Je ne crois pas aux héros, et, d’ailleurs, je crois que les livres qui m’ont marquée ne dépeignent jamais des héros. Je préfère explorer la part sombre d’un personnage. Je ne trouve aucun plaisir à écrire l’histoire d’un personnage lumineux, pétri de bonnes intentions et ayant un rapport “pur” au monde. Je ne sais pas si je suis particulièrement pessimiste, ou carrément sadique ; je crois surtout que lorsque l’on passe du temps à réfléchir sur une personnalité, on en détaille les rouages les plus obscurs. Pour moi, la composition d’un personnage est une entreprise de déconstruction. Et puis, après tout, je suis peut-être un peu sadique. Le personnage de Zakar est né de ma fascination pour l’idée de déchéance : je voulais raconter l’histoire d’un type parti de rien, parvenu au sommet et sur le point de chuter… Une vie en “montagnes russes”, comme dit Zakar au début du roman.
Je ne suis pas certaine de comprendre comment on “entre” dans la vie, ni comment on y reste ; tout ce qui oppresse Zakar sont des choses du quotidien que je ne comprends pas moi- même. Je ne crois pas que la difficulté d’exister soit un problème actuel ; je suppose que les hommes ont toujours très bien su se rendre la vie insupportable.
L’alternance du “je” et du “il” était un choix d’écriture dès le début. Avant sa mise à mort symbolique, Zakar n’est pas tout à fait vivant. Il a toujours été “et vivant et mort”, d’où l’expression systématique de ses actions et pensées à la troisième personne. Il observe sans cesse d’en-haut les gestes qu’il effectue en bas. Au-delà de la question de la résurrection, l’enjeu est bien celui de l’unité : pour moi, nous n’avons pas une identité mais une illusion d’unité. Derrière cette illusion cohabitent et s’affrontent de nombreuses identités différentes. I’m Not There, un film de Todd Haynes qui m’a beaucoup marquée, explore la vie de Bob Dylan sous cet angle : six personnages incarnent l’artiste à six périodes de sa vie. On pourrait y voir de petites morts en série, à chaque fois suivies de résurrections.
Dès les premières ébauches, mon intention était d’explorer la chute d’un homme pris en étau entre deux milieux sociaux. Zakar dit d’ailleurs que son corps est devenu “le théâtre d’un malaise social”. Cette haine de soi émane, dans bien des cas, du conflit entre l’image que la société projette sur nous, et ce que nous désirons être ou devenir. Zakar, qui a réussi à rejeter cette image pour devenir un écrivain à succès, se rend compte que le conflit initial l’habite toujours. Pour tenter de tuer ce conflit, il va jusqu’à mettre en scène sa mort !
L’ironie me semblait nécessaire : Zakar souffre de ce malaise social, mais il est aussi pleinement conscient de ses mécanismes et de ses effets. Alors, il ironise en permanence. Il s’agissait aussi du meilleur outil littéraire pour exprimer la perdition de Zakar : il doute de tout, il se moque de tout, il fait de chacune de ses réussites un échec et s’emploie à toujours briller par sa noirceur. Par ailleurs, je suppose que l’ironie est indissociable de ma personnalité et de mon écriture…
J’aime écrire sur le mouvement, les sensations, l’abandon. Le thème de la sexualité offrait un beau terrain de jeu. Il s’agissait aussi de revenir à une vie plus immédiate, à une redécouverte des sens pour un type mort aux yeux de tous. Mais Zakar ne trouve pas d’échappatoire dans la sexualité ; il trouve une échappatoire dans le rapport de domination que lui offre la sexualité. Par le rapport sexuel, il parvient à dominer un autre être humain et, par là même, à se sentir vivant. En ce sens, il est conscient de la fausse subversion que constitue la sexualité.
J’y ai beaucoup voyagé et travaillé. Je vivais en Syrie au moment où le soulèvement du 15 mars 2011 a eu lieu. J’y ai eu vingt ans et ai assisté à ce que l’on a appelé “la révolution syrienne”. J’en garde sans doute un sentiment d’échec. Très simplement, j’aime les paysages de Palestine, de Syrie, du Liban ; leur lumière, leurs architectures. La région est sujette à tous les fantasmes, à tous les exotismes… En cela, elle est un lieu propice à l’ironie. De manière générale, les discours sur “l’identité” m’agacent parce qu’ils ne parviennent que très rarement à sortir des schémas préconçus. C’est frappant dans les discours que l’on projette sur le “Moyen Orient” - qui, par ailleurs, rassemble des tas d’endroits très différents. Je voulais donc l’explorer du point de vue d’un personnage qui nous épargnerait les idioties orientalistes habituelles.
