Karyn Poupée témoigne sur le jeu vidéo au Japon dans un extrait de C dans l'air
Le manga, comme tous les moyens médiatiques et formes d'expression artistiques, renvoie à chacun une image de lui-même, de la société dans laquelle il agit, du monde dans lequel il évolue, de l'humanité à laquelle il appartient. Le manga, où se côtoie le pire et le meilleur, n'explique pas tout et ment beaucoup, mais il enseigne énormément. Voilà pourquoi d'aucuns le qualifient d'école de la vie japonaise.
Il y avait une part culturelle dans l'attitude des Nippons à ce moment-là, peut-être une influence de croyances bouddhistes: les catastrophes naturelles sont des problèmes que l'on ne solutionnera pas, c'est le destin. La panique, elle, est un phénomène contagieux qui résulte de l'égoïsme, du sauve-qui-peut, alors que dans de telles circonstances, il faut au contraire être solidaire.
Même la notion des débat est altérée : on nomme débat une succession de mongoliques d'invités politiques sur les plateaux de télévision ou dans une salle de conférence de presse en début de campagne avant un scrutin. Chaque interlocuteur ne s'exprime qu'en réponse à la question d'un modérateur ou journaliste, qui pose la même à tous à tour de rôle, mais sans qu'aucun ne rebondisse sur les propos antérieurs d'un autre interlocuteur pour les contester.
Quelques 127 millions d'humains obnubilés par le temps, obsédés par l'exactitude, intransigeants sur les principes, perfectionnistes, procéduriers, à cheval sur l'hygiène, amateurs de bonne chère et un brin grégaire, obligés de s'approvisionner aux comptoirs étrangers et vivants en majorité dans des conurbations gigantesques aux rues sans nom, sur un territoire à la merci des folies climatiques et des furies terrestres, forcément, cela exige une certaine organisation. Or, sur ce plan, les Japonais se contentent rarement du minimum vital, même pour les choses en apparence les plus triviales. On reste béat d'admiration devant leur capacité à trier, répertorier, dénombrer, une habitude bien ancrée, enseignée dès le plus jeune âge, qui fait le bonheur des fabricants de classeurs, étiquettes, boîtes de rangement ou logiciel de base de données.
Cette conformité est celle exigée pendant la scolarité, mais elle dépasse parfois les bornes, particulièrement dans certains collèges et lycées. Les consignes y sont extrêmement strictes, le plus souvent respectées, mais relèvent hélas dans les pires des cas d'une contrainte liberticide. Cheveux noirs corbeau (à teindre s'ils ne le sont pas naturellement), d'une longueur à ne pas dépasser, coupe asymétrique interdite chaussettes blanche sans motif, et sous-vêtement blancs, sourcils taillés, écharpes et gants bannis même en hiver : les règlements en vigueur dan les les établissements scolaires japonais laissent pour le moins perplexe quiconque s'interroge sur leur bien-fondé.
La perfection est illusoire, la rechercher n'en est pas moins un devoir.
Le manga est ainsi né d'un mariage de traditions artistiques séculaires et d'influences étrangères, dans un contexte politico-économique propice. Il a mué au fil des décennies, grandi, grossi se nourrissant d'une riche matière sociale et d'une créativité phénoménale. D'artisanal et confidentiel, il devint commercial et industriel.
Quatre ans après la fin de la guerre, les premiers scandales financiers éclatèrent. Puis les journaux épiloguèrent sur la disparition étrange, le 5 juillet 1949, du patron des chemins de fer nationaux, Sadanori Shimoyama, retrouvé le lendemain mort en travers dune voie, loin du grand magasin tokyoite où l'avait laissé pour cinq minutes son chauffeur. Cette affaire, qui marqua son temps, réapparaîtra en détail dans un manga en 2009, Billy Bat, de Naoki Urasawa. Le 15 septembre de cette même année 1949 fut mis en service le luxueux train "heiwa" (paix) entre Tokyo et Osaka, 550 kilomètres, 8h20 de trajet : Osamu Tezuka y grimpera plus d'une fois.
La mémoire est dans les mains. La gestuelle, l'entraînement, la répétition, la concentration, toujours la même méthode.
Quelques trente ans plus tard, en 1984, le Premier ministre nippon d'alors, Yasuhiro Nakasone, ne dira-t-il pas que, grâce à Atomu, "les Japonais considèrent les robots comme des frères : le jour de l'an, les ouvriers leur servent une bière." " C'est en partie grâce à Atomu que les Nippons sont devenus les premiers développeurs, fabricants et utilisateurs d'automates", rencherissait en 2008 un responsable du ministère des Affaires étrangères japonais. Outre un animisme séculaire, c'est aussi du fait de l'humanisme dont fait preuve Atomu que les Japonais ne voient pas comme une ineptie le fait de cohabiter avec des humanoïdes mécatroniques truffés de capteurs et autres composants. (P. 133)