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Citations de Keith Lowe (15)


Nombre de ceux qui écrivirent des Mémoires de guerre, y compris des auteurs chevronnés, deplorèrent les insuffisances du langage ordinaire, qui peine à décrire l'expérience d'une telle perte totale. Ils savaient que le mot "enfer" est un cliché, mais ne pouvaient en trouver d'autres.
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-et maintenant, dites-moi, qui sont nos ennemis?lui demanda le chef de la milice.
K réfléchit un instant avant de lui répondre.
- franchement, je n'en sais rien, je ne crois pas avoir d'ennemis.
- pas d'ennemis ! (Le chef haussa le ton) Voulez-vous dire que vous n'haissez personne et que personne ne vous hait ?
-Autant que je sache, personne.
- Vous mentez ! Hurla subitement le lieutenant-colonel en se levant de son siège. Quel genre d'homme êtes-vous pour ne pas avoir d'ennemis ? Si vous n'avez pas d'ennemis, vous n'appartenez visiblement pas à notre jeunesse, vous ne pouvez être un de nos concitoyens ! (...) Et si vous ne savez vraiment pas qui haïr, on va vous l'apprendre ! On va vous l'apprendre très vite !
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Si la destruction matérielle est à couper le souffle, le coût humain des raids aériens atteignit véritablement une dimension tragique. En tout juste une semaine, 45 000 personnes avaient perdu la vie. Qui plus est, 37 439 autres avaient été blessés, alors que presque un million de gens, ayant fuit l'agglomération, étaient désormais officiellement sans abri. Tout ce qu'ils possédaient – tout, depuis leurs vêtements et leurs meubles jusqu'à leurs bibelots, leurs lettres et leurs photographies – avait fini brûlé ou réduit en miettes.
Pour restituer ces chiffres dans leur contexte, rappelons que le bilan des morts de Hambourg fut plus de dix fois supérieur à celui de tout autre raid antérieur. A Nagasaki, où les Américains larguèrent leur deuxième bombe atomique, le bilan immédiat fut de 40 000 morts – environ 5000 de moins qu'à Hambourg. Il serait dès lors inexact de comparer la dévastation de cette cité hanséatique avec le type de destruction normalement associé au bombardement conventionnel. Elle s'apparente davantage à l'annihilation qui serait bientôt possible à l'ère nucléaire.
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Si le massacre systématique de communautés entières donnait à ce paysage un aspect aussi sinistre aux yeux des étrangers, il était bien plus désorientant pour les rares autochtones qui vivaient encore au milieu de cette vacuité. Depuis tout ce temps, les survivants du massacre d'Oradour-sur-Glane, dans le Limousin, n'ont jamais véritablement accepté ce qui leur est arrivé. A l'été 1944, en représailles contre des activités de la résistance locale, tous les homme du bourg furent regroupés et abattus ; les femmes et les enfants furent conduits dans l'église, que les allemands incendièrent. Au sein de la population locale, le choc fut si grand qu'après la guerre les habitants refusèrent de reconstruire le village, mais choisirent de le préserver pour toujours exactement tel qu'il était le jour du massacre. Il demeure à l'état de village fantôme.
Des massacres d'une brutalité comparable eurent lieu dans d’innombrables localités un peu partout en Europe. Le massacre le plus ignoble de tous fut sans doute celui perpétré à Lidice, en Tchécoslovaquie, où la totalité de la population masculine fut abattue à titre de représailles après l'assassinat de Reinhard Heydrich, le Reichsprotektor adjoint de Bohème et de Moravie. Les enfants du village furent ensuite conduits aux camps de concentration de Chelmo, où ils furent gazés, et les femmes incarcérées à Ravensbrück, pour y servir de main d’œuvre forcée. Le village proprement dit fut livré aux flammes et rasé au bulldozer, et les décombres évacués pour permettre à l'herbe de repousser là où les bâtiments se dressaient auparavant. Le but de ce massacre n'était pas seulement de punir la population locale d'avoir résisté à l'occupant, mais d'annihiler cette petite communauté, comme si elle n'avait jamais existé. Les nazis usèrent ensuite de la destruction systématique de ce village comme d'un avertissement à toutes les autres bourgades impliquées de près ou de loin dans des actes de résistance.
[…]
On a éteint Lidice, ainsi que des millions d'autres villages, comme on éteint une lampe.
