Michael Farris Smith réussit un polar âpre et brûlant sur les terres du sud des Etats-Unis, à la manière d'un
Larry Brown ou d'un
William Gay. Mario Condé, le héros désormais fameux de Leonardo Padura, traîne sa nonchalance sous le soleil noir de la mélancolie cubaine. Et
Julien Capron nous embarque dans un futur d'autant plus glaçant qu'il est proche de nous. Belle manière, à travers ces trois romans noirs, de prendre la température du monde.
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Domino savait que la vie se mesure parfois en intervalles qui, bien que minuscules, sont cruciaux. Ainsi, quand on baisse les yeux pendant juste une seconde pour allumer une cigarette alors qu'un véhicule arrive en sens inverse. Ou si on se torche le cul avec le billet de loterie gagnant parce qu'on a pas d'autre papier dans son portefeuille à part des billets de banque. Ou si on est trop pressé de remonter sa braguette et qu'on coince un peu de peau tendre entre les petites dents de laiton et puis qu'on reste là tout seul devant l'urinoir sans pouvoir baisser ou monter la fermeture éclair, qu'on se débat silencieusement en essayant de ne pas hurler.
Une chaude soirée de fin de printemps ou de début d'été, où les branches commençaient à se fondre les unes dans les autres, où tout au loin devenait moins net, jusqu'à ce que la nuit finisse par arriver, que toutes les lumières s'allument et que le jour soit une affaire classée.
Ça fait quelque chose de tuer quelqu’un. Je parle pas d’un chien. Quelqu’un. Une personne, qui parle comme toi, qui mange comme toi, qui a une cervelle comme toi. Une âme comme toi. Et chacun a une façon différente de l’assumer. Parce que c’est pas facile à assumer. C’est un truc que t’oublies pas. Quand t’appuies sur la détente, t’appuies pour l’éternité. C’est pas comme larguer une bombe, quand t’es haut dans le ciel et que tu vois pas ce que ça fait en bas, même si tu sais que ça fait des dégâts.
Tu regardes quelqu’un dans les yeux, puis tu le tues, t’oublies pas ces yeux là. T’oublies pas que t’es la dernière chose qu’il a vue.
Il se cala contre le siège et la regarda. Elle avait les cheveux lâchésl, complètement défaits, et sa chemise de nuit était ouverte en haut, de sorte qu'il voyait ses seins lourds avec leurs grandes aréoles. Toutes ces nuits où il avait rêvé d'elle, où il s'était endormi en pensant à elle, tous ces jours dans les champs de coton où seule la perspective de cette nuit lui avait permis de tenir jusqu'au soir, tout cela lui ordonnait de descendre de voiture, de prendre sa main, de se recoucher dans son lit, de s'endormir avec elle, dans l'odeur de ses cheveux et de sa peau.
Il tendit la main, fit démarrer la voiture, puis alluma les phares.
Le monde est trop grand. Les gens ne savent pas ce que font les autres. Comment tu veux te tenir au courant de tout ce qui se passe ? Y a trop de choses, et trop de gens. Tout ce que tu peux connaitre du monde, c’est la petite place riquiqui que tu occupes.

Mais ça ne lui ferait certainement pas de mal de passer chez Jewel un petit moment. Il n'était pas obligé d'entrer. Il suffisait qu'il fasse venir Jewel dans la voiture quelques minutes. Elle accepterait, probablement. Ca faisait si longtemps. Il ne voulait tout simplement pas être obligé de lui parler du gamin pour l'instant. Il ne voulait pas qu'elle recommence à lui saper le moral avec ça. D'ailleurs, tout n'était pas de sa faute à lui. Il faut être deux pour danser le tango.
Car on se laisse facilement aller, quand on sort avec une femme depuis quelques temps. Et puis il n'avait jamais aimé les capotes. Ca enlève du plaisir. Elle avait toujours insisté pour qu'il les mette, ces putains de machins. Elle en avait, même, et qui sait où elle se les était procurés. Une femme célibataire, dans cette petite ville, n'allait tout simplement pas entrer à la pharmacie pour acheter une boîte de préservatifs. Peut-être son médecin les lui avait-il fournis. Peut-être y avait-il des distributeurs de capotes dans les toilettes pour femmes des stations-service et des bars. Il n'en savait rien. Peut-être était-elle allée jusqu'à Memphis et en avait-elle acheté là où personne ne la connaissait. Il se souvenait qu'ils s'étaient disputés à ce sujet, qu'elle avait pleuré entre des déclarations d'amour. Et puis elle s'excitait et laissait tomber parce qu'il promettait de ne pas finir en elle. Et puis c'était si bon… une erreur, c'est tout. La vie, quoi. Il ne pouvait rien y changer à présent.
Les gens se battent depuis que Dieu les a faits et ils continueront toujours. Y a que les raisons qui changent, mec.
- Je peux vous acheter une de ces bières ? demanda-t-il.
Joe se retourna et le regarda.
- Quoi ?
- J’ai un peu soif. […] Je peux vous en acheter une ? […]
- Je vais te dire, petit. Tu peux boire une bière si tu veux. Je crois pas que ton père* trouverait à y redire, hein ?
- Je crois pas.
- Mais tu ne peux pas m’en acheter une. Les amis n’achètent pas les choses entre eux.
- Oui, m’sieur.
- Et arrête de m’appeler m’sieur.
- Oui, m’sieur.
Le père de Gary est un véritable alcoolo !
J'ai eu envie de sortir et de regarder les poissons rouges.
- Ah bon ? Et qu'est-ce qu'ils font ?
- Rien. Ils nagent en rond.
Il arrêtait pas de parler de cette fille, toujours cette fille, et je me disais Mec, comment tu veux trouver une fille qui se mélangerait avec toi ? Je veux dire avec la gueule arrangée comme il avait. Rien que de la peau de cicatrice. Il avait des cheveux par endroits, à d'autres non. Des rognures de peau. D'accord il avait un visage mais c'était pas un vrai visage. Je suppose que les mecs avaient fait le mieux qu'ils pouvaient avec ce qu'ils avaient sous la main. Et il avait dit qu'ils en auraient fait plus s'il les avait laissés. Je suppose qu'on l'avait tellement trimballé d'un hôpital militaire à l'autre qu'il voulait plus en voir.
C'est sûrement pour ça qu'il a jamais demandé où il était. Faut croire que pour lui ça faisait pas de différence.