Postface, invité Julien BATTESTI sur RCJ
Si je me suis alors tourné vers la théologie, c'est en conséquence d'un raisonnement simple mais limpide : de toutes les littératures, la théologie était la plus seule, la plus abandonnée. Je pensais : / la théologie est la littérature la plus abandonnée car elle l'a été par son objet même./ Comment ne pas voir que chaque ouvrage théologique était un exemplaire de ce grand "livre sur rien" que les écrivains les plus ambitieux convoitaient ? Je n'ai jamais jugé utile de dire à mes professeurs que j'envisageais la théologie comme un genre littéraire car de la littérature, encore aujourd'hui, je n'attends pas moins que la résurrection et la vie éternelle. Ce que j'ignorais, à l'époque, c'est que les grands livres-sur-rien, les écrivains - même les meilleurs, même les gros moustachus qui gueulent - ne parviennent jamais tout à fait à les écrire. C'est pourquoi ils vont chercher, dans les journaux ou sur un vitrail, une histoire qui leur permettra de donner le change : l'histoire d'un saint dont les parents habitent un château, au milieu des bois, sur la pente d'une colline ; l'histoire de deux retraités qui rêvent de tout savoir ; ou celle d'une femme qui s'empoisonne.
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Les premières lignes de "Bartleby, ou la formule", dans lesquelles Deleuze assène une fois pour toutes que Bartleby n'est pas une métaphore "ni le symbole de quoi que ce soit", m'avaient, il faut bien l'admettre, un peu intimidé. Il y eut une période pendant laquelle je m'étais mis à douter de l'intérêt des notes que j'avais prises aux fins d'approcher ce que mes professeurs de théologie appelaient le sens anagogique, qui est une espèce de trappe en bois par où l'on pénètre dans un monde plus élevé ou dans le même monde avec une tête plus légère. Pouvais-je vraiment me permettre de contredire le grand philosophe en bricolant ma propre exégèse ? N'était-ce pas insensé ? Je ne savais plus.
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Les premières lignes de Bartleby, ou la formule, dans lesquelles Deleuze assène une fois pour toutes que Bartleby n'est pas une métaphore « ni le symbole de quoi que ce soit », m'avaient, je dois bien l'admettre, un peu intimidé. Il y eut une période pendant laquelle je m'étais mis à douter de l'intérêt des notes que j'avais prises aux fins d'approcher ce que mes professeurs de théologie appelaient le sens anagogique, qui est une espèce de trappe en bois par où l'on pénètre dans un monde plus élevé ou dans le même monde avec une tête plus légère. Pouvais-je vraiment me permettre de contredire le grand philosophe en bricolant ma propre exégèse ? N'était-ce pas insensé ? Je ne savais plus.
Deux providentielles réflexions m'avaient alors délivré du poison du doute. La première c'était que Deleuze lui-même ne s'était pas tenu à ses premières affirmations et, dans la suite de son texte, avait fait de Bartleby la métaphore de sa propre pensée; la deuxième c'était que, tout bien considéré, je ne voyais pas pourquoi je m'en laisserais imposer par un type qui n'était même pas foutu de se couper les ongles.
La première chose que je vis, en entrant dans l'hôtel, fut une bouteille de liquide désinfectant posée sur le comptoir de la réception, lequel, par sa petite dimension, donnait à l'objet une importance considérable. On invitait manifestement le voyageur à laisser ses microbes au vestiaire. (page 94)