Laura Collins

C’était la deuxième fois que ce truc m’arrivait ! Et c’était franchement perturbant et très pénible à vivre, pendant et après. Mais là, j’avais fini à l’hôpital. Je me voyais mal raconter ce que j’avais ressenti. Qui me croirait ? Comment expliquer une chose pareille sans sembler folle à lier ? Je n’avais pas envie de me retrouver enfermée dans un service psychiatrique à 26 ans, non ! Alors, je feignais de dormir encore, je doutais que le personnel soignant soit dupe plus longtemps. J’étais bien assommée par ce qu’ils m’avaient injecté, mais bon...
La première fois, c’était il y a six mois. J’avais cru à un coup de fatigue. C’est vrai, il arrivait qu’on déraille un peu quand la pression était trop forte, quand on manquait de sommeil et qu’on ne parvenait plus à prendre du recul sur tout ce qu’on avait vécu. Et pour cause ! Même moi, j’avais encore du mal à mettre des mots dessus.

« — Et alors, qu’est-ce que c’était ?
— C’est la question que je me pose. Votre encéphalogramme est normal, votre tension aussi, vous avez l’air tout à fait cohérente, pas de céphalée persistante, pas de troubles de la coordination ni de troubles moteurs. Pour un peu, on pourrait croire qu’il ne vous est rien arrivé. Or ce n’est pas le cas, ou alors vos amis souffrent tous d’hallucinations et c’est eux que je devrais examiner. Vous croyez que je devrais ?
— C’est vous le médecin, répliquai-je en luttant pour ne pas répondre au sourire que je voyais éclairer ses yeux.
— Ça va coûter cher à la sécu… et de toute façon, ils se sont curieusement volatilisés.
— Les amis ne sont plus ce qu’ils étaient…
Il réprima un sourire et glissa son calepin dans sa poche, semblant capituler, ce qui faillit me faire soupirer de soulagement. »

— Ah, tu es là ? fit Mélanie à Nathan ce soir-là, en le découvrant installé dans le canapé alors qu’elle passait papoter en sortant de son travail.
— Pourquoi c’est interdit ? répondit-il en haussant un sourcil.
Elle ravala sa langue, un peu mal à l’aise.
Nathan m’avait fait une petite place dans sa vie déjà bien remplie. Je l’avais découvert également sous un autre jour : je savais qu’il aimait nous taquiner tous et il était aussi très joueur. Je n’avais rien dit à Mélanie sur nous deux. Elle m’aurait bombardée de questions et, sans réellement savoir pourquoi, j’avais envie de rester discrète sur notre relation. Pour le moment. Sophie et Clément l’avaient de toute évidence devinée, mais n’avaient fait aucun commentaire. Seuls leurs regards parfois complices les trahissaient.

"— Vous pouvez pas marcher droit, bordel ? m’invectiva-t-elle. C’est quoi ces écarts que vous faites ? Je me suis pris la cheville dans un trou. Si j’ai pas une entorse, j’aurai de la chance.
Ses yeux bleus, d’une intensité extraordinaire et surlignés de sourcils épais bien dessinés, me fusillèrent sur place. Ou elle dérouillait ou elle avait un sale caractère.
— Je peux regarder ?
— Vous êtes médecin ?
Cette fois, c’est sa bouche, pulpeuse à souhait, qui attira mon attention. Une bouche venimeuse, mais tentante. Je m’en détachai à temps pour bredouiller :
— Non, désolé.
— Alors pas touche ! Vous avez fait assez de mal comme ça. "

La jeune mère accueillit son bébé avec un sourire las mais radieux. Ces jours-là, Yvan oubliait tout ce qui pesait sur ses épaules, même les récentes décisions, lourdes de conséquences. Dans la vieille ferme qu’elle occupait avec son compagnon, Hugo, Carmen Sora venait de mettre au monde un adorable petit garçon.
— Alors, vous l’avez choisi ce prénom ? questionna-t-il les deux parents attendris.
— Rafael, murmura-t-elle. Comme mon père. Je trouve qu’il a sa bouche et son menton.
— Tant qu’il n’a pas son caractère, la taquina Hugo avec adoration.

Sa poitrine se soulève avec rapidité. La tension incroyable entre nous monte en flèche ; elle se fait brûlante. Il ferme les paupières comme s'il luttait contre lui-même [...]

Soudain, il aggrippe mes bras et me force à le regarder. Lui, son nez droit, sa mâchoire carrée, ses yeux d'une intensité incroyable, la fossette qu'il a sur le menton, le pli contrarié sur son front et surtout ses lèvres pulpeuses. Ce mec est sexy, même en colère. Je peine à me détacher de sa bouche tentante et me mets à rêver de la goûter.

« — Et toi, pourquoi traductrice ?
— Oh moi, c’est simple. Par paresse…
Il écarquilla les yeux.
— Pardon ?
— Mon père a grandi aux USA. À la maison, on a toujours parlé français et anglais, depuis ma naissance, et de ce fait, je suis bilingue depuis très longtemps.
— Ça ne fait pas tout.
— J’ai une relation particulière avec les mots : je les aime ! Et traduire c’est… traquer le mot juste. J’adore faire ça ! »

Je voudrais tout lui donner. Jusqu'à mon cœur : j'aimerais qu'il puisse sortir de mon torse pour aller battre dans sa poitrine et me la ramener.

Ce n’est qu’un masque, Liam, que tu détestes porter. Ce masque est tombé cette nuit. Et moi je vois qui est derrière. Pour ta gouverne, un monstre n’a pas de cœur et se sauve lui, au lieu de sauver les autres. Hier, tu t’es écouté, toi. Tu as trouvé la force d’être toi. De faire de la magie une bonne chose, et il n’appartient qu’à toi d’y veiller. La magie ne te détermine pas, Liam.

Elle dénuda son épaule, non sans remarquer que son regard se troublait et que sa respiration s'accélérait. Il appliqua doucement la base de son petit appareil sur le large bleu qui s'était dessiné. La morsure du froid fit tressaillir la jeune femme, mais elle sentit vite l'apaisement et ferma les yeux un court instant.