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cette mère française ... sut affronter une enseignante qui avait traité sa fille de "bâtarde de boche" : Madame, ce n'est pas ma fille qui a couché avec un Allemand, mais moi. Quand vous voudrez offenser quelqu'un, gardez vos insultes pour moi, au lieu de vous en prendre à un enfant innocent.
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La découverte des camps de concentration bouleversa à jamais le paysage moral : elle semblait justifier toutes les décisions des Alliés au cours de la guerre – le bombardement des villes du Reich, l'insistance sur une capitulation sans condition, le blocus économique qui avait réduit tant d'individus à la famine en Europe. Elle leur fournissait aussi une justification pour l'essentiel de leurs décisions dans les mois à venir ; dorénavant, en dépit de tout ce qu'ils auraient à endurer, les Allemands ne seraient guère en position d'inspirer de la sympathie : les injustices envers les soldats et les civils allemands seraient tenues pour quantité négligeable […] comme elles le furent lorsque l'Armée Rouge s'empara de la partie orientale du Reich. A l'occasion, nous le verrons, la vengeance aveugle sera même encouragée par les autorités. Comme en a conclu un historien, la violence et la déchéance que l'on découvrit en des lieux comme Majdanek, Dachau et Bergen-Belsen « en un sens impliquaient tout le monde, y compris les libérateurs ».
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[témoignage de Ludwig Faupel, pompier Hambourgeois]
Je voulais m'extraire de ce chaos et, sur mon chemin, je suis tombé sur un tram calciné. Les vitres avaient fondu sous l'effet de la chaleur. A l'intérieur de la voiture, des corps morts gisaient nus, les uns sur les autres. Leurs vêtements, désintégrés, étaient réduits à de petits tas de braises. C'était là que ces gens avaient tenté de s'abriter de la tempête de feu. Dans l'Eiffestrasse, ils avaient lutté pour leur survie. Englués dans la macadam brûlant, ils avaient essayé de se maintenir en s'appuyant sur les mains, et ils étaient restés dans cette position, à genoux. Leur vie s'était achevée dans des hurlements de terreur et de douleur. J'étais incapable de les aider.
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Et qu'en est-il de la population d'Hambourg proprement dite – comment perçoit-elle le supplice qu'elle a traversé ? En veut-elle aux Britanniques et aux Américains de la dévastation qu'ils ont semée dans sa cité ? Est-elle en colère ? Chaque fois que j'ai posé la question à un Hambourgeois, j'ai invariablement reçu la même réponse, qui reflète exactement le sentiment de leurs ennemis : « C'est nous qui avons commencé. » Ou, formule encore plus éloquente : « Nous le méritions. » Pour la plupart de ces gens, la colère, le ressentiment, l'indignation – et même la tristesse – semblent hors de propos, car ce qui compte vraiment, c'est que les Allemands regrettent.
Même pendant la guerre, beaucoup de gens à Hambourg ont compris qu'ils n'étaient pas irréprochables, et que, à un certain degré du moins, c'était eux qui s'étaient attiré ce désastre. Beaucoup voyaient la catastrophe comme une conséquence logique des attaques de la Luftwaffe contre la Grande-Bretagne ; certains pensaient même que c'était le juste châtiment du traitement réservé par les Hambourgeois aux Juifs de la ville. En tout cas, un sentiment de honte indicible était déjà ancré dans l'inconscient collectif allemand longtemps avant la fin de la guerre.
[…]
Après la guerre, le sentiment que l'Allemagne avait mérité ce châtiment alla grandissant, alimenté par le découverte de ce qui s'était perpétré à Bergen-Belsen, Auschwitz et même dans le camp de concentration de Neuengamme, au sud-est de Hambourg. Le caractère impitoyable de ces atrocités sembla devoir éclipser tout ce que les forces aériennes alliées avaient pu provoquer. Avec l'ouverture puis la clôture des procès de Nuremberg, la capacité de Hambourg à la colère fut étouffée sous le poids colossal de la culpabilité collective.
