Un climat étrange régnait au centre ville. La foule se dirigeait vers l’université. Avenue Montes, des agents de police portant casques et bottes avançaient en rangs, deux par deux, leurs pas résonnant sur les pavés. Une sirène languide s’élevait d’un vieux camion de pompiers […] Des centaines de curieux se massaient autour de la statue équestre du maréchal Sucre. De là, on pouvait en effet apercevoir les pauvres mineurs crucifiés, le corps couvert de boîtes de conserve aplaties scintillant au soleil.
Si je voulais suivre les règles des romans policiers américains, je devais supprimer Yujra, qui était le témoin gênant, mais je n’avais pas le courage d’assassiner un autre homme. Sans compter que la tâche ne serait pas facile et que si je ratais mon coup, c’est moi qui me retrouverais dans l’autre monde. Il valait mieux attendre.
- Mais San Francisco… ce n’est pas le paradis pour les gens comme toi ?
- Non, il y a trop de problèmes. Chaque homme est un problème. Trop de violence, trop de drogue.
Ils gagnèrent l’angle du passage Ortega et de la rue Tumusla. Elémentaire, mon cher Watson, me dis-je, une voiture les attend. Je m’avançai à quelques mètres à peine, dissimulé derrière un clochard emmailloté de chiffons. J’avais décidé de prendre des risques […] Soudain il leva le bras pour héler un taxi. Ils montèrent à l’avant. […] Sans y réfléchir à deux fois, je m’engouffrai à mon tour dans le véhicule et m’assis à côté d’eux.
- Je ne suis jamais allé dans un pays développé.
- Et nous, à ton avis, dans quel monde vivons-nous ?
- Dans un pays sous-développé.
- D'accord. Qui nous appelle comme ça ?
- Les habitants des pays développés.
- Et que faut-il faire pour être un pays développé ?
- Il faut gagner dix mille dollars par an et par individu, avoir au moins une voiture pour trois habitants, la sécurité sociale et partir en vacances en Polynésie...
Je reconnus en lui Mezquita, un célèbre écrivain de droite proche des militaires dont les récits un peu naïfs s'inspiraient des légendes andines. Un auteur médiocre, mais un redoutable homme d'affaires. Les dictateurs qui s'étaient relayés au pouvoir lui commandaient de longs articles de propagande qui paraissaient dans les journaux.
C'était un triste spectacle qui avait cependant quelque chose de risible. On aurait cru voir les acteurs d'un film de science-fiction australien.