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Citations de Klaus Modick (14)


Mon père était considéré comme un excellent pédagogue. Et nous, ses fils, grattions la mousse jusqu'à ce que nos mains nous brûlent et que notre dos et nos genoux nous fassent mal, afin que notre père, à son retour, puisse depuis le léger brouillard de schnaps et de bière où il se trouvait dire ce qu'il disait toujours: Voilà. Là, on peut vivre. p. 44
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L’annihilation du nom par le concept, de l’expression vivante par le terme scientifique, a accéléré et scellé l’éloignement de l’humanité de la nature qui l’entoure. Naturellement, la perte d’un nom et d’une forme ne survient que dans la mort, où les êtres se décomposent, aboutissent à une grande dissolution de la forme, tout comme les ruisseaux, les rivières et les fleuves perdent leur nom lorsqu’ils se jettent dans la mer. Lorsque, par le passé, on identifiait les prisonniers avec des numéros, on les rayait de la liste des individus, les exilait dans un espace dépourvu de mémoire. Même face aux lopins de terre, aux lieux, aux villes, la numérotation ne s’arrête pas ; les codes postaux détruisent nos habitats. Le fait qu’aux États-Unis, les rues portent des numéros plutôt que des noms n’a cessé de me déranger pendant les années que j’y ai passées. Maintenant, je sais pourquoi.
J’entends des collègues me demander en criant si je n’ai pas perdu la tête. Je leur réponds que je me suis rarement senti aussi lucide que ces jours-ci.
Le fait que les plantes, les animaux, les personnes, les rues et les lieux aient des noms ne représente en réalité qu’une partie de la vérité sur les relations entre les mots et le réel. L’autre partie, qui nous échappe, est que les noms eux-mêmes ont des choses, que les choses sont des noms, qu’autour des noms se sont formés des champs de force où la réalité matérielle et intellectuelle de l’environnement s’ajoute au nom. C’est ainsi que les choses annoncent leur vie. Un nom établi est donc, sur le plan biologique, le résultat d’un processus mimétique. Nous connaissons les ruses protectrices de certains animaux qui, surtout grâce à leur couleur, mais parfois même à leur forme, s’adaptent aux corps animés et inanimés qui les entourent. Le rayonnement mimétique des noms semble englober dans sa puissance tout ce qui a été, tout ce qui vit, la mort manifeste – et ce, malgré elle. De la vie vécue. C’est cela qu’un nom conserve. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle ce savoir ne me parvient que maintenant, à l’approche de la fin, une fois traversé le blindage des chars de la science.
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Il existe sans doute en nous une impulsion profonde qui nous conduit à répéter ce que nous avons vécu. Ce n’est pas la régression sénile de la vieillesse, mais une manière productive d’être prêt à raviver les expériences de l’enfance. Mais à quoi riment des expériences dont ne reste que le souvenir ? Et celles qu’on raconte ? Cette impulsion semble s’accentuer à mesure qu’on approche de la fin de sa vie. Un cycle se clôt. Des débuts s’achèvent. La connaissance se court-circuite avec l’expérience, l’expérience avec la mémoire, la mémoire avec les histoires racontées. La mousse dans laquelle je me repose après avoir nagé, qui suinte entre mes orteils, et qui atteint à cette heure la même température que l’eau et l’air – et mon propre corps -, doit être familière de ces processus ; mais aussi du sentiment de futilité que cette impulsion cache. La mousse est une plante archaïque. Introvertie, autosuffisante. Il y a bien longtemps, elle s’est adaptée à la vie sur la terre ferme dans ce qui me paraît être une lutte héroïque ; mais ce faisant, elle s’est fatiguée, épuisée, car elle est restée figée dans sa conception initiale sans n’être visiblement plus capable de mener à son terme le processus d’évolution qui s’était déclenché en elle. Si les plantes ont une capacité de mémoire, non pas une mémoire consciente ou cérébrale, mais génétique, et je ne doute pas que ce soit le cas, la mémoire des mousses serait celle de leur origine, de leur parenté avec les algues. Il est impossible que la mousse rompe tous ses liens avec son passé marin. L’évolution des algues vers la mousse a ainsi accompli une sorte de cycle, revenant, bien que différemment et dans une meilleure version, à son point de départ. En retraversant le lac à la nage pour rentrer, je souris en repensant à la plaisanterie de mon médecin sur les algues et je m’arrête au milieu en faisant le mort. Je prends une grande inspiration, m’étends immobile dans l’eau, regarde en plissant les yeux en direction du soleil couchant, suspendu, comme empalé sur la pointe des pins, et je me demande s’il y a une différence entre s’enfoncer et s’élever, étendre ses racines et ses ailes, connaître et s’étonner, l’être et la conscience, je ne trouve pas de réponse parce que j’en cherche une, j’expire profondément, je recommence lentement à tracer mes couloirs.
