« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges » : « nous », ces femmes japonaises – « certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles » – qui traversent le Pacifique vers la Californie où les attendent leurs « fiancés », des hommes qu’elles n’ont jamais rencontrés. On est au tout début du XXe siècle. Masayo, Mitsuyo, Nobuye, Kiyono (et tant d'autres rassemblées dans ce « nous ») rêvent de vies nouvelles, d’amour, les photos envoyées au Japon ont fait naître l’espoir.
"Personne ne gagne , à la guerre. Tout le monde perd", disait-il.
Tu verras : les femmes sont faibles, mais les mères sont fortes.
Dans le quartier japonais nous vivions à huit ou neuf dans une pièce derrière notre salon de coiffure, nos bains-douches, dans de minuscules appartements aux murs bruts, si sombres que nous devions laisser les lumières allumées toute la journée. Ils éminçaient des carottes dans nos restaurants. Empilaient des pommes sur nos étals de fruits. Grimpaient sur leurs bicyclettes et allaient livrer leurs courses aux clients en passant par la porte de service. Ils séparaient le blanc et les couleurs dans nos blanchisseries en sous-sol et apprenaient vite à faire la différence entre le sang et le vin.
Nous oubliions Bouddha. Nous oubliions Dieu. Nous étions glacées à l'intérieur, et notre coeur n'a toujours pas dégelé. Je crois que mon âme est morte.
La piscine est profondément enfoncée sous terre, dans un vaste espace caverneux à plusieurs mètres sous les rues de notre ville. Certains d'entre nous viennent ici parce qu'ils sont blessés et cherchent à guérir. Nous avons des problèmes de dos, d'affaissement du pied, d'anxiété, de rêves brisés, d'anhédonie, de mélancolie, bref, les maux habituels qu'on rencontre là-haut. D'autres travaillent pour l'université toute proche et préfèrent prendre leur pause-déjeuner là en bas, dans l'eau, loin du rude regard de nos pairs et de nos écrans. Certains encore se réfugient ici pour fuir, ne serait-ce qu'une heure, un mariage décevant. Beaucoup d'entre nous vivent dans le quartier, et aiment simplement nager.
(incipit)
Nous avions beau savoir que nous ne le reverrions pas, nous savions que si c'était à refaire nous irions tout de suite, car être avec lui c'était comme être vivante pour la première fois, mais en mieux.
Ce que nous perdons en ciel et en horizon, nous le gagnons en tranquillité, car l'une des meilleures choses que nous procure la piscine, c'est le bref répit loin du fracas du monde de là-haut : taille-haies, coupe-bordures, klaxons, nez mouchés, gorges raclées, pages tournées, cette incessante musique qu'on entend partout, où qu'on aille - chez le dentiste, à la pharmacie, dans l'ascenseur qui vous emmène consulter cet audiologiste à propos de ce sifflement étrange dans vos oreilles.
Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements. (…) Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer.
« L’une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait qu’ils meurent. L’une des nôtres les rendait responsables de tout et souhaitait mourir. D’autres apprenaient à vivre sans penser à eux. » (p. 47)