pleine nuit installant ainsi un sentiment d'insécurité et de méfiance ou certaines élèves qui décident de se couper les veines, l'atmosphère est tendue, la tension palpable et une certaine forme de jalousie ou d'animosité s'installe progressivement. Les personnages sont énigmatiques et noirs au possible jusqu'à cet improbable perroquet. Ce court roman décrit sans expliquer, survole plus qu'il n'approfondit et laisse un sentiment malsain une fois la dernière page tournée. L'écriture est sèche et hachée. Cette première découverte de Joyce Carol Oates ne m'aura pas totalement convaincue.



Délicieuses pourritures... tout un poème...
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Fille noire, fille blanche

Deux jeunes filles se retrouvent co-chambres à l'université dans une ville de la côté est des États-Unis dans les années 70 : l'une est noire, Minette Swift, disgracieuse, antipathique et fille de pasteur ; l'autre est blanche, Genna Meade, riche, descendante du fondateur de la fac, affublée de parents ultra-libéraux distants. Tout ou presque les oppose et dès le début on apprend que l'une d'elle va mourir.

Avec ce canevas, J. C. OATES tisse alors une histoire captivante pour tenter de comprendre ce qui s'est passé. Bien sûr, comme l'opposition du titre le suggère, le racisme est présent, et la jeune fille noire est l'objet de brimades, mais qui les lui inflige ? Le doute finit par s'installer : les étudiantes qui l'ont prises en grippe ou elle-même ? Genna, fortement culpabilisée par sa situation privilégiée, tente de venir en aide à Minette, qui refuse tout soutien.



Au-delà du thème évident du livre, je préfère penser que l'auteur a voulu surtout décrypter les tourments des adolescentes, leurs interrogations face à l'avenir, leurs sombres états d'âme, et tenter de cerner au plus près le quotidien de deux jeunes filles perturbées juste avant leur immersion dans la vie adulte.

L'écriture de J. C. OATES est comme toujours directe, précise, sans fioritures, son style percutant voire féroce, elle immerge son lecteur dans une histoire sombre et ambigüe qui ne laisse pas indifférent et qui est au demeurant fort bien construite.

J'ai lu ce roman il y a déjà quelques temps, et son souvenir reste tenace, preuve pour moi d'une force narrative certaine. Quand cet immense écrivain américain recevra-t-elle enfin le prix Nobel, pour lequel elle a été sélectionnée déjà deux fois ?

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