Ce dont j'ai besoin, maintenant, c'est de calme. De la voix rassurante d'une mère pour me souffler à l'oreille que tout ira bien, qu'emménager ici était la solution à mes problèmes, que papa a fait le meilleur choix pour nous. Par chance, je sais en quelque sorte comment rendre cela possible. J'ouvre frénétiquement le carton. J'y plonge les mains et j'en ressors le vieux carnet aux couvertures fanées. Il est tout corné à force d'avoir été lu et relu. Sur la couverture, un arc-en-ciel enjambe une prairie fleurie sur un fond de ciel bleu. Lorsque l'on ouvre le carnet, la page de titre annonce :
Rien que pour vous, mes filles chéries. Des pensées de maman...
Le carnet de maman n'était pas secret. Lorsqu'elle a souhaité nous lire ses derniers conseils, elle nous a fait signe de la rejoindre dans son lit. Clem et moi, on était allées se blottir tout contre elle. Elle nous a alors annoncé avec un sourire :
- ce carnet est pour vous deux, vous le lirez ensemble, au fil des années, et vous le partagerez.
Elle semblait alors un peu fatiguée, mais pas affreusement malade. Pourtant, elle l'était....
- Promis ?
Clem et moi, on s'était exclamées en chœur "promis" et on avait fait la promesse du petit doigt, toutes les trois, dans un cercle d'amour et de confiance.
-Euh... bonjour...
Je m'adresse à un garçon qui a la peau sombre et les cheveux très courts ; on lui donnerait douze ans mais il porte une blouse d'hôpital bleue.
D'accord, il en a plutôt dix-huit quand il relève les yeux de son chariot rempli de mystérieux chapeaux de cow-boy en carton qu'il pousse devant lui, mais c'est difficile à dire quand on se cache derrière un gros bouquet de chrysanthèmes (moi, pas lui).
-Vous avez besoin d'aide ?
Hmmm...je n'avais ps beaucoup d'expérience dans ce domaine (un seul baiser avec Rick Bronlow il y a très, très longtemps), mais j'étais arrivée à la conclusion qu'il valait mieux commencer par apprécier un garçon avant de passer son temps à l'embrasser. Sinon, on prend le risque de s'apercevoir avec horreur que l'on a collé ses lèvres à celles du type le plus débile et le plus inintéressant du monde.
-Mais elle a raison, Ally, ça existe, les esprits frappeurs!
-Ouais, et le père Noël passe 364 jours par an à regarder la télé et dépose des cadeaux pour des milliards d'enfants en une seule nuit.
J'ai levé les yeux au ciel, en me demandant comment j'avais pu espérer que Billy serait moins débile que les autres sur le sujet. Ou sur n'importe quel sujet, d'ailleurs!
Ont suivi cinq secondes de calme relatif, et j'ai failli me cogner au plafond en entendant Rowan parler d'une voix lente et grave.
-Esprit, es-tu là?
J'ai retenu mon souffle.
Rien.
Pas un bruit, pas un pet, pas un grognement de ventre.
-Espriiiiiit, oh espriiiiiiiit, fais-nous un signe.
Cette fois, il y a eu un bruit: moi qui essayais de ne pas exploser de rire.
Sur ces deux cent quarante élèves, je vais bien réussir à trouver au moins une amie, non ?
Mais en ce moment précis, j'ai du mal à positiver et à calculer les équations de mes amitiés potentielles. Ma panique du premier jour de collège grimpe aussi vite que la température dans un grille-pain. Je sens que quelque chose est prêt à bondir en moi.
J'avais l'impression qu'il m'avait trahie. Billy et moi ne nous sommes jamais rien caché. Jamais. Le premier secret qu'il m'a confié, c'était qu'il avait fait pipi dans le bac à sable. (Pas de panique, c'était pas l'année dernière, on avait trois ans.)
Vous savez quoi, c'est drôlement difficile d'écouter sérieusement des propos sur le surnaturel tenus par une fille avec des couettes retenues par des barrettes d'enfant en forme de fraise.
Y a rien de mieux que d'être comparée à notre grande soeur super raisonnable (mais pas super drôle) pour avoir envie de se comporter en fille irresponsable et vaguement stupide.
Ce qui est génial avec les copines, c'est qu'on rit des mêmes stupidités! Notre sens de l'humour est plutôt pathétique mais c'est agréable de se marrer ensemble.