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Se pourrait-il que les gens aient enfin compris que ce n'est pas la politique mais la nature qui constitue la véritable affaire de l'humanité ? Et comment, exactement, pouvait-on faire de la politique à partir de la nature ? C'était la bêtise la plus grossière qu'on puisse imaginer. Bien sûr, qui détruit la nature se détruit lui-même. Mais comment cette question aurait pu être débattue dans des parlements ?
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De toute évidence, ce qui inondait alors les universités n'avait aucun sens, la race, le sang, toute l'irrationalité absurde qui se déversait de façon de plus en plus éhontée depuis les estrades. Et précisément dans nos rangs de botanistes, de biologistes, nos camarades ont laissé s'échapper la connaissance avec enthousiasme et fièvre ; ils ont laissé la vérité être la vérité ; ils ont prêché la nation, le sang et le sol ; ils ont forcé Mandelbaum, qui avait dénoncé publiquement les tourments mortifères de ces arriérés, à prendre sa retraite. Il s'est enfui aux Etats-Unis. Au début, nous avons ri de tout ça, mais c'était un rire incrédule, désespéré.
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Je suis capable de désassembler conceptuellement le splendide vieux pin dont les branches fouettent la fenêtre du haut par grand vent jusqu’à sa structure moléculaire et le nommer « correctement ». Mais je n’ai aucun moyen de décrire la langue dans laquelle il me parle quand il frappe contre la fenêtre.
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J’aurais dû revenir ici plus tôt. Ai-je eu peur des souvenirs ? Je voulais être productif, mener à bien un projet, faire sortir quelque chose de moi-même – quelque chose dont le sens me semble de plus en plus insaisissable au fur et à mesure que j’accepte, tandis que ma résistance s’amenuise, de me contenter ‘être là. Cette acceptation implique aussi une sérénité, une sorte d’adieu au monde empirique, dont je me détourne, auquel je deviens indifférent. Du fait de cette indifférence, rien ne me paraît désormais plus important que tout le reste. Je ne lis presque plus les journaux, je me tiens à distance des télévisions et des radios, ne leur prête plus aucune attention. Depuis plusieurs jours, je ressens une sorte de vertige, un évanouissement ; pas ceux des attaques brutales de mes infarctus, qui m’ont obligé à devenir professeur émérite il y a quelques années. Mais plutôt le sentiment d’être tiré doucement vers le bas, bien qu’il soit impossible de décrire très précisément l’orientation de ce mouvement. De façon générale, depuis mon arrivée, mes pensées, mes idées et mes sensations sont confusément dépourvues de direction et de but. Elles brillent d’une faible clarté qui m’était totalement inconnue jusque-là, dans une omniprésence vague, indéterminée. Ma perception de cette déconcentration négligente est néanmoins intense, très explicite. Bien que je ne sois pas venu ici pour me laisser aller, je ne m’y oppose pas.
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Il existe sans doute chez nous une impulsion profonde qui nous conduit à répéter ce que nous avons vécu. Ce n’est pas la régression sénile de la vieillesse, mais une manière productive d’être prêt à raviver les expériences de l’enfance. Mais à quoi riment ces expériences dont ne reste que le souvenir ? Et celles qu’on raconte ? Cette impulsion semble s’accentuer à mesure qu’on approche de la fin de sa vie. Un cycle se clôt. Des débuts s’achèvent.