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Si Stalingrad fut le grand tournant le de la guerre pour l'armée allemande, Hambourg fut un tournant décisif du même ordre pour les civils allemands. Avant la tempête de feu, la plupart des gens croyaient leurs villes dûment protégées contre les bombardiers alliés ; après coup, ils comprirent que ces mêmes villes auraient de la chance de ne pas être rayées de la carte. Hambourg révélait clairement que les Alliés, et en particulier les Britanniques, avaient l'intention d'annihiler une ville après l'autre, jusqu'à la capitulation allemande. Il semblait que les terribles prédictions de Douhet, formulées dans les années 1920, se vérifiaient enfin : les villes de l'arrière présentaient désormais plus de danger que les champs de bataille eux-mêmes.
[…]
L'effet psychologique que ce cataclysme eut sur le pays dans son ensemble est incalculable. Des années plus tard, ils furent nombreux à se le rappeler comme un tournant décisif du conflit. Par exemple, le général Adolf Galland, le plus haut gradé de la chasse au sein de la Luftwaffe, affirma dans ses Mémoires que ce flot constant de réfugiés brisés, terrorisés, dissémina ce qu'il appela la « terreur de Hambourg » jusque dans les villages les plus reculés du Reich : « Une vague de terreur se propagea depuis la cité meurtrie et se répandit dans toute l'Allemagne. […] Au plan psychologique, à ce moment, la guerre avait peut-être atteint son seuil le plus critique. »
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La reconnaissance du caractère parallèle de ces guerres locales emboîtées dans la guerre mondiale est toujours resté un sujet controversé, car elle entraîne d'énormes conséquences – non seulement pour l'historien mais pour la société au sens large. Premièrement, nos histoires et nos mythes issus de la Deuxième Guerre mondiale possèdent une dimension politique : si nous voulons nous remémorer la guerre comme une bataille assez simpliste entre le bien et le mal, ce n'est pas sans raison. Toute mutation de cette remémoration modifie aussi notre perception de nous-mêmes : non seulement elle entame certaines de nos idées les mieux arrêtées sur le bon et le mauvais camp, mais, à tort ou à raison, elle fournit aussi aux « méchants » d'antan une occasion de se réhabiliter. D'un bout à l'autre de l'Europe, les groupes néofascistes ont toujours justifié l'action de leurs prédécesseurs pendant la guerre, puis les leurs, en soutenant qu'ils se bornaient à combattre le « pire des maux », le communisme international ; depuis l'éclatement de l'Union soviétique, au début des années 1990, leurs arguments ont gagné du terrain.
Ensuite, et de façon plus immédiate, la reconnaissance de ces guerres parallèles remet en question toute notre conception de ce que fut exactement la Deuxième Guerre mondiale : si la guerre internationale contre l'Allemagne ne fut qu'une ramification d'un conflit plus général, alors il va sans dire que la défaite du Reich n'a pas nécessairement mis un terme aux combats. L'achèvement du conflit principal n'a pas signifié pour autant la fin de ces diverses conflits, loin s'en faut ; parfois, l’absence d'ennemi extérieur a simplement laissé toute latitude aux populations locales pour se concentrer plus efficacement sur leur volonté de s’entre-tuer. Nous avons déjà vu en quoi cela s'est vérifié à un niveau régional, avec des conflits spécifiques entre différents groupes ethniques ; mais ce fut aussi vrai sur un plan plus général, dans la bataille européenne entre la droite et la gauche.
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De telles visions sont certes poignantes, mais ne sont encore rien comparées aux scènes éprouvantes qui eurent lieu lorsque certains réfugiés subirent la fouille de leurs bagages. Un garçon de douze ans qui fuyait Hambourg fut arrêté à la frontière danoise. Il voyageait seul et portait deux sacs. Quand les douaniers le lui firent ouvrir, ils constatèrent qu'ils contenaient, l'un, le cadavre de son frère de deux ans, tué au cours du raid, et l'autre les cadavres des deux lapins de compagnie du garçon.
S'agissant d'un témoignage de troisième main, sa véracité demeure sujette à caution, mais il est certainement vrai que nombre de réfugiés emportèrent avec eux les corps de leurs êtres chers lorsqu'ils fuirent Hambourg. Friedrich Reck raconte avoir vu une femme lâcher sa valise au moment où elle embarquait à bord d'un train, en Bavière. Le contenu se répandit sur le quai, et, parmi les jouets, une trousse de manucure et des sous-vêtements roussis par le feu, il y avait « le corps rôti d'un enfant, ratatiné comme une momie, que sa mère au cerveau à moitié dérangé transportait avec elle, relique d'un passé qui était encore intact quelques jours plus tôt ».
