Consciente de céder à une pulsion masochiste, le pouls battant comme un gong funèbre, elle se rendit dans sa chambre. S’agenouillant sur le tapis, les mains tremblantes, elle ouvrit le couvercle du coffre de cèdre. L’odeur de lavande lui souleva le cœur.
Il était encore temps. Elle pouvait s’arrêter. Elle ne devait pas faire ça. Mais l’instinct qui l’animait était sourd aux raisonnements. Mue par une rage aveugle et futile, fouillant sous les draps, les nappes et les vieux vêtements, indifférente à la pagaille qu’elle mettait, Libby exhuma des profondeurs du coffre la relique depuis longtemps enterrée.
Les livres ont cette faculté de nous faire remonter le temps n'est-ce pas ? De nous ramener à l'époque et à l'endroit où nous les avons rencontrés pour la première fois.
Elle essaya de s’abandonner à la sensation d’être étreinte, d’attiser de nouveau les appétits d’un homme. Elle le laissa franchir la barrière de ses lèvres, elle offrit sa langue à la sensualité de la sienne… Un réflexe érotique la traversa, imprévu, perturbant. Agaçant. Libby ne voulait pas ça, et en même temps, elle voulait. C’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver, si Doug réveillait sa féminité. Avec lui, elle se sentait aimée. En sécurité.
Trent Baker n’avait pas de place dans sa vie. Cet homme n’avait jamais rien partagé avec elle. Il n’avait jamais compris, ni cherché à la comprendre. Le drame qui la dévastait, il l’avait traité avec sa désinvolture ordinaire. Pour lui, ce n’était « qu’une fausse couche ». Pour elle, une perte insurmontable.
Et aujourd’hui, lui, il avait son enfant. Elle, elle n’en avait pas.
Il croiserait forcément Libby. Pourquoi aller s’exposer à un passé qu’il avait gommé ? Menteur ! Tu n’as rien gommé du tout. Depuis l’appel de Chad, le souvenir de Libby ne cessait de le hanter, remuant de puissantes émotions. Que disait la philosophie populaire à propos du premier amour ? Que l’on n’en guérit jamais tout à fait ?
Divorcée depuis onze ans, après plusieurs relations qui n’avaient mené nulle part, elle était très réticente à l’idée de tenter une nouvelle expérience. Elle n’entretenait certainement pas le fantasme absurde du grand amour et, comparé au mariage avec un oiseau mal approprié, vivre seule avec son chat confinait au paradis.
Sentant qu’il ne la quittait pas des yeux, Libby se força à l’observer une fois de plus. Globalement, les traits étaient tels que dans son souvenir, mais la maturité, la tristesse et l’inquiétude transformaient en étranger le garçon insouciant qui avait été autrefois son mari.
Diable. Elle n’avait pas vieilli. Elle était encore plus belle. La même silhouette mince, mais les courbes plus généreuses, plus féminines. Lorsqu’elle avait souri à Kylie, il avait dû se retenir pour ne pas étendre le bras et la toucher.
— Laissez-moi deviner. Elle n’était pas anxieuse, elle était agacée que son fils soit malade ?
— Agacée est un euphémisme. Certaines femmes ne devraient simplement pas avoir d’enfants.
Quelle chance elle avait, d’exercer le métier pour lequel elle était née, et de pouvoir en vivre, simplement mais confortablement, dans un des plus beaux endroits du monde !