CLARICE
Toujours votre estomac ? Le grand Gargantua était pour sûr moins goinfre!
MARIA, haussant les épaules
Quel poncif d’invoquer ce géant, mais comment vous en vouloir d’ignorer que ses parents Grandgousier et Gargamelle n’étaient pas moins mangeurs…
CLARICE
De l’argousier dans une gamelle ? L’idée de tisane est bonne, mais je vous la servirai plutôt dans une tasse en faïence ; je sais recevoir moi ! Vous n’êtes quand même pas un doberman ! (Puis, à part, dans sa barbe.) Quoique…
Un scientifique spécialiste des reptiles travaille dans un laboratoire gorgé de serpents monstrueux. Régulièrement, il les attrape avec une pince de contention et les utilise chacun leur tour pour des expériences barbares. Il est, cela va sans dire, détesté par ces animaux, qui ne supportent pas d’être des cobayes et préparent leur vengeance. Un jour, l’un des serpents les plus venimeux réussit à piquer le savant. Celui-ci est contraint d’absorber un antidote encore expérimental. Le breuvage a un effet inattendu : l’homme se mue en serpent.
(Maria lève les yeux au ciel)
Il est donc à présent en liberté dans le laboratoire. Lorsque l’un des confrères du scientifique pénètre dans les lieux et voit cet intrus, il pense légitimement qu’il s’est échappé du vivarium et le remet avec les autres. La dernière image du livre illustré montre tous les autres serpents se jeter sur cette proie, qu’ils ont naturellement reconnue et qu’ils s’apprêtent à dévorer.
CLARICE
Voilà une réponse étonnante qui ne me convainc guère. Je crois surtout que vous vous plaisez depuis toujours à me faire faire des choses ridicules. Ça vous divertit certainement, ça vous valorise aussi en retour.
MARIA
Vous philosophez à présent ? Je croyais que vous n’aviez pas fait votre terminale…
CLARICE
Je lis, moi ; c’est une différence majeure entre nous deux voyez-vous… Cicéron, Kant, Lavelle…
MARIA
Si c’est rond quand la vieille ? J’imprime pas, désolée. Et ce sont donc vos romans « Nous Deux » qui vous cultiveraient ? Quelle farce !
Maria :
C'est pas comme ça que votre cousin va développer son QI. Il est pas près de gagner sa vie ! Il faudrait qu'il crée une invention, qu'il la commercialise... Un ouvre-boîte radioréveil par exemple.
Clarice, se prenant très sérieusement au jeu :
Ou des pantoufles-fusée !
Nous nous sommes comportés comme les autres familles, qui meublent leur dimanche, au ralenti, en attendant la vraie vie du lundi, chacun chez soi.
MARIA
Vous vous êtes sacrément donné du mal pour cette petite réception de réconciliation ! On va se régaler…
CLARICE
Mais pourquoi diable me serais-je décarcassée au juste ? Pour votre vieille carcasse ?
MARIA, secouant gravement la tête
Je crains que vous ne vous remettiez à délirer dans vos propos. N’avez-vous pas quelques comprimés à prendre pour vous apaiser ?
CLARICE, criant presque et courant vers un des buffets
Mes médicaments ! Alors… Ma gélule d’onagre pour ma vitamine E, ma gélule de prêle pour mes articulations, ma gélule d’ortie pour mes cheveux…
MARIA, la coupant et prenant la même voix
Ma gélule de cervelle de ouistiti pour mes neurones…
CLARICE, sèchement
Ironisez autant qu’il vous siéra. Nous verrons bien qui de nous deux…
MARIA : je songe à l'exil fiscal, en Floride par exemple.
CLARICE : vous pourrez y manger des oranges...
MARIA : quel cliché ma pauvre Clarice ! C'est un peu comme si les Américains colportaient que les Français mangent exclusivement du boudin !
CLARICE : le boudin ! Faut que je sorte le boudin du frigidaire !
MARIA : ça s'annonce léger notre souper... Vous le servez avec des haricots blancs pour que le tableau soit complet ?
Je vais bien vous dégoter quelque chose. Moi, quand il s'agit de dépanner... (Elle farfouille. On entend un bruit d'effondrement.) Ça y est ! Je l'ai ! Je l'avais mise de côté pour le Secours populaire ; elle était tout derrière mon fourbi. (Elle sort une immonde robe de chambre marron en éponge, toute déchiquetée comme si elle avait été lacérée par quelque chien.)
Elle me cite alors Camus : « une mère ne peut pas se passer de l’amour de son fils ».
Maria
(Sans relever)
Pas du tout, c’est un mélange de ma création : un tiers infusion de tilleul, un tiers jus de chou, un tiers vodka, un tiers café. Ça me donne un léger coup de fouet quand j’en ai besoin.