[…]
Il y en eut beaucoup d'autres qui emportèrent avec eux les cadavres d'enfants morts asphyxiés alors que leur famille tentait de s'échapper. Ce n'est guère surprenant de leur part. Dans leur fuite précipitée, ils n'avaient pas eu le temps de les inhumer, et abandonner les cadavres était impensable. En conséquence, beaucoup de citoyens, d'un bout à l'autre de l'Allemagne, n'entendirent pas seulement parler de ces morts survenues à Hambourg : ils virent les cadavres.
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Toutefois, les forces de l'ordre ne pouvaient être partout à la fois, et il y eut d'innombrables exemples de gens ordinaires, à l'écart des points de regroupements principaux, exprimant ouvertement leur hostilité envers les autorités nazies. Hans J. Massaquoi décrit un incident dans une gare où « un homme en uniforme brun du parti nazi fit son apparition, et une femme lui hurla dessus depuis le train : " Espèce de porcs, tout est votre faute ! " ». Elle continua de hurler des imprécations non moins menaçantes jusqu'à ce que quelqu'un de son entourage « la bâillonne littéralement en lui maintenant une serviette sur la bouche ». Il raconte aussi l'histoire d'un de ses amis, un soldat bien déterminé à déserter, au motif qu'au lendemain de cette catastrophe « la guerre ne pourra[it] pas durer plus de deux semaines, et peut-être même pas plus de deux jours ».
[…]
S'ils avaient su à quel point ces débordements étaient fréquents, les Alliés en auraient été ravis. C'était exactement ce qui était censé se passer dans le sillage d'un gigantesque raid de bombardements : la colère contre les autorités conduisant à des actes de défiance sans retenue aucune et, finalement, à la révolution. Mais le dernier maillon de cette chaîne ne prit jamais corps. La vitesse et la relative efficacité de l'évacuation furent certainement un facteur qui permit d'éviter toute atteinte grave à l'ordre public : en conduisant les survivants loin de la ville, les autorités dispersèrent les sources potentielles de troubles. Sans compter que le désastre avait laissé la plupart de ces gens trop épuisés et trop apathiques pour susciter autre chose qu'une agitation de façade. L’événement était tout simplement trop écrasant pour qu'on l'impute totalement aux nazis. Il semble que la plupart des rescapés aient presque considéré cette tempête de feu comme un signe de Dieu : en de telles circonstances, l’État se révélait « une entité complètement dépourvue de poids, qu'on ne pouvait rendre responsable d'un destin comme celui qu'avait subi Hambourg et dont on ne pouvait non plus attendre qu'il puisse rien y faire ». [Cf Hans Erich Nossak]
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Malgré tout ce qu'elle avait enduré, et toutes les souffrances qu'elle subissait encore, la population de Hambourg n'avait pas baissé les bras.
Les symboles de sa détermination à survivre étaient tout autour d'elle, dans le déblaiement progressif des décombres, le rétablissement de l'électricité et de l'eau, et dans ces poches de survie acharnée parmi les ruines. D'un bout à l'autre de la ville, on lisait encore de ces messages inscrits à la craie sur les façades des maisons soufflées par les bombes, annonçant « Wir leben » (« Nous sommes vivants »). Il s'agissait à l'origine de messages destinés à rassurer des amis et voisins au lendemain immédiat de la catastrophe – à présent, ils apparaissaient davantage comme un défi.
Au début du mois de septembre, tout juste un mois après la tempête de feu, se produisit un événement qui eut un immense effet psychologique sur la population : les arbres se mirent à fleurir. Il existe de nombreux récits de ce phénomène naturel étrange. Il s'agissait probablement d'un mécanisme de défense de la végétation, destiné à assurer la survie de l'espèce – mais, pour le peuple de Hambourg, la vision de ces arbres apparemment morts revenant à la vie de manière éclatante devint un symbole d'espoir sans égal.
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Le bruit des bombes était terrifiant, mais le plus effrayant, c'était peut-être cet instant où la bombe était si proche qu'elle n'était plus audible. Comme l'explique une femme qui a survécu à cette succession de raids, la terreur qu’inspiraient ces bombes atteignait véritablement son paroxysme quand on cessait de les entendre et qu'on se mettait à les sentir.
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C'était la guerre, et ils savaient ce que nous ignorons, que la guerre est une réalité terrible dont personne ne sort sous un jour flatteur.
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