La escritora Julia Montejo presenta su nueva novela "Los abrazos oscuros", en Obketivo Bizkaia
Peut-être si je tombais amoureuse comme cela est arrivé à ma cousine Francesca... On dit qu'elle est morte d'amour parce que son fiancé n'est pas revenu de la mer. J'ai toujours pensé que c'était une bêtise. Maintenant, je l'envie. Mourir d'amour, mourir parce qu'un tel désir te consume de l'intérieur, ce doit être splendide. Tu imagines ce que tu dois sentir pour en arriver à te tuer?
Amaia était cinglée. Du moins, c’est ce qu’on disait d’elle. Alors qu’elle se sentait seulement coincée, piégée, dans une réalité étroite aux murs imposants. Cela ne signifiait pas qu’elle était folle, ne cessait-elle de se répéter quand ses voix intérieures lui ordonnaient de continuer à chercher, de ne pas accepter la médiocrité à laquelle nous condamne notre course éperdue contre la vie. À ses yeux, les fous, c’était les autres, ceux qui s’échouaient dans un couple sans amour, un travail qu’ils détestaient, des amitiés qui n’en étaient pas. Ceux qui proclamaient les bienfaits du célibat et répétaient à n’en plus finir qu’une femme ou un homme n’avait besoin de personne à ses côtés pour être heureux. Des bobards. Amaia savait que pour espérer vivre heureux, il fallait se sentir entier et que le véritable amour ne naissait pas d’une rencontre, mais de retrouvailles. C’était inscrit dans sa mémoire. Cela faisait de nombreuses années qu’elle avait choisi sa façon de vivre ou, plutôt, de chercher.
Je suis allongée dans l’herbe tendre de la fin du printemps. Ni le soleil, ni la brise qui se faufile entre les feuilles des châtaigniers n’ont réussi à effacer l’odeur de rosée de la nuit. J’entends un sifflement doux entre les branches : les esprits de mes ancêtres sont sortis des grottes pour me conseiller et je me dépêche d’attraper leurs voix. La plus profonde est celle de mon grand-père.
Les feuilles se balancent et bruissent au milieu de tous ces parfums frais. Un mille-pattes grimpe sur ma main. Je tourne la tête lentement pour l’observer. Il tente de retrouver sa liberté et je me redresse pour l’en empêcher. Il soupçonne le danger. Je le sens presque trembler. Sa peur est ma peur. Il va perdre sa liberté de la manière la plus horrible, sans violence apparente. Dans un soupir, je le laisse filer.
Un chemin de lumière s’ouvre entre mon âme et la nature. Je me sens herbe, nuage, firmament. Je rêve de mourir pour vivre éternellement dans la terre qui m’a donné l’étincelle divine, d’abandonner la chair qui a façonné mon corps et m’a faite telle que je suis. Ma douleur extrême se répand sur la terre et alors je m’aperçois que le sol était déjà humide, imprégné de sève comme la mienne, et que je ne dois pas craindre qu’il reste une trace de ce qui s’est passé. Au contraire, je dois l’accepter afin d’éviter que mon essence erre comme un fantôme à travers les siècles. Les spectres des sorcières sont des lambeaux transparents qui caressent ma peau et tirent au sort mon destin. Un souffle frais m’apporte la voix des miens et s’accompagne du tonnerre prêt à exercer son verdict.
Pas une seule étoile dans le ciel. Il ferma son cahier. Sur quoi allait-il écrire ? Sur sa solitude ? Encore une fois ? Plus les années passaient, plus il s’apercevait que les expériences qu’il était amené à vivre se réduisaient à peau de chagrin. Le sifflement de la galerne qui menaçait, la mer, l’explosion des vagues, la puissance démesurée de la nature face à l’homme, il savait en parler, l’avait déjà fait, mais il manquait une trame à ses histoires. Ça suffit, se sermonna-t-il en regardant le ciel. Avec une nuit pareille, ce n’était franchement pas le moment de faire le bilan de ce qu’il avait réussi ou pas en presque quarante ans de vie. Il était temps de rentrer et de retrouver le confort de son appartement bien chauffé.
Ces paroles déconcertantes le révulsèrent. C’était comme ça qu’elle voulait se débarrasser de lui ? Cette femme n’avait pas toute sa tête. Devait-il la laisser, s’éloigner de cette folle ? Pourtant elle n’avait pas l’air d’une clocharde… Non, il allait rester, sinon il risquait de ne jamais la revoir et elle avait éveillé sa curiosité. Il n’avait rien à perdre. Ne venait-il pas de se plaindre de sa vie si ennuyeuse ? Et puis, elle ne paraissait pas dangereuse. Il décida de la provoquer.
Avec Iñigo, nous sommes convaincus que le grec, le latin, les études en général nous permettront de sortir de ce monde obscur dans lequel l’Église et l’absence de savoir ont enseveli tout désir personnel. Iñigo juge que Dieu n’est pas incompatible avec son envie de gagner une renommée. Il a de l’ambition. Il ne sait pas très bien à quoi l’appliquer, mais il ne veut pas finir comme ces vieillards au regard éteint qui s’occupent uniquement de leur troupeau.
La vie était dure pour les femmes à cette époque, on n’avait jamais vu une jeune fille traverser la mer jusqu’à ces contrées lointaines dans ce monde fait pour les hommes. Ils avaient fini par m’accepter parce qu’ils me prenaient pour une sorcière, une créature qui ne pouvait pas être humaine, mais qui, pour une raison inexplicable, appartenait à leur groupe, était de leur côté… Je me souviens, dans ces heures épouvantables, de l’intense goût de sel…
Asier avait besoin de la mer pour respirer. Il sentait qu’il faisait partie d’elle, il était composé de la même essence. Voilà pourquoi, cette nuit-là, quand il se sentit convoqué par le Peigne du Vent, il emporta son vieux carnet de notes et dirigea ses pas vers la sculpture et les rocs éternellement animés par les forces de la nature.
Les yeux fermés, elle offrit son visage au vent pour en sentir la caresse. Puis elle les rouvrit et contempla l’océan noir et maussade qui s’étendait devant elle, l’horizon infini derrière les monts qui encadraient la baie.