La cité dolente -
Laure Gauthier accompagnée par
Serge Teyssot-Gay
À quoi pourrait ressembler l'Enfer sur terre aujourd'hui ? En dialoguant avec
La Divine Comédie de
Dante,
Laure Gauthier dans
La cité dolente réinvente l'Enfer à partir du récit poétique d'un vieil homme anonyme qui s'enferme volontairement dans un hospice : il fuit notre monde où l'on est enseveli sous un flot constant d'images et d'objets et espère, depuis son EHPAD, trouver enfin le temps de penser à sa vie avant de mourir. Mais l'Enfer aujourd'hui, c'est bien de ne pas pouvoir nous retrancher ni respirer, ne pas parvenir à trouver le temps, même pas à l'orée de la mort.
Laure Gauthier, accompagnée du musicien
Serge Teyssot-Gay, expérimentent et tracent un chemin d'énergie : depuis la voix et la guitare électrique, l'autrice et le musicien arrivent à affronter la violence mais aussi à sonder profondément en nous pour y trouver l'énergie d'y résister : ils tentent d'inventer ensemble un mouvement pour « oser faire le choix de respirer, les pieds nus et les mains vides ».
« Il est des jours où je ne vois ni le soleil,
ni la lune
le regard est éduqué
pour rester à hauteur de vitrine ;
regard gondole, fausse vénétie. »
Laure Gauthier,
La cité dolente
À lire
Laure Gauthier,
La cité dolente, Lanskine, 2023.
Lumière par Iris Feix, son par Axel Bigot
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MAISON 2
Extrait 3
ai écrit « J'ai toujours été content et satisfait ... jusqu'à ce que l'homme vienne et m'apprenne à imiter, mais je ne savais pas ce que j'avais écrit ». Et cette phrase, les poètes la croient plus que toutes les autres.
Quelle merveille que l'énoncé dégoulinant d'ingénuité de l'enfant battu qui pleure le rassurant claquement du fouet, comme le placard était doux qui empêchait les horribles sons de la vie
Infans = nature ? Avez-vous vu des taureaux confiner le bœuf dans une mare, le noyer juste un peu, l'empêcher de sortir. Oui, j'ai vu les cadavres de lièvres à demi mangés par le père, certes, mais des lapins enfermés dans le terrier jusqu'à l'âge adulte ?
MARCHE I
extrait 4/4
Muré=sans expérience= cœur pur= verbe premier= poésie !
ai construit avec mes tuteurs mes premiers souvenirs, ai fait
album, fabriqué à mon corps défendant une chrchronologie
Sans fracas s’envole la maison des silences
Tout me laisse à présent,
Loin des pierres qui me regardent
Et vacille à la vie
Et tous ces yeux en la ville qui m’attend
Et l’écume de ses pourquoi
MAISON I
Extrait 2
ai marché en mastiquant une longue phrase,
mais n'avais que deux chevaux et des rubans, un habit, leur souvenir
et déjà votre ville avait trop d'objets et déjà vous vouliez les
oublier à moi
entends tinter l'éteint de toutes mes gamelles vides,
tout ce qui s'est cabossé sans le bruit
Mais entre l'os et le muscle il n'y a pas le cartilage du désir,
aucune de vos greffes ne prendra
Mais pourquoi croyez-vous que vos mots boucliers m'ont tué ?
ceux que ai récités face contre terrrrr,
une dizaine de mots dans mes mains en pleurs, mais la béance
sans mots de celui qui
se retirerait me laissant éternellement à marée basse, coquillage sans
eaux, entendre le bruit de la mère, faire oreille pour ma coquille vide
Motte d'amour, d'une voix sans visage qui s'est arrachée, on s'adressait à
moi, même pas besoin de visage. Mais pourquoi m'avoir ôté sa voix ?
