Citations de Karine Tuil (1457)
Si la vie est un pont, autant le traverser à bord d'une voiture avec chauffeur, équipée de doubles airbags, confortable et climatisée avec, à son côté, quelques femmes pour vous accompagner durant le voyage. Un flambeur! Déjà, enfant, lorsque mes parents me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais d'un ton assuré, un sourire candide accroché à mes lèvres : « Je veux être riche. »
Pour avoir un frère écrivain, je savais qu'il fallait s'en méfier. Un reptile était moins venimeux.
Dans l'anonymat d'une chambre d'hôtel, l'une des femmes les plus puissantes d'Allemagne se donna à un homme dont elle ne savait rien, qu'elle n'avait vu que deux fois dans sa vie, et qu'elle avait pourtant suivi sans lui poser aucune question, sans avoir obtenu le moindre renseignement, ignorante, inconsciente, sans résistance, violant nos impératifs sécuritaires, sa morale personnelle, ses convictions, elle l'avait suivi parce qu'elle ne pouvait pas lui dire "'non", mot abscons, imprononçable, qui limite et restreint, elle avait perdu tout contrôle, toute capacité de jugement, elle était une proie, une poupée de chiffon, une chose molle et sans volonté entièrement commandée par sa matrice, elle était cette femme qui capitulait sans avoir été torturée, violentée, elle se rendait, se soumettait avec une jubilation nouvelle, une excitation guerrière, elle était une machine à aimer, qui hurlait, haletait, et sa voix était un gémissement, un soupir qui gonflait, elle était cette femme résignée, égrotante, à genoux devant lui comme devant un prie-dieu, cherchant la protection, réclamant la servitude, inféodée au pouvoir d'un dieu étranger, cette femme qui se traînait à terre, nue, hirsute, échevelée - voilà pourquoi je déteste l'amour : les papillons redeviennent des larves.
Il n'avait pas dormi de la nuit. Il n'avait fait que répéter ce qu'il allait lui dire, et finalement, le jour du rendez-vous, ils n'avaient presque échangé aucun mot. L'éditeur parlait très peu, Samuel, pas du tout. Mais il avait un contrat d'édition signé. Plus tard, quand un journaliste le soumettrait au Questionnaire de Proust, à la question Où et Quand avez-vous été le plus heureux ? il répondrait : "Dans le bureau de mon éditeur." Au cours des semaines suivantes, ce dernier l'avait appelé plusieurs fois pour suggérer quelques changements. Il se souvenait d'un appel à l'aube à cause d'une virgule : fallait-il la conserver ou la retirer ? Il avait un doute. C'était dans ce monde-là et pas ailleurs qu'il voulait vivre désormais, un monde où la place d'une virgule importait plus que la place sociale.
Je parlais de moi et je m'ennuyais à mourir : ma vie était aussi peu excitante qu'une vieille fille à moustache.
D'une voix atone, elle a dit : "Je ne veux plus vivre avec maman", je n'ai rien répliqué - j'applique avec une vraie conscience citoyenne la politique de l'autruche.
Ecrire, c'était avoir les mains sales
Vous connaissez la phrase? Derrière toute grande fortune, il y a un crime.
Écrire, c'était avoir les mains sales. p 489.
Il voulait réussir, rompre le cycle familial en somme, qui avait déjà coûté la vie de son père, anéanti les rêves de sa mère et engendré la dislocation d'une famille _ les barreaux de sa prison sociale, il était prêt à les scier, fût-ce avec les dents.
La vie n est pas un brouillon
[...] au coeur de l'élite sociale, ce n'est pas la rage qui fascine, mais le contrôle, la maîtrise de soi. La vraie capacité de résistance est là. C`est ainsi qu`on se distingue vraiment. (p 197)
Le désir est très supérieur à la peur, il la réduit, l'atrophie presque totalement.
(p 70)
Et elle se laisse faire alors qu'elle devrait le repousser, elle ne réplique rien - cette docilité soudaine, cette forme inattendue de placidité, c'est l'expression la plus terrible du détachement.
En quelques minutes, tout ce que j’avais construit, bâti pendant ces longs mois était piétiné, saccagé.
Contrôler l’identité de quelqu’un, c’est déjà délégitimer sa présence.
Une femme comme elle, tu vis en permanence avec la peur de la perdre. Tu la vois et tu comprends qu’à tout moment, un homme peut te la prendre, il en a le désir, peut-être même les moyens : charme, humour, fortune personnelle, peu importe, il peut prendre ta place, c’est une question d’heures, de semaines, de mois, la place que tu as conservée par la menace, l’intimidation, le chantage, cette place qui est sans cesse remise en cause car ta versatilité et tes échecs répétés te discréditent, tu es sur un siège éjectable, il te faut charmer/ruser/négocier pour y rester, tu marches en permanence au bord du vide, tu ne te sens jamais en sécurité et même avec elle, dans un lit, tu as peur de ne pas être à la hauteur du cadeau qu’elle te fait en t’offrant son corps, tu te couches inquiet, tu ne dors pas tranquille et tu te réveilles avec l’angoisse au ventre.
Je n'ai pas trouvé mes marques dans ce roman , le sujet était interressant mais baclé à mon goût .
"Il aimait les oies blanches, les filles de bonne famille, les bourgeoises qui organisaient leurs journées autour des 3 K : Kinder, Küche, Kirche', enfants, cuisine, église."
Tout dans la société se jouait dans un rapport de forces disruptif et inégal. Il fallait être performant, compétitif (tout en restant sensible), se montrer indépendant (mais affectif), savoir s'affranchir de la souffrance, affirmer ses ambitions (sans être opportuniste), paraître confiant, sûr de soi en toute circonstance (même quand on doutait, même quand on se tenait au bord du gouffre, on en crevait d'être évalués comme des produits de grande consommation avec date de péremption, remplacés/remplaçables, jetés après usage du jour au lendemain, il suffisait de disparaître, de supprimer/bloquer le contact. Les relations amoureuses devenaient pathétiques. Seuls les liens amicaux et familiaux assuraient un semblant de vie affec-tive. Quant aux relations professionnelles, elles prenaient généralement fin le jour où elles n'étaient plus imposées par la fonction, on organisait des pots de départ avec cadeau commun, on promettait de se revoir, on se revoyait éventuellement une fois, deux si on était sentimental, mais la magie des interactions quotidiennes n'opérait plus, on échangeait quelques messages sur WhatsApp avant de se mettre en mode silencieux pour finir par brutalement quitter le groupe).
P.178.