AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de mandarine43


[ "L’enfant de la haute mer " ]

Par moments, elle écoutait avec une soumission absolue, écrivait quelques mots, écoutait encore, se remettait à écrire, comme sous la dictée d'une invisible maîtresse. Puis l'enfant ouvrait une grammaire et restait longuement penchée, retenant son souffle, sur la page 60 et l'exercice CLXVIII, qu'elle affectionnait. La grammaire semblait y prendre la parole pour s'adresser directement à la fillette de la haute mer :

— Êtes-vous ? — pensez-vous ? — parlez-vous ? — voulez-vous ? — faut-il s'adresser ?— se passe-t-il ? — accuse-t-on ? — êtes-vous capable ? — êtes-vous coupable ? — est-il question ? — tenez-vous ce cadeau ? eh ! — vous plaignez-vous ?
(Remplacez les tirets par le pronom interrogatif convenable, avec ou sans préposition.)

Parfois l'enfant éprouvait un désir très insistant d'écrire certaines phrases. Et elle le faisait avec une grande application.

En voici quelques-unes, entre beaucoup d'autres :
— Partageons ceci, voulez-vous ?
— Écoutez-moi bien. Asseyez-vous, ne bougez pas, je vous en supplie !
— Si j'avais seulement un peu de neige des hautes montagnes la journée passerait plus vite.
— Écume, écume autour de moi, ne finiras-tu pas par devenir quelque chose de dur ?
— Pour faire une ronde il faut au moins être trois.
— C'étaient deux ombres sans tête qui s'en allaient sur la route poussiéreuse.
— La nuit, le jour, le jour, la nuit, les nuages et les poissons volants.
— J'ai cru entendre un bruit, mais c'était le bruit de la mer.

Ou bien elle écrivait une lettre où elle donnait des nouvelles de sa petite ville et d'elle-même. Cela ne s'adressait à personne et elle; n'embrassait personne en la terminant et sur l'enveloppe il n'y avait pas de nom.

Et la lettre finie, elle la jetait à la mer - non pour s'en débarrasser, mais parce que cela devait être ainsi - et peut-être à la façon des navigateurs en perdition qui livrent aux flots leur dernier message dans une bouteille désespérée.

Le temps ne passait pas sur la ville flottante : l'enfant avait toujours douze ans. Et c'est en vain qu'elle bombait son petit torse devant l'armoire à glace de sa chambre. Un jour, lasse de ressembler avec ses nattes et son front très dégagé à la photographie qu'elle gardait dans son album, elle s'irrita contre elle-même et son portrait, et répandit violemment ses cheveux sur ses épaules espérant que son âge en serait bouleversé. Peut-être même la mer, tout autour, en subirait-elle quelque changement et verrait-elle en sortir de grandes chèvres à la barbe écumante qui s'approcheraient pour voir.
Commenter  J’apprécie          70





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}