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4.2/5 (sur 23 notes)

Biographie :

Kristen R. Ghodsee est professeure d'études russes et est-européennes, membre du Graduate Group of Anthropology de l'université de Pennsylvanie.

Source : Le Monde diplomatique
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Kristen Ghodsee
Si vous êtes une femme qui vit et travaille en Occident aujourd'hui, vous ne connaissez certainement pas le nom des Bulgares Elena Lagadinova et Ana Dourcheva, ou des Zambiennes Lily Monze et Chibesa Kankasa, à qui vous devez pourtant une partie de vos droits. Si vous n'avez jamais entendu parler d'elles, c'est parce que les vainqueurs de la guerre froide ont gommé de leur récit les nombreuses contributions des femmes du bloc de l'Est et des pays du Sud au mouvement féministe international. Le triomphalisme de l'Occident après la disparition de l'Union soviétique a effacé des mémoires tout héritage positif associé à l'expérience socialiste. Celle-ci est désormais réduite à l'autoritarisme, aux files d'attente devant les boulangeries, au goulag, aux restrictions de voyages à l'étranger et à la police secrète.
Les Occidentaux ont tendance à ignorer que la modernisation rapide de la Russie et de certains pays d'Europe de l'Est a coïncidé avec l'avènement du socialisme d'État. En 1910, par exemple, l'espérance de vie en Russie tsariste avoisine 33 ans, contre 49 ans en France. En 1970, elle a plus que doublé, atteignant en URSS 68 ans, soit trois ans de moins seulement qu'en France. L'Union soviétique inscrit le principe d'égalité juridique entre les sexes dans sa Constitution dès 1918 et légalise l'avortement en 1920 — une première mondiale. Elle déploie des efforts ambitieux pour financer des modes de garde d'enfant collectifs bien avant que l'Ouest ne s'en préoccupe, et investit massivement dans l'instruction et la formation des femmes. Malgré les multiples dysfonctionnements de la planification centralisée, le bloc de l'Est accomplit après la seconde guerre mondiale d'importants progrès scientifiques et technologiques, auxquels les femmes contribuent grandement.
Bien sûr, tout est loin d'être parfait. L'avortement est à nouveau interdit en 1936 et le demeurera jusqu'en 1955. La culture patriarcale oblige les femmes à assumer, en plus de leur travail rémunéré, les tâches domestiques dont les hommes refusent de s'acquitter. À cause des pénuries, l'achat de produits de base exige autant d'efforts qu'une ascension de l'Himalaya ; les couches jetables ou les produits d'hygiène féminine sont souvent impossibles à se procurer. Et les échelons supérieurs du pouvoir politique et économique restent largement occupés par des hommes. Pourtant, les progrès sont notables. Après 1945, les femmes vivant en Union soviétique et en Europe de l'Est intègrent largement la population active, tandis qu'en Occident elles restent souvent cantonnées à la cuisine et à l'église.
Durant le guerre froide, leur statut dans la société suscite entre les deux blocs une rivalité qui joue un rôle d'aiguillon pour les pays occidentaux. En 1942, les Américains découvrent, fascinés, les exploits de la jeune tireuse d'élite soviétique Lioudmila Pavlitchenko (309 nazis tués à son palmarès), qui effectue une tournée aux états-Unis en compagnie de la première dame Eleanor Roosevelt. Washington ne commence à s'inquiéter de la menace que représente l'émancipation des femmes soviétiques qu'après le lancement du satellite Spoutnik, en 1957. L'URSS, qui mobilise deux fois plus de matière grise que les États-Unis — celle des hommes et celle des femmes —, ne risque-t-elle pas de les devancer dans la conquête de l'espace ? Le gouvernement américain adopte l'année suivante une loi pour la défense nationale qui alloue des fonds à la formation scientifique des femmes.
Le 14 décembre 1961, le président John F. Kennedy signe le décret 10980, à l'origine de la première commission présidentielle sur la condition de la femme. Le préambule cite parmi ses raisons d'être la sécurité nationale, non seulement parce que l'État a besoin d'une armée de réserve de travailleuses en temps de guerre, mais aussi parce que les dirigeants américains redoutent que les idéaux socialistes ne séduisent les femmes au foyer américaines frustrées et ne les jettent dans les bras des « rouges ».
Le 17 juin 1963, on peut lire en « une » du New York Herald Tribune : « Une Soviétique blonde devient la première femme envoyée dans l'espace », et du Springfield Union : « Les Soviétiques envoient en orbite la première cosmonette ». Les journaux publient des images de Valentina Terechkova, âgée de 26 ans, souriante dans son scaphandre de cosmonaute portant l'inscription cyrillique « CCCP » ( « URSS » en alphabet latin). « Les Russes apportent ainsi la preuve que la femme peut rivaliser avec l'homme dans les exercices les plus difficiles auxquels nous convie l'évolution de la technique », écrit Nicolas Vichney dans Le Monde du 18 juin 1963. Tandis que les dirigeants occidentaux continuent de craindre les conséquences de la libération des femmes sur la vie familiale traditionnelle, les Soviétiques mettent l'une d'elles en orbite… En réaction au nombre de médailles d'or accumulées par les sportives soviétiques aux Jeux olympiques de Munich en 1972, les Américains adoptent cette année-là une loi en faveur de l'athlétisme féminin. Chaque avancée dans le bloc de l'Est oblige les pays capitalistes à prendre de nouvelles mesures.

Le Monde diplomatique n° 808, juillet 2021 : Les « grands-mères rouges » du mouvement international des femmes. p. 14-15.
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Beaucoup répondront à cela que le travail sexuel n'est pas moralement condamnable, qu'il devrait être légalisé, protégé, syndiqué et décemment rémunéré pour ceux qui choisissent librement un emploi dans ce secteur de l'économie. Le travail sexuel existait bien avant l'avènement du capitalisme, il a continué à divers degrés dans les pays socialistes, et il continuera probablement d'être pratiqué sous une forme ou une autre à l'avenir. Mais une grande partie du travail sexuel, qu'il soit ouvertement tarifé ou plus subtilement négocié, est le produit d'un système économique qui fournit trop peu de sécurité matérielle aux femmes et qui pousse les gens à tout transformer en marchandise - leur travail, leur réputation, leurs émotions, leurs fluides corporels, leurs ovules, etc. - sur un marché où les prix sont fixés par les aléas de l'offre et de la demande. Que l'on ne se méprenne pas: cette forme d'échange charnel ne relève pas de l'émancipation sexuelle de la femme, mais bien d'une tentative désespérée de survivre dans un monde dépourvu de filets de sécurité.

P. 213-214
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Dès 1952, des sexologues tchécoslovaques ont lancé des recherches sur l'orgasme féminin et, en 1961, ils ont organisé une conférence entièrement dédiée à ce qui pouvait faire obstacle au plaisir sexuel des femmes. Ils sont arrivés à la conclusion que les femmes ne pouvaient pleinement apprécier le sexe si elles étaient économiquement dépendantes des hommes.

P. 208
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Il y a une formule très populaire aujourd’hui dans beaucoup de pays d’Europe de l’Est: «Tout ce qu’ils nous disaient du communisme était un mensonge, mais tout ce qu’ils nous disaient du capitalisme était vrai.»
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Des années plus tard, forte de mes recherches sur la relation entre l'indépendance économique des femmes et leur sexualité, j'aurais tant aimé pouvoir expliquer à Ken que sa vision des femmes était propre au capitalisme. Que ce qu'il considérait comme "naturel" n'était que le produit d'une certaine manière d'organiser la société. (p186)
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