Maxime Landry découvre son premier roman « Journal d'un disparu »
On m'a souvent répété de prendre le temps de respirer et de profiter de ma famille ou encore que notre vie nous était prêtée. Comme un cadeau que l'on devait rendre après l'avoir déballé. De ne pas trop en abuser au risque de la perdre un jour. Moi, la mienne, je n'ai jamais su quoi en faire, alors je l'ai rendue. De la même façon que l'on rapporte un livre à la bibliothèque après l'avoir vaguement feuilleté pour en lire les grandes lignes, ou comme un film que l'on retourne au club vidéo à cause du manque de temps et d'intérêt qui fait qu'on na pas été capable de poursuivre le visionnement jusqu'à la fin. J'ai préféré vivre ma vie sur avance rapide, sautant toutes les scènes qui ne me plaisaient pas au lieu de prendre mon temps et de les savourer avec un bon maïs soufflé.
De toute façon, ici, à Sainte-Madeleine-des-Monts, tout le monde se connaît, car il y a autant d'habitants que de lampadaires, et ce n'est pas très éclairé comme village.
J'aimerais tant revenir un instant pour que vous repreniez goût à la vie vous aussi. Je ne savais pas qu'en arrêtant de respirer j'allais vous couper le souffle.
Ce qui me fascinait, c’était la possibilité d’arrêter le temps et d’immortaliser des bouts d’une vie sur pellicule. En découvrant mon intérêt pour le comptoir de photographie, Maryse et Pierre m’ont offert mon premier appareil. Cette passion ne m’a jamais quitté, mais elle a évolué. Je suis passé du Kodak à l’effigie des Tortues Ninja au Canon professionnel que j’ai reçu pour mes dix-huit ans. J’ai des centaines d’albums photos de moments que j’ai capturés à travers ma lentille, comme pour fixer les instants de bien-être. Ceux que je capte quand plus rien ne me dérange.
Je n'aurais pas pu amasser de quoi payer mes obsèques, si ça trouve. De toute façon, une vieille boîte de carton serait à la hauteur de mon estime de moi en ce moment.
Depuis ma naissance, je me suis adapté aux couleurs des autres. Comme un caméléon. J’ai dû me fondre dans le décor des différentes maisons dans lesquelles j’ai vécu, jusqu’à ce que vous veniez me chercher. J’ai eu des chambres de toutes les couleurs et tapissées de toutes sortes de choses.
Je suis seule depuis toujours, je n’ai pas encore rencontré l’homme qui me donnerait envie de bâtir quelque chose de solide, de durable. Je me suis toujours dit que cela arriverait au moment convenable.
Mais il est loin d’être opportun, le moment. Il ne pourrait être plus mal choisi. À l’aube de ma mort, je croise cet homme mystérieux à deux reprises dans des circonstances assez particulières. Le pire, c’est que ça me chavire, ça me bouscule de l’intérieur.
Je ne le reverrai probablement jamais, comme s’il avait été de passage pour me faire ressentir ce qu’est l’amour, au moins une fois dans ma courte vie.
On m’a abandonné lorsque je suis venu au monde. Jusqu’à l’âge de sept ans, je n’ai eu aucun repère. Je vivais dans mes valises, à me promener à travers le Québec. Pas à la recherche d’une famille, mais plutôt à la recherche de deux personnes qui décideraient de me garder pour une période un peu plus longue que la précédente. Jusqu’au jour de mes sept ans, celui où Pierre et Maryse m’ont adopté. Pour moi, ça signifiait très peu à l’époque. Mais maintenant, je me rends compte qu’ils m’ont sauvé la vie. Ils m’ont permis d’avoir un domicile fixe et des points d’ancrage.
Personne ne se soucie de moi. Ils ne m’aiment pas. Je ne suis pas comme eux. Moi, je n’aime pas la vie. Il n’y a pas si longtemps, j’avais bien l’impression que je n’aurais plus à subir cette scène tous les jours puisque de nouveaux parents m’emmenaient loin d’ici, à Chicoutimi. J’aurais dû me montrer plus coopératif quand venait l’heure de me mettre au lit. Cela les aurait peut-être empêchés de me ramener aussi rapidement à l’entrepôt où l’on me restreint à me taper le chaos de cette heure obligatoire dans la salle de jeux du centre jeunesse.
Même les expressions les plus populaires sont quelque part dans un tiroir de son cerveau, pêle-mêle. Quand le temps est mal choisi, elle est incapable de contenir ses grandes envolées philosophiques du genre:
«L’habit ne fait pas le mois… L’avenir appartient à ceux qui se lèvent debout!»
J’aimerais tellement être comme elle. Ne pas me soucier des autres et de leurs problèmes. Elle ne m’a posé aucune question sur mon état de santé à la suite de l’appel de mon médecin. De toute façon, je n’aurais pas su quoi lui répondre.