Elle ne se rappelle plus très bien comment regagner son domicile, quelle ligne de métro ou d'autobus l'y conduirait le plus surement. Elle se souvient que ses bras sont vides et qu'il y manque l'enfant dont c'est la place.
A la belle époque, les forains exhibaient des fauves sur la place, et les riverains se plaignaient des rugissements que poussaient la nuit les bêtes en cage. Un siècle plus tard, c'était de tout autres fauves qui sévissaient sur la zone, gîtant toujours dans des cages, mais cette fois d'escalier. Ils s'y adonnaient à divers trafics , au vif mécontentement de l'humble population qui vivait là parce qu'elle n'avait pas les moyens de partir.
Les semaines suivantes, vous avez beaucoup dormi, parfois vous avez regardé la télévision. Il s'y passe l'après-midi des choses aériennes situées dans de lointains décors. Des chirurgiens trahissent leur épouse avec des infirmières enceintes de pilotes de l'air, les maris meurent par le truchement de pics à glace, et les veuves roulent en décapotable sur toile de fond azuréenne.
Il suffit souvent de garder le silence pour que l'autre croie que vous vous intéressez, avec votre air circonspect qui très paradoxalement rassure, vous confère une réputation de compétence et d'objectivité, alors que je n'en avais vraiment rien à faire de leurs histoires de compost, de vide-greniers.
Il avait besoin d'occuper un maximum d'espace sonore, d'exister fortement dans toutes les dimensions de la vie.
"Mais il apparaît vite qu'une absence de cause vaut mieux qu'une variété d'insatisfaisants mobiles, et ce qui appartient au silence lui est rendu."
Tu savais très bien qu'ici, rien ne demeurait caché. Oui, c'étaient des mots gratuits pour semer le doute, agiter l'air.
Quand Serge avait rencontré Ambre, celle-ci n’avait pas fait de difficulté pour le garder à leur service. Le jeune homme rassurait son mari. Il représentait même un atout indispensable dans le combat qu’elle mènerait, les années suivants, contre les Jack, Daniel’s et Black.
Plus ils approchaient de la place, plus les commerces se réduisaient à deux catégories : les pompes funèbres et les agences immobilières. Tous ces morts, sans doute, qui libéraient leurs appartements et offraient des opportunités.

Lèvre sur siennes tremblotantes, agacements, morsures, dévient vers l'oreille, dents attaquent le pavillon, langue contre lobe, mains sous le tee-shirt, chair de poule. Doigts qui pincent, remontent au collet, saisissent la mâchoire, et quelle mâchoire, si délicate, semble taillée dans du cristal. Main sur nuque, immobilisation de la proie, plaquage complet, serrage de près. Voir ce que ça donne en bas, si ça monte, si ça crépite, mesurer sa frappe, viser juste. Fortes turbulences en zone sismique. Descente des flancs, barrage pantalon, obstacle ceinture, doigts fouillant la boucle, érection d'un nouvel obstacle. Obstacle prometteur. Mains sur mains, sous les couches de tissu, pointes dressées, vigueur redoublée de l'obstacle. Pulls jetés à terre, pantalons les rejoignent, chaussures coincent, enlever les chaussures, gestes flous, précipitation contre-productive, chaussures coincent d'autant plus mais on y arrive, on y arrive. Obstacle majestueux contre dentelle blanche. Harponner l'obstacle, l'intromettre. Obstacle frémit, lutte pour sa survie. Mais déroute, retraite, acharnement inutile, ennemi en fuite, victoire trop facile, absence de péril, triomphe sans gloire. Réagir. Ranimer la bataille. Mains partout, doigts agiles, introduits, regain de flamme, on y croit, on y croit. Flanche pareil. Trouver autre chose. Imagination, imagination. A genoux, Elisabeth. Gorge déployée, efficacité retrouvée. Proie respire, se détend, roue libre enfile boulevard, glisse tout seul. Lièvre se rebiffe. Lasso, lancer, obstacle maîtrisé. Obstacle furieux, rugit, débourse sans compter. Obstacle assoupi.
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