À la mémoire de Joseph Brodsky
(mort le 28 janvier 1996)
III
La mort, le rebord du
miroir, dans lequel les
âmes se mirent, de leur
propre lumière.
Hormis de mesquines
dimensions, le ciel
acquiert une nouvelle face, façonnée,
au ciseau de la Poésie.
Peut-être nous as-tu instruit,
car seuls les enfants ont le droit
de ne pas tenir de promesses,
à la mort de ne faire nulle promesse.
Tu es désormais une partie
des puissants qui, violents
fléchissent le temps, jusqu’à ce que
sur la vérité il achoppe du pied.
// Armin Senser (1964 -)
/Traduit de l’allemand par Philipe-Henri Ledru
Pour Allen Ginsberg, décédé le 5 avril 1997
Tu n’étais pas là, quand je suis venu à New-York
pour la première fois de ma vie, en septembre 1987.
Je ne trouvai que ton usine, que ton atelier de poésie.
Les gens travaillaient sur des photocopieuses et des télécopieurs.
Quelqu’un me montra la piaule avec ton lit.
Je ne l’avais pas demandé, mais je l’avais craint.
Tu n’étais pas là, et cà m’amusait, et j’étais gêné.
« This is the shrine and where he meditates ! - I see... »
Tu avais laissé ton gros livre rouge
avec tes Collected Poems, avec un dessin
et la dédicace : « for Uwe Kolbe & Friends ».
Tu ignorais que j’étais solitaire.
Même la dédicace de tes poésie complètes
pour tes parents me resta à l’époque étrangère.
Nous ne nous connaissions pas, et j’appartenais
dans la double Allemagne à la génération presque prochaine.
La poésie beat voulait que nous devenions tous
vos disciples.
Personne ne pouvait prévoir que Burroughs
te survivrait.
Parce qu’il n’était quand même pas assez salaud,
comme tu l’avais supposé dans ton poème America pour rester à Tanger.
Ton travail consistait à prendre le monde dans tes bras par amour.
Tu as fait partie des gens au long souffle.
Tu n’as oublié aucune note sur ton orgue de prédicateur.
Au milieu des années quatre-vingt, je n’avais pas appris à temps
ta venue à Berlin-Est organisée par ce salaud de Sascha A. *
parce que je ne faisais pas partie des un-sur-sept.
On disait qu’en RDA un habitant sur sept avait le téléphone,
je présume qu’il y en avait moins.
Mais j’ai encore la cassette de ta prestation.
C’est chouette d’entendre comme les Berlinois de l’Est
étaient coincés quand ils parlaient leur anglais innocemment mauvais.
Ta voix maintenant disparaît lentement
dans les bruits de l’arrière-fond.
Le blues de la Fathers Death reste ma chanson préférée
de ces années-là, Bird Brain en était le résumé formidablement facile.
Ce n’est qu’en 1993 que tout marcha, et je pus t’écouter in live,
« Orplid and Co » merci. Tu revenais de Sarajevo.
Ce soir-là, tu appelais à la « guerre-éclair » culturelle
et tu voulus nous envoyer tous, nous les intellectuels allemands,
du café Clara directement là-bas. Tu te servais des mots
comme quelqu’un qui en a le droit.
Il n’en a rien été.
Tu n’as pas non plus réussi à implanter chez nous
ta joyeuse conception de la baise. On sait qu’en Amérique non plus.
C’est vrai que maintenant on en aurait besoin ;
juste avant l’Anno Domini 2000. Tu sais comment sont les choses aujourd’hui.
La liberté est assez brutale. Assez difficile à supporter
sans toi.
* Il s’agit du poète Sascha Anderson, accusé d’avoir travaillé pour la Stasi.
// Uwe Kolbe (17/10/1957 -)
/ Traduit de l’allemand par François Mathieu
Eglogue : Borkum
Extrait 3
Tout corps deviendra tôt ou tard victime du climat.
La seule chose qui encore te surgisse à l’esprit, c’est :
un solarium ou
encore le changement de latitude. Mais le mal du pays
est nostalgie
du froid ou le désir de porter des lunettes de soleil.
Là-bas ne sera jamais ici. Aucune rue, ni jupe, aucune voix
ne trouve accès à l’ouïe : la coquille pousse vers la pleine
mer.
Ce qui sépare l’endroit du corps, gît dans la mémoire du
langage.
Comprendre le patois. Comme souvenir, le mélange de l’île
n’est pas idoine. Dans la vie, les rimes sont aussi malsonnantes
que de la langue allemande la moindre divergence.
