La Vierge de Francfort est un incomparable chef-d'œuvre, l’une des plus belles œuvres de ce quinzième siècle qui fut pourtant fécond en tableaux merveilleux. Si je me laisse aller à ce procédé de critique — périlleux, je ne le conteste point que j’ai recommandé à qui voudrait se rendre compte de la différence fondamentale des sensibilités d un Van Eyck et d’un Roger de le Pasture, si donc, délaissant l’éblouissante virtuosité du métier et tout l'aspect de surface qui apparente cet extraordinaire tableau à la peinture « flamande » primitive, j’essaie d’apercevoir le plus profond, le plus intime, je note que cette œuvre est lourde d’émotion, quelle est d un pathétique exceptionnel, un pathétique sans contorsions ni grimaces, d’une noblesse, d’une dignité, d’une puissance infinies; une grande âme, là, se révèle.
Il serait difficile de définir l’art surprenant de M. Redon; au fond, si nous en exceptons Goya dont le côté spectral est moins divaguant et plus réel, si nous exceptons encore G. Moreau, dont M. Redon est, en somme, dans ses parties saines, un bien lointain élève, nous ne lui trouverons d’ancêtres que parmi les musiciens peut-être, et certainement parmi les poètes. C’est, en effet, une véritable transposition d’un art dans un autre. Les maîtres de cet artiste sont Baudelaire et Edgar Poe dont il semble avoir médité le consolant aphorisme : « toute certitude est dans les rêves ». Là est la vraie filiation de cet esprit original ; avec lui nous aimons à perdre pied et à voguer dans le rêve, à cent mille lieues de toutes les écoles, antiques ou modernes, de la peinture.
Tous les historiens d'art en ont parlé avec négligence et dédain. Les uns les ont condamnés en quelques phrases brèves; d'autres les ont accablés par la comparaison avec les Florentins ; tous ont déploré leur fidélité à des formules stériles, leur attachement réactionnaire à un idéal épuisé. Ce sont là clichés auxquels on n'échappe point lorsqu'on étudie les peintres siennois du XVe siècle, sur lesquels on n'a, d'ailleurs, que bien peu de renseignements certains.
Il y a la série des portraits. Mais ici, il faut multiplier la prudence et les points d'interrogation. Que le Maître ait peint des portraits? C'est certain, pour les donateurs représentés dans ses tableaux ; c'est probable pour d’autres personnages. Mais la difficulté de l’attribution se double de celle de l'identification du modèle.
La détermination de l’auteur d’un portrait est particulièrement ardue. Les plus malins s y perdent Quand il n’y a pas quelque détail significatif pour situer l’oeuvre.
Cet extraordinaire artiste : Redon, est au dessus — ou en dehors comme on voudra, non seulement de la compréhension ordinaire de la foule, mais même de celle du monde lettré. Peu encore le connaissent. Un certain mystère s’ajoute ainsi au mystère de son œuvre et son originalité s’augmente de son isolement et de son obscurité. Il y a certaines étoiles de première grandeur dont la lumière ne nous arrive, à travers les ténèbres de l’espace, qu’après des siècles...
De tous ces Maîtres masqués, le Maître de Flémalle est le plus considérable. Rapproché des Van Eyck et de Roger de la Pasture, dont il fut le contemporain, son génie soutient sans faiblir la comparaison. Enfin, il est du début du XVe siècle, époque particulièrement obscure et intéressante. Voilà de suffisantes raisons, semble-t-il, pour se passionner pour cette haute figure voilée.