Sur l'air de la Tartine de beurre de Mozart.
Le bruit de la lumière, de Katharina Hagena (Editions Anne Carrière) - traduction Corinna Gepner
Vous savez, les enfants, il y a trois choses que l'on peut contempler continuellement sans jamais s'en lasser. L'une de ces choses c'est l'eau.
L'autre c'est le feu. Et la troisième, c'est le malheur des autres.
"L'oubli n'était donc lui-même qu'une forme de souvenir. Si l'on n'oubliait rien, on ne pourrait pas non plus se souvenir de quoi que ce soit. Les souvenirs sont des îles qui flottent dans l'océan de l'oubli. Il y a dans cet océan des courants, des remous, des profondeurs insondables. Il en émerge parfois des bancs de sable qui s'agrègent autour des îles, parfois quelque chose disparaît. Le cerveau a ses marées."
" J'aimais lire et manger en même temps(...). C'était merveilleux les histoires d'amour avec une portion de gouda, les récits d'aventures avec du chocolat aux noisettes, les drames familiaux avec du muesli, les contes de fées avec des caramels mous, les romans de chevalerie avec des cookies...."
page 68
[...] Anna aimait les boscops, Bertha les cox orange. En automne les chevelures des deux sœurs exhalaient un parfum de pommes, leurs vêtements et leurs mains également. Elles faisaient de la purée de pomme et du jus de pomme et de la gelée de pomme à la cannelle, et la plupart du temps, elles avaient des pommes dans les poches du tablier et une pomme entamée à la main. Bertha commençait par croquer rapidement un large anneau autour du ventre de la pomme, puis elle grignotait prudemment le bas autour de la fleur, ensuite le haut entourant le pédoncule, quant au cœur, elle le jetait au loin par-dessus son épaule. Anna mangeait lentement et consciencieusement, de bas en haut - tout. Les pépins, elle les mâchonnait durant des heures. Lorsque Bertha lui disait que les pépins étaient empoisonnés, Anna répliquait qu'ils avaient un goût de massepain. [...]
Cet escalier extérieur était un lieu merveilleux. Il appartenait tout à la fois à la maison et au jardin.... Il n'était ni en haut ni en bas, ni dedans ni dehors, il était là pour assurer en douceur mais avec fermeté la transition entre deux mondes (p. 104).
Il semblait connaître son corps mieux qu'elle même.
Friedrich léchait et flairait et fouinait partout, témoignant d'un intérêt et d'une curiosité qui n'avait pas grand chose à voir avec le plaisir de la découverte tel qu'il se manifeste chez un petit jeune, mais plutôt avec la concentration voluptueuse d'un fin gourmet.
A partir d’une certaine quantité de souvenirs, chacun devait finir par en être saturé. L’oubli n’était donc lui-même qu’une forme de souvenir. si l’on n’oubliait rien, on ne pourrait pas non plus se souvenir de quoi que ce soit. Les souvenirs sont des îles qui flottent dans l’océan de l’oubli. Il y a dans cet océan des courants, des remous, des profondeurs insondables. Il en émerge parfois des bancs de sable qui s’agrègent autour des îles, parfois quelque chose disparaît. Le cerveau a ses marées. Chez Bertha, les îles avaient été submergées par un raz-de –marée. Sa vie gisait-elle au fond de l’océan ?
[...] tout le monde sait qu'il faut être prudent avec les souhaits car il arrive parfois qu'ils se réalisent.
La vérité ne se cachait-elle pas avec prédilection dans les failles et les trous de la mémoire?
-Vous savez, les enfants, il y a trois choses que l'on peut contempler continuellement sans jamais s'en lasser.L'une de ces choses, c'est l'eau.L'autre, c'est le feu.Et la troisième, c'est le malheur des autres".