// Armin Senser (1964 -)
/Traduit de l’allemand par Philipe-Henri Ledru
Du sublime III
Extrait 2
[…] – images d’un continent perdu – gondwana
avant que les plaques ne dérivent et que la terre ne s’étale, grande, sous
le ciel – pour, dans sa propre torpeur, parvenir à un terme avant la
présence de ces choses et leur violence, la langue les invente en
histoires : naufrages et captivités, capitaines, entomologistes ou
géographes avec leur outillage, le romantisme du kaki – pourtant
l’apathie de la saison des pluies a raison de cet héroïsme – les nuits ici
sont sans étoiles les moustiques ne renoncent pas – la solitude ronge le
ventre – seul le ravenala résiste encore à la jungle – de loin la silhouette
de son sémaphore se dresse au-dessus de la colline et ne peut
télégraphier que son propre nom : l’arbre des voyageurs – la sécheresse
accumule l’eau au sein des palmes – à l’aisselle des feuilles, là où elles
se cicatrisent en tronc, il se fait citerne.
brickaville, 7.12.96
Raoul Schrott , Nationalité : Autriche , Né(e) le : 17/01/1964, Traduit de l’allemand par Odile Demange
Du sublime III
Extrait 1
l’avarie de la pluie à trois heures de l’après-midi – la mer qui tombe à la
verticale – et les éventails du ranevala comme des roues à l’aube qui
fouissent à vide dans les brisants – le vent baragouine encore ses ordres
dans les champs de canne qui débordent de boue – et voilà la grêle qui
jaillit de l’artère brune des nuages et qui rebondit contre la fenêtre – le
soir la chaleur s’accumule et lance des étincelles dans la chambre tandis
que le cyclone fait route vers le nord – moisissures et chaux écaillée au
mur – jambes écartées j’exsude la bière et les cachets de quinine –
difficile d’avaler dans cette humidité le corps inerte sur des draps
élimés – des buissons de lychees rouges pendent de la maison et se
brisent à chaque bourrasque – images d’un continent perdu – gondwana
…
brickaville, 7.12.96
Raoul Schrott ,Nationalité : Autriche , Né(e) le : 17/01/1964, Traduit de l’allemand par Odile Demange
Cosmopolite
De retour de mon voyage le plus lointain, le lendemain
Je réalise que des voyages je ne comprends rien.
En prison dans l’avion, sans mouvement des heures durant,
Sous les nuages qui ressemblent aux déserts,
Des déserts qui ressemblent à des mers, et des mers
Pareilles aux congères des neiges, à travers lesquelles on erre
Lorsque des narcoses on s’éveille, je reconnais,
Ce que veut dire errer dessus les latitudes.
Au corps fut dérobé le temps, aux yeux l’apaisement.
Le mot exact perd son havre. L’escroquerie
Se découvre en le troc de l’Au-delà et de l’Ici
En plusieurs croyances en différents langages,
Partout les aires d’envol sont gris bonnet bonnet gris
Lumineuses les chambres des cliniques. Là dans la zone transit,
Où le temps vide en vain retient éveillé,
Des bars d’Atlantis un adage se réalise.
Le voyage est une perspective de l’enfer.
Eglogue : Borkum
Extrait 2
Les dunes ont le cheveu clairsemé. Alors que le quartz
lustre ton amalgame, de son gîte la douleur se lève effrayée
et va rendre l’œil humide. Les dents, du froid
nourries en claquant enlaidissent le torse d’homme.
Parcimonie se nomme la loi du froid. Le trépied laisse
à l’œil le soin de puiser la lumière. Les amorces de mot
restent
collées aux pensées. Plus lent est le temps et plus froid
il fait donc.
L’éternité se fait ici espace ou bien fournaise insupportable.
…
// Armin Senser (1964 -)
/Traduit de l’allemand par Philipe-Henri Ledru
À la mémoire de Joseph Brodsky
(mort le 28 janvier 1996)
I
Elle ne tombera pas
la tension des gratte-ciel. Les artères
souterraines ne perdront pas leurs nerfs. Ni
ne se tariront sous la ville les rivières
Les façades ne porteront pas
le noir. Les Bourses ne se
tairont pas et en mesure les cœurs des
feux rouges continueront à battre.
Les circonstances engendreront des
expressions d’après des intuitions et
dans les périodiques que la conscience
calcine.
Des sirènes feront taire les
cloches des églises, les humains les humains
dans la vie et au-delà de la mort.
Le temps au temps n’intentera point de procès.
// Armin Senser (1964 -)
/Traduit de l’allemand par Philipe-Henri Ledru
À la mémoire de Joseph Brodsky
(mort le 28 janvier 1996)
II
Ce à quoi l’homme ne se
risque à rêver : chaque mort,
proche ou lointaine, derrière elle
laisse la vie et emporte la vie.
Suivra encore jours après l’autre,
la chance tentée sans
relâche de s’en tenir au libre arbitre
sans préjudice.
Subsisteront encore les malades du cœur,
des ventres affamés et la
souffrance par le bonheur non abusée, le
bonheur non point par la souffrance employé.
Le temps ne suppose-t-il point la vie ?
Et combien plus alors l’éternité
requiert-elle la vie.
// Armin Senser (1964 -)
/Traduit de l’allemand par Philipe-Henri Ledru
ANNE SEIDEL
*** [et ce n'est que le début]
et c'est (seulement) le début, le chaos, l'ombre, le trouble, qui montre l'espace de la présence mixte. ici. une lampe, une table, un morceau de papier, le monde entier dans des boîtes, à l'exception de quelques livres. montale avant tout. le voyage: une empreinte de la séquence silencieuse de mots prononcés les uns dans les autres. si l'on se parlait à l'avance - avec le moindre regret. mais oui, je dis quand même. petites choses. bruits d' eau, la nuit est réglée et un bruit fort pénètre à travers les espaces vides des arbres, comme dans le sommeil d'une entropie blanche.