C’est drôle parce qu’on me l’a aussi dit dans la vie. Sans doute mon côté vieux type loufoque un peu dépressif. Mes inspirations sont très diverses ; elles comptent notamment Albert Camus, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Antonin Artaud, Samuel Beckett…
Je crois que l’absurde n’existe pas sans le sombre. Le réalisme et l’absurde sont deux approches différentes de la réalité. L’absurde est ma grille de lecture du monde ; c’est aussi celle de Zakar. Le réalisme ne me satisfait pas parce qu’il ne propose rien. L’absurde part du constat qu’il n’y a rien, et invite à explorer ce “rien”. Cela vaut aussi pour mes choix de lecture : je n’aime que les traversées du néant.
Tous les livres d`Albert Camus et de Maurice Blanchot.
Je ne connais rien de Louis-Ferdinand Céline. Mais je n’ai pas honte.
The Way Through Doors, Jesse Ball.
“Où allaient-ils ? Est-ce que l`on sait où l`on va ?” Jacques le Fataliste et son maître . Par Diderot. Tome premi....
Je relis Héliogabale, ou, L`anarchiste couronné, d’Antonin Artaud.
J'suis pas vulgaire, Momo, j'suis lucide : t'as les bonbons qui pendouillent et moi les seins qui se liquéfient, c'est la loi du ruissellement, ils en parlent, aux actualités : y a tout qui ruisselle, l'argent du gouvernement, les actions de la Bourse, les impôts, les dividendes, ta bite et mes nichons !
Le malheur est une bénédiction, écrivait-il en maxime finale ; lorsqu'il frappe un artiste, c'est l'univers qu'il pare de sa grandeur.
Bien-né, on devait agir en galérien. Je parie que ça les faisait bander, la misère. C'est exotique. C'est sulfureux. C'est sale. Comme ces femmes à la peau brune sur les tableaux des orientalistes. Oui, c'est sublime la misère. Ceux qui n'y ont pas droit la scrutent, avec délectation, comme un nu scandaleux, sauvage et magnifique. De l'esthétique de la misère. De l'éloge de la raison impure.
Me gagne sans cesse l'impression qu'on me fait violence. Alors écrire, c'est faire violence. Te faire violence à toi, lecteur, une violence à côté de la violence, une violence qui se réfléchit, une violence sans réel, une violence à retardement, à fragmentation, une violence surréelle. La violence est l'endroit où corps et esprit en moi se trouvent. Le monde un champ de bataille.
La Syrie n'est plus un territoire. Elle est un corps outragé Il faut anéantir les hommes jusqu'au dernier. Lorsque le pays sera un désert, enfin, tout pouvoir y apparaîtra comme la solution : sans peuple, plus de problèmes. Face à ce ravage, le monde n'a qu'un rire jaune. Cette grimace, c'est la mienne. Celle de l'impuissance. Damas ne sera plus une ville, elle ne sera qu'un monceau de ruines. Il n'y a qu'une putain de guerre pour me faire citer la Bible. Mon cerveau est gazé au sarin, mes neurones brûlés au napalm.
Dans les salons où même la pisse sent le champagne, on se disputait sans relâche le titre du plus nécessiteux. On s'enorgueillissait d'une modestie d'apparat - Et vous, vous venez d'où ? Je me suis fait tout seul... Ça n'a pas toujours été facile...-
Zakar la trouvait drôle, cette obsession des bien nés pour l'indigence. La chute, c'est ça qui les tuerait.
La farine qu'elle étalait sur une planche de bois. Les mains qui s'en emparèrent. Je les sentis s'enrouler pour engourdir la pâte. Elles s'alourdissaient, rompant les impacts de lumière sur le sol. Nejma, loin. Je ne pouvais la voir mais je l'entendais. Son rythme suffisait à notre souffle. Le temps cessa.
On a dansé cette nuit-là. Amir exultait, ses vers de cinglé larmoyant à la langue, il déclamait des poèmes assis sur l'évier de la cuisine; il chantait. De la vodka, du vin, tout l'alcool qui courait dans les veines de Damas convergeait vers le salon d'Ahmad
Le langage naîtrait à ce moment là de la transgression du silence.
Je suis l'écrivain, l'absente. Je n'existe que par des mots consignés sur des lignes, contretemps dans nos partitions archaïques.
Depuis la 5eme génération comment réagissent les attaques Ténébre sur les pokémons Acier ?