Il faut feuilleter les mauvais livres, éplucher les bons. (p.139)
Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe.
Cocu : chose étrange que ce petit mot n'ait pas de féminin .
« Qui n’a point la maladie du scrupule ne doit même pas songer à être honnête. »
< 15 mars 1910 p.997 >
Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
Le crépuscule trompe, comme chacun sait. Les objets remuent leurs lignes fumeuses. Le vol d'un moustique trouble autant que l'approche du tonnerre. Aussi, Poil de Carotte, ému, voudrait bien être à tout à l'heure.
Sauf complications, il va mourir.
Toujours le même, donc ! dit madame Lepic à Poil de Carotte ; tu ne pouvais pas faire attention, petit imbécile !
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Quand on lit le récit d’une vie "exemplaire" comme celle de Balzac, on arrive toujours au récit de la mort.
Ainsi, à quoi bon? »
< 27 aout 1895 p.223 >
Le véritable auteur d'un livre est celui qui le fait publier .
Pris isolément, cet homme est un brave homme, et cette femme est une brave femme, et ces enfants ont une bonne nature. En contact, ils ne savent que se heurter, s'écorcher, se blesser. Ils sont fragiles et ils ignorent la façon de se toucher. Ils ne prennent aucune précaution pour manier cet objet d'art qu'est le cœur humain.
Le chasseur d’images
Il saute du lit de bon matin, et il ne part que si son esprit est net, son cœur pur, son corps léger comme un vêtement d’été. Il n’emporte point de provision. Il boira l’air frais en route et reniflera les odeurs salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d’ouvrir les yeux. Les yeux servent de filets où les images s’emprisonnent d’elles-mêmes.
La première qu’il fait captive est celle du chemin qui montre ses os, cailloux polis, et ses ornières, veines crevées, entre deux haies riches de prunelles et de mûres. Il prend ensuite l’image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le ventre, comme si on jetait une pièce d’argent, et, dès que tombe une pluie fine, la rivière a la chair de poule. Il lève l’image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d’une alouette ou d’un chardonneret. Puis il entre au bois. Il ne perd aucune sourde rumeur, et, pour qu’il communique avec les arbres, ses nerfs se lient aux nervures des feuilles.
Bientôt, vibrant jusqu’au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte le bois et suis de loin les paysans mouleurs regagnant le village. Dehors, il fixe un moment, au point que son œil éclate, le soleil qui se couche et dévêt sur l’horizon ses lumineux habits, ses nuages répandus pêle-mêle.
Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et longuement, avant de s’endormir, il se plaît à compter les images.
Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d’elles en éveille une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s’accroît de nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour chantent le soir, à l’abri du danger, et se rappellent au creux des sillons.
S'évanouir, c'est se noyer à l'air libre. Se noyer, c'est s'évanouir dans l'eau.
Afin de juger sainement d’un livre, essayez de vous faire les ongles en le lisant. Si vous n’y parvenez pas, le livre est bon, et si vous vous êtes un peu coupé, il est excellent.
Quelques gouttes de rosée sur une toile d'araignée, et voilà un rivière de diamants.
"Aujourd'hui on ne sait plus parler parce qu'on ne sait plus écouter."
– Il ne reste plus de melon pour toi, dit madame Lepic ; d’ailleurs, tu es comme moi, tu ne l’aimes pas.
– Ça se trouve bien, se dit Poil de Carotte.
On lui impose ainsi ses goûts et ses dégoûts. En principe, il doit aimer seulement ce qu’aime sa mère. Quand arrive le fromage :
– Je suis bien sûre, dit madame Lepic, que Poil de Carotte n’en mangera pas.
Et Poil de Carotte pense :
– Puisqu’elle en est sûre, ce n’est pas la peine d’essayer.
En outre, il sait que ce serait dangereux.
Au dessert, madame Lepic lui dit :
– Va porter ces tranches de melon à tes lapins.
Poil de Carotte fait la commission au petit pas, en tenant l’assiette bien horizontale afin de ne rien renverser.
À son entrée sous leur toit, les lapins, coiffés en tapageurs, les oreilles sur l’oreille, le nez en l’air, les pattes de devant raides comme s’ils allaient jouer du tambour, s’empressent autour de lui.
– Oh ! attendez, dit Poil de Carotte ; un moment, s’il vous plaît, partageons.
S’étant assis d’abord sur un tas de crottes, de séneçon rongé jusqu’à la racine, de trognons de choux, de feuilles de mauves, il leur donne les graines de melon et boit le jus lui-même : c’est doux comme du vin doux.
Puis il racle avec les dents ce que sa famille a laissé aux tranches de jaune sucré, tout ce qui peut fondre encore, et il passe le vert aux lapins en rond sur leur derrière.
Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.
La plus extraordinaire femme qu'on ait jamais rencontrée est celle qu'on vient de quitter.