Une détenue de la section politique, avec un petit numéro et sans P dans son triangle rouge, prit mon bras et commença à piquer le numéro 55908.
Ce n'était pas mon bras qu'elle piquait, c'était mon coeur. A partir de ce moment, je n'étais plus un être humain. Je ne sentais plus rien, je ne me souvenais plus de rien. Ma liberté, ma mère, mes amis, les maisons, les arbres, tout cela avait cesser d'exister. Je n'avais plus de nom, plus d'adresse. J'étais l'Häftling n°55908. A cet instant, après chaque piqûre, une période de ma vie se détachait de moi, cependant que m'envahissait la torpeur dans laquelle j'allais désormais vivre ma vie de numéro.
Ma fille nous a dit un jour, vers l’âge de 12 ans: « Comme j’ai de la chance d’être la petite-fille d’une victime, pourtant je n’y suis pour rien. Mais comme je me serais senti mal si jamais été la petite-fille d’un bourreau, et pourtant, je n’y aurais été aussi pour rien ».