Après l?inoubliable Reine des pluies, Katherine Scholes signe un roman envoûtant, magnifique portrait d?une jeune femme à la recherche de ses racines, doublé d?une fresque hallucinante sur l?histoire du Congo des années 1960.
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Je suis la pluie née de la rosée
Qui fait rire l'herbe,
Heureuse d'être en vie .
"Mon père ne serait pas content, s'il me voyait, reprit Daniel. Il est très attaché aux traditions. Or les Massaï croient qu'ils sont le peuple élu par Dieu et qu'Engaï leur a donné les vaches pour pourvoir à tous leurs besoins - la viande, le sang, le lait, le cuir. Un Massaï fidèle aux traditions ne tue pas d'animaux sauvages pour les manger et méprise ceux qui cultivent le sol.
Car nos mains étaient vides lorsque nous sommes venus en ce monde, elles le seront encore lorsque nous repartirons.

Il s'était habitué à la façon dont vivaient les Africains, un pied dans le monde moderne, l'autre dans le passé et les traditions. Mais il n'avait jamais vu un contraste aussi marqué que dans ce conflit congolais. Lorsqu'ils traversaient un territoire tenu par les rebelles, les commandos croisaient régulièrement des preuves de la présence des sorciers: ponts, panneaux routiers et bornes étaient recouverts de feuilles de palmier. Leurs baïonnettes, canons de fusil, casques et pare-chocs étaient décorés de la même manière.
Au moment de l'affrontement, les rebelles hurlaient des cris de guerre invoquant le pouvoir du dawa, ce remède magique qui transformait les balles en eau.
Le sorcier du régiment menait la charge et dansait en première ligne, décoré de plumes, peau de léopard, queues de lion, fétiches, tout cela s'agitant au rythme de ses mouvements. Dan n'en avait jamais vu un tomber - une fois que les tirs commençaient, les soldats entouraient le sorcier et le protégeaient.
Emma se rapprocha encore pour mieux voir son visage. Nul n'aurait pu deviner que, quelques jours plus tôt seulement, elle avait enterré sa mère de ses propres mains. Elle ressemblait à n'importe quelle petite fille insouciante et heureuse. Emma croisa les bras sur sa poitrine, tandis qu'un frisson de douleur la parcourait. Elle se rappelait ce que recouvrait ce besoin de rire - la nécessité désespérée de combler le silence glacial à l'intérieur de soi. Quand on y cédait, les gens vous regardaient avec l'air de dire : "Comment peux-tu sourire, rire, t'amuser, alors que ta mère est morte ?"
Il suffisait de se couper en deux. L'une de vous mangeait, bavardait, s'habillait et riait. L'autre attendait, silencieuse, dans le froid et le noir. Celle-là avait envie d'être morte, elle aussi, pour ne plus se souvenir, ne plus connaître ces moments où la réalité la frappait de plein fouet, l'écrasant sous son poids.
Comme les Wagonga, les Massaï avaient résisté aux changements et s'accrochaient à leurs traditions. Les jeunes hommes étaient réellement des gerriers.
Chacun d'eux devait faire la preuve de son courage en tuant un lion d'un seul coup de lance.
En arrivant à proximité des rochers, elle s’arrêta pour contempler les plaines désertes. À cette heure matinale, le soleil était encore bas sur l’horizon et ses rayons obliques, transperçant l’air poussiéreux, coloriaient le paysage de teintes vives. Le sable était d’un jaune étincelant et les ombres entre les rochers ourlés d’or et couronnés de rose dessinaient des taches irrégulières, mauves et brunes. Levant le regard vers l’horizon, Angel discerna dans le lointain les contours de la montagne en forme de pyramide qui surplombait les plaines, avec ses flancs d’un bleu vaporeux, son sommet poudré de lave blanche pareille à une calotte de neige. Elle leur indiquait la direction à suivre, Angel le savait.
"Cela signifiait, en fin de compte, que la réalité n'était pas immuable ; elle pouvait changer, selon la manière dont on l'abordait. Et en ce cas, se dit-elle, peut-être n'était-il pas toujours possible de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Ou la frontière entre la vérité et le mensonge.
Peut-être tout n'était-il qu'une question de choix, de point de vue."
Elle resta là, le regard perdu dans l’obscurité, tandis que les pensées familières défilaient dans sa tête. Ce devait être sa faute, se dit-elle. elle n'était pas assez intéressante, ou pas assez attirante, pour qu'un homme ait envie de rester près d'elle. Peut-être devrait-elle essayer de changer. Puis ses pensées prirent une toute autre direction. Et si cela n'avait rien à voir avec son apparence ou son caractère ? Si c'était plutôt elle qui avait choisi de vivre avec des gens qui l'abandonnait constamment ? Si elle avait inconsciemment cherché à reproduire la relation qu'elle avait eue avec sa mère, traînant ce schéma derrière elle depuis des années, comme une malédiction ?
Tous les missionnaires chassent, elle le savait.
Après tout, il n'y avait pas de boucher sur place. Elle allait devoir s'habituer.
Mais comment oublier la grâce et la beauté de ce petit daim, le regard d'agonie de ses yeux frangés de cils noirs ?