Les corps caverneux
extrait 4
Une musique garde en mémoire un chant dans la grotte qui refait
surface et alors, te dis-je, capter tous les murmures et les mots que
cela appelle, debout ou assis dans le noir, dans la salle, à même
le sol, ces mots que l’on profère alors, enregistrés et retravaillés
dans le même temps, comme une coupole de verre vibrante qui
se poserait, à chaque fois différente, sur la cavité, une grotte qui
se reconstruirait au jaillissement des mots, dont l’empreinte se
marque, vivante, une écume de mots enterrés vifs qu’on déterre et
entre une brise
Libre de dire, avant l’usage pétrifié
L’écume qui sauve la mer,
La signature de l’être
…
RÉINVESTIR LA FORÊT…
Réinvestir la forêt, faire bosquet,
Et le taureau passe au loin, dans un bruissement de feuilles,
Inventer des clairières paisibles,
Ciel buriné, course de branchage, gris, de ces beaux gris secs d’hiver,
Où l’on avance le pied mou, accueilli par la mousse, la glaise ou la flaque,
Le tapis de sons humides,
Et de ces fossés récréatifs et puis les cimes, bien sûr.
Mais la foule ne s’y déplace qu’en groupe, au pas de courses, harnachée de vélos, de jeux ou de tenues d’escalades.
L’occidental a la forêt dominicale et diurne.
Oser regarder les troncs la nuit ?
Partir promener l’œil, se heurter aux branches, abandonner une jambe de pantalon, oublier le bruit du papier glacé, l’odeur d’encre des gros titres, quand l’on avance d’arbre en arbre dans la clarté retrouvée. Repeupler le bois.
Je ne songe pas à l’espace poilu entre les deux cornes, ces centimètres jamais caressés, je n’y planterai rien et aurai le courage de passer mon chemin.
MARCHE I
extrait 2/4
L’humidité m’a reconnu facilement,
l’agonie du réveil, l’impossible souvenir du gouffre premier,
le premier cri
du matin,
l’absence de caresses,
vagues de manque,
tête brumisée d’absences
d’où aurais appris que la souffrance se jette vers,
que la douleur a une direction
Aucun animal de ma taille ne passe l’horizon et n’en déduis rien, jamais.
Et la caresse de mes rubans qui hachurait la journée ?
traits de biais, ont strié la poussière de la cache
Encore mouillé de murmures, sans qu’il n’ait fallu se lever,
Alors que les questions n’étaient que des trous blancs
Qu’ils n’ont cessé de remplir
MAISON 2
Extrait 2
Et j connais désormais le mot chance, première trappe,
nouvelle souffrance d'un pompon de la vie que n'ai jamais su attraper, cramponné à la terrrrr,
jamais les bras au ciel, mais
c'est bien un seul tour de manège !
Lui parler du silence des pierres ?
MARCHE I
extrait 3/4
Mon silence
avait recouvert tous les bruissements de feuilles, tous les pas,
aucune étreinte
les pierres, même elles, se sont retournées à moi, et n’auront plus
jamais la force d’accueillir un enfant,
c’est intenable, pensaient-elles.
Et ignore forcément tout du mausolée de vers qu’on m’a dressé
toujours à nouveau, et
L’on s’agenouillera éloquent et mélancolique devant les taches
dans mes phrases à venir,
MARCHE I
extrait 1/4
Jl attrapp des images au vol, comme ils étouffent les papillons,
et tiens ma tristesse en bandoulière,
même des pierres ignorais le nom
ai tout vu là, pour la première fois.
Que de feuilles il y avait, soudain
et tous ces vents qui bruissèrent alors dans mes silences
moi qui n’ai vu que murs et porte
sans savoir que les uns retiennent et l’autre ouvre
sans l’éprouver
J’écris toujours dans la neige
Extrait 2
voix de villon, de loin
je blanc, suis arrivé te voir
à sept ans les mains vides
suis resté dans le murmure au chaud
près de toi, à chuchoter tout /
ce que je n’avais pas
Et à me balader léger sans obsession patrimoniale
Léguer, c’est dilapider / lapider ses biens / pour les entendre résonner
vides