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En substance, voilà ce qu’il en est : les constructions artificielles de l’exactitude conceptuelle, les termes uniques et imposés dans le monde entier, avec lesquels Linné a transformé il y a deux cents ans la marguerite en Pellis perennis, n’ont pas donné de noms à la nature, mais les lui ont volés. A d’autres égards, la nomenclature de Linné est un héritage difficile, car son système n’est pas seulement descriptif, mais aussi étrangement et tristement évaluatif. Il est tout simplement scandaleux que le chimpanzé y soit dénigré par le mot troglodytes et l’orang-outang par satyrus. On peut aussi voir comme une marque d’humour impuissant le fait que Linné ait donné aux amibes le nom Chaos chaos.
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La vie des plantes correspond à la mort et à l'état d'avant la naissance des êtres humains. La mousse ne vit que dans l'ici et maintenant, là où est l'âme du groupe, la conscience collective. Elle a refusé l'individuation mais a par là même développé un degré élevé de conscience de soi vivante.
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Quand je suis venu ici il y a neuf mois, le lac était un lac, la forêt une forêt et la mousse de la mousse, entourés de mots et de noms étrangers. Quand j'ai commencé à tomber amoureux de la mousse, quand j'ai remarqué que la mousse s'approchait elle aussi de moi et me voulait près d'elle, alors le lac n'était plus seulement un lac, la forêt bien plus qu'une forêt, et la mousse autre que de la mousse. La mort est un paysage riche et vert, à travers lequel souffle un vent humide. Tout au fond se trouve une maison au toit de chaume.
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Je prends une grande inspiration, m'étends immobile dans l'eau, regarde en plissant les yeux en direction du soleil couchant, suspendu, comme empalé sur la pointe des pins, et je me demande s'il y a une différence entre s'enfoncer et s'élever, étendre ses racines et ses ailes, connaître et s'étonner, l'être et la conscience, je ne trouve pas de réponse parce que j'en cherche une, j'expire profondément, je recommence lentement à tracer mes couloirs.
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Vous recevrez aussi un colis en recommandé contenant un manuscrit de mon frère décédé. Comme vous le savez, il a laissé, en plus des textes scientifiques que vous avez édités, de nombreuses notes personnelles, essentiellement des journaux intimes que j’ai détruits sans les lire dans le respect de ses dernières volontés. En ce qui concerne la nature du manuscrit dont il est question ici, je me suis longtemps demandé s’il s’agissait de notes personnelles ou d’un texte écrit en vue d’être publié. Après plusieurs lectures, compliquées par le fait qu’une partie du manuscrit est rédigée en sténographie, j’en suis venu à la conclusion que mon frère avait conçu ces notes comme appartenant à De la critique de la terminologie et de la nomenclature botaniques. Même si j’ai de sérieux doutes quant à une éventuelle publication, celle-ci devrait être conforme aux intentions de mon frère. Cependant, avant d’entrer dans le détail, je dois vous donner quelques précisions sur la mort de ce dernier, qui pourraient apporter un éclairage particulier sur ce texte étrange.
