L'écriture s'accompagne d'une honte, d'une culpabilité incessante, le fait de composer des phrases au lieu d'exercer un métier qui profiterait à mon entourage, de vivre pour écrire au lieu de vivre pour les autres, de transformer l'existence des gens, de s'emparer d'une réalité et d'en faire des phrases, de la coucher de force sur le papier au lieu de...
je savais que certains écrivains redoutaient de découvrir un monstre au fond d’eux-mêmes, sans doute parce qu’ils refusaient de résoudre leurs propres énigmes, me disais-je, sur quoi écriraient-ils autrement, et puis j’ai compris que ce n’était pas ça, le risque, en tout cas pas pour moi. Ce qui me faisait hésiter, c’était l’idée de ce qui se passerait si je n’étais plus cette personne qui avait besoin de fuir ou de se protéger. Qu’adviendrait-il de ma plume si elle ne tendait plus vers cela – et qui deviendrais-je alors ?
Mon existence avait été dépendante de cette lumière crue qui peut se dégager d'une page blanche, mais aussi de l'idée que je n'aurais jamais besoin de m'impliquer, de vivre dans les mêmes conditions épouvantables que le commun des mortels, puisque je n'exigeais personne à mes côtés tant que j'avais l'écriture.
A cette époque, je pensais souvent à la grotte, à la manière dont cette femme devait se glisser à l’intérieur et s’y coucher. Son visage contre la roche, quasiment dissimulé par ses cheveux. Le silence et l’obscurité qui régnaient là-dedans. Mon angoisse était un courant d’air qui filait à travers les pièces de notre appartement et qui persisterait tant que je me trouverais entre ces murs.
Je m’imaginais que je pourrais m’imprégner de cette histoire, que je fusionnerais avec les faits, et que je n’aurais plus qu’à écrire. Je voulais que Marguerite s’anime en moi, je refusais de constater que nous étions deux personnes différentes, liées par un fil qui s’étirait à travers le temps et venait reproduire un rapport de subordination où je tiendrais le rôle du maître. Encore.
Manger suscitait des sensations susceptibles de retenir toute mon attention, la nourriture me comblait non seulement physiquement, mais à tous les points de vue, il était presque choquant qu'une action si banale puisse avoir une telle force. Elle stimulait au fond de moi quelque chose qui m'aidait à me sentir vivante, en sécurité, comme n'importe qui sur cette planète.
Ces paroles m'étaient si familières. Je les avais entendues tant de fois, au sens propre comme au figuré. Un homme qui demande à une femme de s'abaisser. D'une certaine manière, une grande femme paraissait toujours plus grande qu'un grand homme ; à croire que la grandeur n'était problématique qu'en lien avec la féminité.
j’éprouvais du mépris pour ma personne en songeant que j’avais non seulement tourné le dos aux vivants, écrit pour écrire, mais surtout que j’avais métamorphosé le moindre problème en mots, tel un animal qui se nourrit de ses excréments.
Les envoyés de la Couronne vont libérer les sauvages de la barbarie, de la déraison et de la candeur, carcan dans lequel ils sont enfermés, ils vont sauver meurs âmes et leur faire don d’une descendance chrétienne et française.
Je me taisais, le silence régnait toujours dans la cuisine, mais il suffisait que je mange quelque chose de bon pour que ce qui m'entoure prenne vie, et une fois que j'avais tout engloutit, j'en voulais plus.