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Citation de Charybde2


L’annihilation du nom par le concept, de l’expression vivante par le terme scientifique, a accéléré et scellé l’éloignement de l’humanité de la nature qui l’entoure. Naturellement, la perte d’un nom et d’une forme ne survient que dans la mort, où les êtres se décomposent, aboutissent à une grande dissolution de la forme, tout comme les ruisseaux, les rivières et les fleuves perdent leur nom lorsqu’ils se jettent dans la mer. Lorsque, par le passé, on identifiait les prisonniers avec des numéros, on les rayait de la liste des individus, les exilait dans un espace dépourvu de mémoire. Même face aux lopins de terre, aux lieux, aux villes, la numérotation ne s’arrête pas ; les codes postaux détruisent nos habitats. Le fait qu’aux États-Unis, les rues portent des numéros plutôt que des noms n’a cessé de me déranger pendant les années que j’y ai passées. Maintenant, je sais pourquoi.
J’entends des collègues me demander en criant si je n’ai pas perdu la tête. Je leur réponds que je me suis rarement senti aussi lucide que ces jours-ci.
Le fait que les plantes, les animaux, les personnes, les rues et les lieux aient des noms ne représente en réalité qu’une partie de la vérité sur les relations entre les mots et le réel. L’autre partie, qui nous échappe, est que les noms eux-mêmes ont des choses, que les choses sont des noms, qu’autour des noms se sont formés des champs de force où la réalité matérielle et intellectuelle de l’environnement s’ajoute au nom. C’est ainsi que les choses annoncent leur vie. Un nom établi est donc, sur le plan biologique, le résultat d’un processus mimétique. Nous connaissons les ruses protectrices de certains animaux qui, surtout grâce à leur couleur, mais parfois même à leur forme, s’adaptent aux corps animés et inanimés qui les entourent. Le rayonnement mimétique des noms semble englober dans sa puissance tout ce qui a été, tout ce qui vit, la mort manifeste – et ce, malgré elle. De la vie vécue. C’est cela qu’un nom conserve. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle ce savoir ne me parvient que maintenant, à l’approche de la fin, une fois traversé le blindage des chars de la science.
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