Kamo no Chômei: "Notes de mon carré de dix pieds".
Lecture par Armen Godel (17.01.2013).
Cest un « mémorial plein de fraîcheur et de sentiment que lon pourrait comparer aux livres de laméricain Thoreau » ou aux Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau qu'Armen Godel donnera à entendre à la MRL. Lhomme de théâtre et écrivain lit lintégrale des Notes de mon pré carré (Hôjò ki), un chef duvre de la littérature mondiale rédigé en 1212 par Kamo no Chômei.
Alors que le Japon traverse une période de bouleversements, Kamo no Chômei, moine, poète, et musicien se retire dans un petit ermitage sur la montagne de Hino, au sud de Kyôto. Au cours de ce séjour empreint de bouddhisme il écrit lessentiel de son uvre. Dans Notes de mon carré de dix pieds, il relate les événements douloureux dont il fut le témoin ainsi que le bénéfice quil retire de sa vie contemplative dermite. Au fil du récit autobiographique sélabore un regard renouvelé sur le monde, qui trouve écho aujourdhui encore, précisément 800 ans après sa composition.
Luvre de Kamo no Chômei (1155 1216) est considérée comme lun des fondements de la littérature classique japonaise. Armen Godel lira Hôjô Ki dans une version française quil a lui-même établie à partir de loriginal en japonais et de la traduction du Révérend Père Sauveur Candau, parue sous le titre Notes de ma cabane de moine.
Comédien, metteur en scène et écrivain, Armen Godel est lauteur de plusieurs ouvrages consacrés au théâtre nô : Le Maître de nô (1989), Joyaux et fleurs du nô (2010), La Maison Kizuki et autres rencontres théâtrales (2011).
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Les poissons ne s'ennuient jamais d'être dans l'eau. Il faudrait être poisson pour comprendre ce sentiment. Les oiseaux ne demandent qu'à vivre dans les bois. Il n'y a que les oiseaux à comprendre cela. Il en est de même des joies de la solitude; on ne peut l'apprécier qu'en la vivant.
Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire, ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j'éprouve sur l'oreiller d'une sieste paisible, et l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.
Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret.
Le malheureux qui est sous la protection d’un grand peut avoir des moments de délices, mais non pas un solide bonheur. Il ne peut pas pleurer, crier lorsqu’il souffre. Ses mouvements ne sont pas toujours faciles ; assis ou debout, il a peur. Tel un moineau proche d’un nid de faucon. Si un pauvre homme se trouve auprès d’une riche maison, qu’il sorte de chez lui ou qu’il y entre, matin et soir il se sent humilié et honteux de son aspect misérable. Sa femme, ses enfants, ses serviteurs envient cette famille dont l’air orgueilleux trouble son esprit. Si l’on demeure en un endroit resserré, on ne peut échapper à l’incendie voisin ; si l’on habite un lieu éloigné de la capitale, on a l’ennui d’y aller et d’en revenir, et parfois on subit la visite des voleurs. Si l’on est puissant, on devient avare ; si l’on est solitaire, on est méprisé des autres. Si l’on est riche, on est toujours soucieux ; si l’on est pauvre, on manque toujours de quelque chose. Si l’on dépend d’un autre, on est son esclave ; si l’on protège quelqu’un, on se voit obligé de l’aimer toujours. Vouloir plaire au monde, c’est se fatiguer soi-même ; contrarier l’opinion, c’est passer pour fou.
(Traduction Michel Revon, wikisource)
Ces hommes qui naissent ou qui meurent, qui sait d’où ils viennent et où ils vont ? En cette demeure passagère, savent-ils pour qui ils peinent, ou avec quoi ils charment leurs yeux ? Du maître ou de l’habitation, on ne peut dire quel est le plus changeant. Tous deux sont comme la rosée sur le visage-du-matin. Tantôt la rosée tombe et la fleur reste : mais la fleur se flétrit au soleil matinal. Tantôt la fleur se fane et la rosée demeure : mais la rosée disparaît avant le soir.
(Traduction Michel Revon)
Les demeures humaines et leurs habitants rivalisent d'impermanence, disparaissent, et nous font penser à la rosée sur le liseron du matin.
l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage" sentir le passage des saisons " En hiver, je contemple la neige, qui s´accumule ou non, comme nos péchés qui apparaissent et disparaissent
Quand je ne suis pas disposé à faire la prière ou à lire les saintes écritures, je me repose à ma fantaisie ; personne pour m’en empêcher, et point d’ami devant qui je puisse éprouver de la honte. Sans avoir fait vœu de silence, je me tais, étant seul. Sans règle définie, les circonstances m’empêchent de violer les commandements. Le matin, si je vais regarder les blanches vagues, j’imite les pensées du novice Mannsei contemplant les bateaux d’Okanoya. Le soir, lorsque le vent agite les feuilles des katsoura, je pense aux eaux de Jinyô et j’imite le style de Ghenntotokou. Quand je me sens en train, je joue l’air du « Vent d’automne » de concert avec le bruit des pins, ou l’air de la « Fontaine qui coule » uni au murmure de l’eau qui passe. Je n’ai point de talent, mais je ne m’efforce pas de charmer les oreilles des autres : je joue pour moi-même, je chante pour moi-même, et je console mon cœur.
Dans la 2e année de l’ère Ghennréki, il y eut un grand tremblement de terre. Il fut exceptionnel. Les montagnes étaient fracassées et venaient combler les rivières ; la mer se soulevait et envahissait la terre ; la terre se crevassait et l’eau en sortait ; les rochers brisés roulaient dans les vallées ; les bateaux qui côtoyaient les rivages y étaient portés par les vagues ; les chevaux sur les routes ne savaient où poser le pied. Dans la capitale, de tous côtés, les temples, les pagodes, les monastères, les chapelles mortuaires, rien n’était épargné : les uns étaient lézardés, d’autres renversés ; et de ces débris, cendres et poussières s’élevaient comme de la fumée. Le grondement de la terre tremblante et le fracas des bâtiments croulants étaient comme le tonnerre. Si l’on restait dans sa maison, on avait peur qu’elle ne s’abattit ; si l’on s’en échappait, la terre s’ouvrait sous les pas : et point d’ailes pour s’enfuir au ciel, nul moyen de monter, comme le dragon, parmi les nuages ! Certes, entre toutes les choses terribles, le tremblement de terre vient en premier lieu.
(...)
Alors tous les hommes semblèrent convaincus de l’incertitude de la vie. Je croyais qu’ils deviendraient plus pieux. Mais les jours et les mois passèrent ; et maintenant, après quelques années, on n’en parle plus.
Dans la capitale pavée de joyaux, les maisons des grands et des humbles, joignant les charpentes de leurs toits et rivalisant de leurs tuiles, semblent se maintenir de génération en génération ; mais quand on examine s’il en est bien ainsi, rares sont les maisons anciennes. Telles, détruites l’an dernier, ont été rebâties cette année ; d’autres, qui furent de grandes maisons, sont tombées en ruines et ont été remplacées par de petites. Il en est de même pour leurs habitants. Dans un endroit quelconque, il y a toujours beaucoup de monde ; mais sur vingt ou trente personnes que vous y aviez connues, deux ou trois survivent. On naît le matin, on meurt le soir. Telle est la vie : une écume sur l’eau.
(Traduction Michel Revon )