Rencontre avec K.E. Olsen - Élise et Beethoven
Elle ne fichait plus rien dans la maison et dépensait une fortune sur le meilleur champagne. Deux, parfois trois bouteilles par jour, qu’elle déglutissait pour se rincer le dalot. Et sous l’influence de la boisson, elle tombait dans un abrutissement total. Une fois bien engourdie, sa langue devenait venimeuse et pendante, ses lèvres luisantes comme celles d’une vieille carpe. Elle faisait des scènes à propos de rien dès le matin au petit-déjeuner et, le soir, quand je rentrais du bureau, épuisé, elle en remettait. Toutes sortes d’histoires, qu’elle inventait, qui n’avaient ni queue ni tête !
Sa vie avait toujours été simple. Elle semblait être prédestinée au métier de camériste. Elle ne connaissait que le travail de domestique avec son sens du dévouement et ses tâches incessantes. Une spécialiste de la propreté, éternellement au service des autres. Efficace, elle possédait la rapidité de l’exécution et faisait preuve d’une discrétion notable et d’une grande honnêteté. Malgré sa petite taille, elle était dure au mal et possédait une énergie presque inépuisable pour le travail difficile qu’elle exerçait.
Elle se figea sur place, les poings sur les hanches. À la fois captivée et pétrifiée par ce qu’elle croyait être un mirage, un ectoplasme, un revenant, elle voulut faire la brave et toisa l’homme assis devant le clavier. Sa gorge se serra. Elle pouvait à peine respirer, mais parvint à dire : - Qui êtes-vous?
Ce genre de femmes, avec l’excuse de la richesse, traitaient les gens à leur service comme des objets acquis qu’elles se permettaient de bousculer et de brusquer selon leurs toquades et leurs états d’âme. C’était sans doute leur mentalité d’ayants droit qui les rendait ainsi.
Comme il n’y avait personne pour l’épier et l’accompagner partout, Irène pouvait à sa guise déverrouiller toutes les portes, ouvrir tous les tiroirs et les remises cadenassées. Elle pouvait fouiller sans crainte dans les placards fermés à triple tour. Sans aucun regard accusateur, elle avait le loisir de mettre les cachettes sens dessus dessous. Dans toute cette abondance, c’était l’inégalité qui la vexait le plus. Les patrons avaient beau lui faire des sourires, des gentillesses et, en de rares occasions, de petits cadeaux, rien n’y faisait. Toutes ces années de servitude l’avaient minée. De jour en jour, le gouffre, entre les bien nantis et les démunies comme elle, s’était gonflé d’une sourde haine et de fantasmes de vengeance.
Elle entra en trombe dans sa chambre, pensant surprendre un intrus. Personne ne s’y trouvait, rien n’avait été déplacé. Demeurée comme elle l’avait laissée, sa chambre ressemblait à celle de toute adolescente de treize ans : une zone dévastée par un cyclone.
Que je voudrais être bourrée de fric pour ne plus jamais avoir à travailler et être installée bien au chaud sans m’inquiéter du lendemain. Je pourrais enfin vivre dans un appartement luxueux et dormir dans la soie, avoir de bonnes choses à manger, un chauffeur pour conduire ma belle voiture et un homme comme Yann à mon bras. Lui saurait me protéger et me traiter avec douceur.