Comme annoncé officiellement, mon frère a été retrouvé mort dans la maison de campagne de l’Ammerland que nous possédions tous les deux. Le décès, pour autant qu’on ait pu le déterminer, est daté du 3 mai 1981, et sa cause est une insuffisance cardiaque. Mon frère s’était isolé en septembre 1980 dans cette maison pour travailler à son projet. Bien que son cœur ne lui assurât pas le meilleur état de santé, il tenait à garder son autonomie, refusant catégoriquement toute aide domestique. Vous savez sans doute mieux que moi à quel point il pouvait se montrer têtu, surtout dans son travail. Je lui ai rendu visite à Noël 1980. Il m’a donné l’impression d’être satisfait, détendu et plus joyeux qu’à l’accoutumée. Le seul changement que j’ai remarqué est la barbe qu’il s’était laissé pousser. Il semblait en pleine possession de ses moyens intellectuels. Aujourd’hui, je dirais bien entendu que certaines de ses déclarations auraient dû me mettre la puce à l’oreille. Le 11 mai 1981, j’ai reçu un appel du commissariat local m’annonçant sa mort. Je me suis rendu sur les lieux le jour même. Hennting, un voisin agriculteur, avait appelé la police parce que contrairement à ses habitudes, mon frère ne s’était pas présenté chez lui pour récupérer son courrier et faire ses courses. Quand je suis entré dans la maison, sa dépouille avait déjà été transportée au village de Wiefelstede. Le médecin qui a émis le certificat de décès m’en a fait la description suivante. Malgré la pluie qui était tombée les jours précédents, les portes et les fenêtres étaient restées ouvertes. Mon frère était étendu devant son bureau, dans un état de légère décomposition dû au haut degré d’humidité qui régnait dans la maison. Curieusement, des mousses étaient apparues sur son visage, en particulier autour de sa bouche, de son nez et de ses yeux, ainsi que dans sa barbe. Pour des raisons évidentes, son corps avait immédiatement été placé dans un cercueil. Cependant, à l’exception de sa barbe sauvage, mon frère ne m’a pas paru négligé ni sous-alimenté. La maison était, je m’en suis moi-même assuré, propre et rangée, à une étonnante exception près : il y avait partout des amas et des coussins de mousse, le bureau en étant couvert, tout comme le sol. L’oreiller du lit en accueillait même plusieurs sortes, dont certaines avaient séché, et d’autres, du fait de l’humidité régnant dans la maison, étaient encore vertes. Cette situation explique la « moussification » de la dépouille de mon frère. Sur son bureau se trouvait, au milieu des mousses, le manuscrit en question ainsi qu’un stylo à plume ouvert. Ainsi, il semblerait que mon frère soit littéralement mort au travail.
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INCIPIT
Note préliminaire de l’éditeur
La mort du professeur Lukas Ohlburg, survenue au printemps 1981 dans sa soixante-quatorzième année, a suscité la sympathie et endeuillé de vastes cercles du monde scientifique, par-delà ses collègues botanistes. Dans nombre de nécrologies et d’hommages publiés par des journaux et des magazines, dont certains n’étaient pas spécialisés en sciences, la mort d’Ohlburg est apparue comme une perte considérable pour la botanique en particulier et pour les sciences naturelles en général. Outre les recherches spécifiques qu’il a menées, et dont témoignent principalement ses deux grands ouvrages consacrés aux formes de végétation tropicales et subtropicales, considérés depuis longtemps comme des classiques de la botanique moderne, Ohlburg a exercé une grande influence sur le discours de la théorie des sciences grâce à ses essais sur la critique de la terminologie scientifique. La nature de son travail explique que non seulement des approbations emphatiques mais aussi des critiques sévères lui aient été adressées, et Ohlburg les provoquait en toute conscience.
Les collègues et amis d’Ohlburg savent que, durant les dernières années de sa vie, il parlait fréquemment de rassembler ces essais dans un ouvrage systématique intitulé De la critique de la terminologie et de la nomenclature botaniques.
Cependant, il semble ne s’être jamais attelé à ce travail ; du moins, on n’a retrouvé à sa mort aucun document ou matériau s’y rapportant. En ma qualité d’assistant d’Ohlburg pendant de nombreuses années, on m’a confié l’honorable tâche d’effectuer des recherches et, le cas échéant, d’éditer ces travaux posthumes, ce qui a été fait (voir Lukas Ohlburg, Considérations posthumes sur la botanique, Munich, 1982). Après cette parution, qui n’aurait pu aboutir sans l’aide amicale du frère du défunt, le professeur Franz B. Ohlburg, de Hanovre, j’ai reçu fin 1982 une lettre dudit Franz B. Ohlburg dont je reproduis ici, avec son aimable autorisation, quelques extraits, qui ont une grande importance dans la compréhension des textes publiés ci-après
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