Joyce Maynard

On continue à se lever chaque matin en sachant que ça durera peut-être dix mille matins de plus. On préférerait être celui qui est mort. En quoi ce serait mieux?

Ce n'est pas quelque chose à quoi on est préparé, voir un être avec qui on pensait passer les cinquante prochaines années de sa vie franchir la porte pour ne plus jamais revenir. Tu croyais avoir une belle vie, et du jour au lendemain tout disparaît. Ce n'est même pas comme si tu t'étais mal conduit et que tu puisses te le reprocher. C'est un truc totalement aléatoire qui se produit, mais une fois que c'est arrivé tu t'interroges sur sa véritable signification. Et si quelque chose comme ça peut arriver, tu remets en question tout le reste. Ce n'est pas seulement aujourd'hui qui paraît foiré, c'est l'ensemble. Tu commences à te demander si tout ce que tu croyais vrai l'est vraiment, ou si tout n'est qu'une vaste fumisterie. Quel sens ça a de se soucier encore du reste.

On n'a jamais deux fois l'occasion de faire une bonne première impression.

Dans la vie, les gens qui font preuve de gentillesse et d'affection à votre égard ne sont jamais ceux auxquels vous portez le même genre d'intérêt.

Depuis le divorce, elle [ma mère] habitait une contrée froide, grise, d'une tristesse irrémédiable, comme si le départ de notre père avait chassé de sa vie toute lumière. Elle nous aimait, c'était indéniable, mais son comportement évoquait celui d'une personne atteinte d'une maladie contagieuse, qui redoute de contaminer les gens qu'elle aime en s'approchant trop près d'eux. (p. 55)

Il lui a demandé si elle avait bien dormi. Comme un bébé, a-t-elle dit, puis elle a ri.
Je ne sais pas pourquoi on dit ça, a-t-elle ajouté, vu le nombre de fois où les bébés se réveillent la nuit.

Tandis qu'elle pédalait sur les pistes cyclables de l'université ou le long de la route avec le soleil qui lui tombait sur les épaules et l'air qui sentait bon l'herbe coupée, le monde lui faisait l'effet d'une toile vierge. La journée s'étirait devant elle à la façon d'un espace plat interminable.

Une autre image, mais pas plus rassurante. La montagne de ferraille tordue, la montagne de poussière. Les ouvriers qui creusent, et les grues, les gens protégés par des masques, les camions et les voitures de pompiers incendiés, les bennes emportant chargement après chargement les gravats de ce terrain vague qui, d'après ce qu'elle voyait à la télévision, ne semblait jamais diminuer, comme si plus ils déblayaient de gravats, plus il en montait du centre de la terre.

Il pensait qu'on pouvait arrêter le temps dans la vraie vie comme dans les vidéos.
Si on ne pouvait pas rembobiner, alors on se mettait sur pause. On s'immobilisait pour toujours à cet instant sans jamais passer au suivant, et c'était encore un million de fois plus supportable que ce qui arrivait quand on laissait tourner.

Je ne parle pas du silence qui hurle parfois dans mes oreilles.

La voyageuse ne resta qu'une nuit à l'hôtel et ne fit pas de commentaire durant sa visite, sauf qu'elle m'informa d'un problème d'eau chaude à la douche, et me dit avoir trouvé une araignée sur le miroir de la salle de bains et un iguane dans le lavabo.

C'était la malédiction du métier de parent. Plus on aimait ses enfants, plus on avait à perdre. (...) Quand on avait un enfant, on n'était plus jamais en sécurité.

Je n'avais pas encore imaginé que je pouvais choisir les orientations de ma vie. J'attendais de voir ce que les gens voulaient de moi, et si l'on me faisait une suggestion je l'acceptais.

"On peut retrouver le bonheur.
La perte d'un être ne fait pas éternellement mal, mais seulement c'est là "

Il y a une symétrie parfaire entre la nature et la sélection naturelle, si brutale qu’elle soit. Le mieux armé survit. Quelques espèces brillantes de vie sur terre ne résistent pas, pour des raisons qui vont au-delà d’elles-mêmes. D’autres – et j’en suis une, - arrivent contre toute attente à survivre. Une souche plus solide, peut-être, ou simplement plus chanceuse…

J'avais à présent vécu la moitié de ma vie sans Ray Dickerson, et ce n'était même plus Ray que je regrettais. C'était la jeune femme que j'avais été quand je l'aimais. Elle avait disparu. Je regrettais la façon dont je regardais alors le monde, la richesse de ce qui s'était offert à moi, la faim que j'avais ressentie, le désir qui me brûlait. J'avais un jour vécu dans un pays sauvage et magnifique, dont je ne retrouvais plus le chemin. J'avais parlé une langue que je ne connaissais plus. Quelque part sur la planète, se jouait une musique que mes oreilles ne pouvaient pas entendre.
Je pensais à Apollon errant sur la terre sans Daphné, à Jackie Kennedy regardant le cercueil de son mari enveloppé d'un drapeau porté sur les marches du Capitole tandis que la légende de Camelot s'effritait. Je me demandais si Neil Armstrong avait ressenti cette forme d'exil : il avait une fois marché sur la lune, et il ne pourrait plus jamais y retourner.

Chaque année en décembre, les illuminations de Mr Edwards attiraient devant sa maison plein de gens, si bien qu'il en passait pas mal devant chez nous.
Tout cet argent dépensé pour mettre des ampoules électriques, disait ma mère. Il ne leur vient jamais à l'idée de regarder les étoiles ?

Les enfants ne sont pas les seuls à grandir. Les parents aussi. Tout comme nous observons chez nos enfants ce qu'ils font de leur vie, ils observent chez nous ce que nous faisons de la nôtre.

Continue à sourire et personne ne saura ce que tu penses vraiment.

La vieillesse n'est pas laide, seulement pathétique.