
[...] ... Ma famille est issue d'un naufrage dramatique, survenu par une nuit d'hiver il y a cent ans.
L'histoire me tient en éveil dans l'Audi A8 qui me porte vers le nord. La grosse voiture roule au régulateur de vitesse, museau levé, et éclaire la route sur cinq cents mètres. Nous abordons un virage, et les phares halogènes balaient la lande déserte comme un coup de peigne rapide. L'éclairage cru transforme ce qui n'était qu'étendue monotone en touffes de bruyère et de laîche, semblables à de l'étoffe laineuse et des varices, avec des camarines accrochées comme des bijoux au cou d'une jeune fille.
Des personnes que j'ai connues surgissent un bref instant dans le faisceau des phares, puis disparaissent, le visage blême.
Cette région et cette mer racontent l'histoire de la famille sur trois générations, mon histoire.
Un petit lac accroche la lumière de la lune au milieu du paysage de dunes et tout à coup je me souviens de la sensation des pieds glacés et mouillés, barbotant dans les bottes en caoutchouc.
Grâce à une politique rigoureuse de protection de la nature, tout est resté tel qu'il y a cent ans, quand mon arrière-grand-mère Ane Christensen se retrouva enceinte dans des circonstances tout à fait étranges.
L'énigme a donné lieu à de nombreuses enquêtes, tant officielles que privées. Sans oublier la rumeur populaire, un murmure latent, des théories non formulées et la persistance des regards tout au long des années.
A présent, elle va être résolue. Alors même que je m'approche de la pointe nord du Jutland. ... [...]
[…] Son fils lui demanda :
- Pourquoi ils m’appellent l’Américain ?
Ane s’arrêta au milieu d’un geste et se tint immobile comme une statue de sel avec l’assiette vide dans la main. […]
- Comment ça se fait que je ressemble pas à papa ?
Les quelques questions qu'elle balança étaient de nature si intimes que le docteur en eut le souffle coupé. [...] Il se dit que la démarche était certes inhabituelle, mais qu'a cela ne tienne [...] Fais le au milieu du mois, tu sais, entre les saignements, et ensuite reste étendue, tout à fait immobile. [...] reste allongée sur le dos et bascule le bassin vers le haut, comme ça, ça tombe où il faut...
[…] Quand il était seul, il souhaitait être venu au monde de façon normale, avoir des parents normaux et des cheveux blonds.
Le cœur d'Ane cessa de battre quand elle le vit. Jamais elle n'avait vu un homme aussi beau. Il était différent de tous ceux qui vivaient par ici. Il avait une moustache noire, des cheveux noirs et de longs cils. Un visage étroit, un long nez droit et une petite bouche.
[…] L’énigme a donné lieu à de nombreuses enquêtes, tant officielles que privées. Sans oublier la rumeur populaire, un murmure latent, des théories non formulées et la persistance des regards tout au long des années.
Les poissons doivent avoir les branchies roses, l'oeil clair et ne sentir que l'eau salée ou les algues fraîches. Je vois Ane devant moi lorsqu'elle aboie que le poisson ne doit ni cuire à la vapeur, ni mijoter, mais être plongé dans l'eau bouillante, pour être parfait. Ma tolérance envers les autres peuples s'arrête là où il faut préparer le poisson. Il n'y a que nous qui savons le faire.
Nous autres ici, nous qui avons une couchette réservée et de bons ancrages, afin que l'âme n'erre pas, nous tenons à nous distinguer de ceux qui doivent errer sans repos pour l'éternité. Nous autres ici, nous avons vécu dignement et nous sommes morts dignement, nous avons été accompagnés par les mots du pasteur et nous nous serrons les coudes pour repousser toute mauvaise compagnie.
[…] Un jour, il lui acheta un morceau de chocolat.
- Tiens ! dit-il en le lui tendant, et ce mot et cet acte étaient sans doute ce qui se rapproche le plus d’une promesse d’amour et de fidélité en jutlandais du Nord.
[…] Il y a tant de choses qu’on ne peut pas dire en jutlandais du Nord.
Y a-t-il certaines choses qu'il vaudrait mieux laisser dans l'ombre ? Les morts viendront ils me souffler au visage leur haleine froide et me demander de ne pas creuser cette histoire ?