Pour démontrer combien peu valable était toute théorie de médecine légale qui ne se basait pas sur une observation des faits concrets, il suffisait de rappeler, dans le cas de Tetzner, quelques circonstances du crime ; si, selon Molitoris, la victime avait été brûlée vivante, comment pouvait-on expliquer le fait que son cerveau fut trouvé sur le sol, du côté opposé au siège du conducteur, à une distance d’un mètre d’une voiture dont les portières étaient closes ? Où avaient disparu certaines parties du corps que les flammes ne pouvaient avoir détruites ? Seule la découverte de l’embolie fournissait ici une explication vraisemblable : Tetzner avait assassiné la victime à l’extérieur de la voiture, puis, voulant dissimuler les membres du corps marqués d’un signe particulier, il les avait emportés loin du lieu du crime, mais il avait oublié le cerveau.
Au cours de l’année suivante, une autre conviction s’incrusta de plus en plus solidement dans l’esprit de Herschel : le dessin des lignes sur les premières phalanges des doigts demeurait inchangé même au bout de cinq, dix, quinze ans. Le carnet de Herschel en était une preuve incontestable. Bien que l’homme avançât en âge, bien que son visage ou sa silhouette se transformât sous l’effet de la vieillesse ou de la maladie, le tracé des lignes du bout des doigts ne se modifiait en rien. Il existait donc une marque personnelle et immuable qui permettait de le reconnaître, même après sa mort et même s’il ne restait de lui qu’un petit morceau de peau provenant de son doigt.
Etait-ce un miracle ? S’agissait-il d’un hasard ou d’un acte conscient du Créateur qui tendait à marquer chaque homme d’un signe absolument distinct ? Herschel l’ignorait. Mais sans se laisser entraîner par des méditations sur ce sujet, il prit une décision. Dans une prison de son district il enjoignit à ses subordonnés de faire apposer sur la liste des détenus, à côté du nom de chaque interné, ses empreintes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette mesure fit régner l’ordre là où il n’y avait jamais eu qu’un chaos total. Depuis des temps immémoriaux, on se laissait tromper par les malfaiteurs ; on incarcérait des innocents au lieu des criminels, on libérait ceux qui auraient dû continuer à purger leur peine, on n’arrivait que rarement à identifier un repris de justice.
Quelques semaines après que ma maladie fut connue, le médecin de la cour s'aperçut que mon frère cadet de deux ans, Jaime, était sourd-muet. Ma mère m'avait fait naître hémophile et mis au monde son second fils sourd-muet.
Très peu de gens savent comment se déroule la vie d'un enfant hémophile. N'importe qui pense qu'on peut plus facilement supporter la maladie dans une cour royale. Mais c'est une erreur. On y est aussi impuissant qu'ailleurs.