N'oublie pas ceci : la méditation et la connaissance s'accompagnent toujours des soucis de l'esprit, parfois jusqu'aux tourments, mais c'est un sacrifice à accepter. Celui qui se hisse au sommet d'une montagne, quelles souffrances n'endure-t-il pas ! Il a du mal à respirer ; le froid le glace, l'ascension endolorit ses membres ! Celui qui reste dans la plaine ne se fatigue point et hume un air doux. Mais, de là-haut, ne voit-on pas infiniment mieux le monde et le spectacle merveilleux qu'il offre ?
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J'étais même certain, en mon for intérieur, d'avoir de l'audace, qui n'attendait qu'une occasion propice pour paraître. Je ne sais si on peut qualifier d'audacieuse ma détermination en ce jour, mais il est sûr que j'entrai dans la forêt sans aucune appréhension, mû par l'inextinguible curiosité de l'explorateur (pour dire les choses avec plus de justesse, il faut sans doute considérer qu'il y avait de la peur dans mon esprit, mais qu'elle était submergée, étouffée par mon désir débordant de découvrir cette forêt inconnue. Les héros ne sont peut-être que des hommes qu'une passion anime sans frein : elle enferme, mais elle n'éteint pas, leurs craintes et leurs frayeurs. Quant aux téméraires et aux insensés, ils ne sont pas courageux : ils sont aveugles).
P. 349.
J'avais si peu l'expérience des rapports humains que j'en ignorais les règles, les codes et les mystères. Moi, le solitaire, le contemplatif, qui vivais pour les livres, l'étude de l'histoire, des arts et de la nature, pour la première fois me sembla-t-il, je me demandai avec inquiétude comment un autre jugeait ma personne. Certaines de nos mœurs et de nos pensées nous sont si naturelles que nous n'imaginons pas que les autres ne les aient pas aussi ; cela est vrai surtout de nos défauts, que nous croyons communs à tous les autres ; car nos qualités, nous pensons les posséder à un degré rare, voire unique.
P. 313.
Souvent les historiens ne jugent bien des événements que longtemps après leur fin, quoique certains esprits remarquables, qui en furent les témoins, aient eu le sentiment de leur sens profond. Je craignais donc de ne pas avoir assez de recul et d'exprimer des opinions qui seraient aujourd'hui sensées et admises, mais demain jugées fausses et blâmées.
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Il n'est point d'amitié qui soit meilleure ou plus sûre qu'une autre. Sa naissance n'importe que peu, seuls le temps et les épreuves permettent de connaître sa force, sa noblesse et la constance de ceux qui se sont attachés.
P. 313.
Celui qui fait montre de souffrances excessives, si sincères qu'elles soient, n'inspire pas la compassion, mais l'indifférence, la lassitude, puis le mépris.
L'amour était à ses yeux un idéal sur l'autel duquel l'homme et la femme juraient de n'exister jalousement que l'un pour l'autre ; une fois unis, le reste du monde devenait importun.
Une Puissance est un corps qui ne peut désirer que son bien.