Le travail social n'échappe plus à la marchandisation, à la mise en concurrence, à la recherche de la productivité et du moindre coût. En tant que professionnels de l'action éducative, nous sommes sommés de rendre compte d'actions concrètes, avec des résultats visibles, là où nous défendons que l'invisible aussi est à l'œuvre et se dissipe à toute tentative comptable d'analyse. Le travail social est en crise, en passe d'être déshumanisé par des normes qualité en tout genre, des procédures diverses et variées. Loin de soutenir notre action, ces dispositifs l'entravent et créent de la désespérance pour beaucoup d'entre nous.
Dans ce métier pas comme les autres, souvent éprouvant, parfois exaltant, les histoires nous touchent, nous heurtent. Certains soirs, il faut rentrer chez soir avec la crainte de ne pas avoir fait ce qu’il fallait, la pensée qu’un enfant est peut-être en danger, sans oublier que notre responsabilité pénale individuelle est toujours susceptible d’être engagée. Mais il y a aussi, à d’autres moments, la joie d’avoir aidé quelqu’un. Il faut être capable de sollicitude, savoir qu’un acte peut être barbare sans que l’auteur se réduise à son geste, protéger malgré la peine, la colère, la peur, l’incompréhension, ne pas juger. Et toujours garder cette question en tête, comme une éthique : quel est l’intérêt de l’enfant ?
Aujourd’hui, le déficit de reconnaissance lié aux difficultés et au stress de ce métier, à son envahissement par des logiques managériales déshumanisantes et au manque criant de moyens, participe de l’effritement d’une profession en perte de sens. Le secteur de la protection de l’enfance est malmené et traverse une crise profonde. Les politiques à l’œuvre affectent les principes éthiques de notre mission. Nous sommes nombreux à partager le triste sentiment de ne plus pouvoir protéger les enfants comme il le faudrait.
Comment supporter de laisser un enfant être maltraité dans sa famille faute de places suffisantes dans les structures d’accueil ? Cela paraît fou, mais il nous est arrivé de chercher pendant plus d’une place d’accueil sans la trouver ! Ou faut-il accepter l’interruption de tout travail éducatif au prétexte qu’un adolescent souffle ses dix-huit bougies ?
Il arrive que nous intervenions à deux travailleurs sociaux pour accompagner une seule famille. C’est ce que nous appelons un « binôme éducatif ».
Cette pratique a pris de l’ampleur. Il y a plusieurs raisons à cela. Après des années d’expérience dans le secteur de la protection de l’enfance, nous trouvons effrayant de laisser un travailleur social seul avec une si lourde responsabilité. En effet, il est à craindre qu’un professionnel captif de sa seule subjectivité manque de discernement au détriment de sa famille. Nous avons toujours peur de passer à coté de quelque chose d’essentiel, de nous tromper, de nous laisser embobiner par les propos d’un parent particulièrement sympathique, manipulateur ou simplement charmeur, avec les conséquences dramatiques que cela peut générer dans la vie d’un gosse.
Nous travaillons avec le doute permanent de la justesse de nos appréciations et des changements que nous mettons en mouvement dans les familles. Ce doute oblige sans cesse à s’interroger, à être vigilant, à rester en éveil. En intervenant en binôme, nous introduisons une pluralité de regards, de débat, de l’échange, et même parfois de la contradiction. A charge pour nous, qui sommes professionnels, de ne pas perdre nos interlocuteurs. Le binôme éducatif est une garantie pour la famille, une richesse et une sécurité pour chacun.
Bien qu’éprouvant des difficultés dans l’éducation de leurs enfants, les parents que nous recevons restent des sujets de droit. C’est au titre de cette responsabilité que nous tentons d’établir un dialogue avec eux. Il s’agit donc d’énoncer, d’expliquer, de clarifier, de réfléchir, de comprendre, d’évaluer… Il existe de nombreux types d’entretien (en face-à-face, au téléphone , individuel, en groupe…) plus ou moins directifs et de multiples techniques pour les mener ( la relance, la reformulation, la gestion du silence…). Leur connaissance et leur maîtrise sont une compétence essentielle des travailleurs sociaux. Mais une caractéristique commune les distingue d’une banale conversation : ils sont toujours au service d’un objectif déterminé. Dans tous les cas, c’est une étape importante sur le long chemin qui mène à l’épanouissement des mineurs en danger .
La famille présente également un avantage économique pour la collectivité. Supportant la charge des enfants, elle évite aux finances publiques de répondre à leurs besoins matériels d’encadrement, d’hébergement, de nourriture… En soutenant les liens familiaux, l’ AEMO se révèle une alternative plus économique qu’une mesure de placement. Elle coûte bien moins cher que le financement d’un accueil dans une institution habilitée.
De moins en moins de places d’accueil pour la protection de l’enfance, cela veut dire des enfants que l’on maintien dans leur familles dysfonctionnelles parce que la collectivité, c’est-à-die l’État et les conseils départementaux, ne donne pas les moyens suffisants à leur protection. Ainsi, derrière l’idéologie du tout-familial se cache aussi une histoire de finances publiques.
Une mesure d’action éducative en milieu ouvert ne suffit pas toujours à faire évoluer une situation. Il arrive que les parents, pour des raisons diverses et souvent complexes, rechignent aux changements nécessaires, qu’ils n’aient pas conscience de leurs propres dysfonctionnements ou refusent d’y remédier. Parfois les circonstances les empêchent de réagir ou ils sont enlisés dans une histoire personnelle trop douloureuse. Parfois les addictions, la précarité, la maladie, les mécanismes d’acculturation participent de leur difficulté d’être parents.
L’entretien à domicile et une technique professionnelle qui ne marche pas à tous les coups. Si elle permet d’observer les comportements domestiques tels qu’ils sont vécus et non pas tels qu’ils sont rapportés lors d’un entretien, si elle permet de constater les conditions de vie des enfants, elle peut également être vécue comme une intrusion et accentuer la fragilité psychique de certaines personnalités. Malgré tout son intérêt, ce n’est donc pas la panacée. Sa mise en œuvre doit se faire avec prudence et de manière réfléchie.
Un père, c’est une fonction.
Une fonction symbolique. Cette fonction paternelle est le plus souvent incarnée par le géniteur de l’enfant, c’est le cas le plus fréquent, mais pas nécessairement. Elle peut être peut être exercée par un autre. Ce sont a volonté d’assumer ce rôle et la sincérité de l’attachement à l’enfant qui comptent.
Il ne s’agit pas d’asséner des vérités universelles et des solutions éducatives prêtes à l’emploi . […] Nous les aidons en revanche les parents à trouver les réponses les mieux adaptées aux besoins de leurs enfants tout en leur demandant de réfléchir avec réalisme à la manière dont ils entendent les mener vers l’âge adulte.
C’est bien plus grave qu’il n’y paraît, car ces enfants seront en droit de nous demander, à tous, ce que nous avons fait pour eux. Prévenir et traiter les maltraitances est le meilleur atout dont nous disposons pour qu’ils deviennent des adultes épanouis et responsables. En ce sens, les enfants sont l’avenir des sociétés.