Avec ce qu’il avait subi dès le plus jeune âge, il était devenu une sorte d’expert : la raillerie, ce qui la motivait et ses rouages blessants, n’avaient plus de secret pour lui. A l’école primaire, ses camarades ne l’avaient guère épargné. Les particularités de sa personnalité, ses fantaisies, avaient attiré les moqueries comme un aimant. La cruauté des chérubins est infinie… Il y en a un qui décide de ce qui dérange, la forte tête, celle que les autres admirent et en groupe, on écrase ce que l’on ne maîtrise pas. En tout cas on essaye. La compassion est une invention philosophique. La loi du plus fort une nature.
Le silence.
Le silence était la première chose qui frappait, lorsque l’oreille forgée à coups de nuisances sonores, redécouvrait ce monde transfiguré. Il n’y avait qu’à attendre, la conque en éveil, que l’ouïe repolie perçoive les milliers de voix, dont on n’écoutait plus jadis le râle, étouffé par les moteurs, les glapissements des jeanfoutres et les boums-boums harassants. Alors s’élevaient dans l’air le discours des vents, grondant la pluie parce qu’elle tombait en retard, les copulations débridées des batraciens, maintenant que les engins puants à deux ou quatre roues ne massacraient plus les mares, le murmure des buissons frétillants, les tirades amoureuses, les chants d’oiseaux, mirlitons du ciel et harpes ondines… La vie.
Il avait grandi avec la dureté des déconsidérés et la vacherie des nécessiteux.
Laure Guymont - Le mystère Angèle Donnadieu
« Les lois de la nature sont absolues et immuables. Elles déterminent des relations universelles entre des classes de phénomènes, qu’elles sont à même d’expliquer et de prédire. »
« Expliquer et prédire », nous y voilà…
Les lois de la nature sont une construction humaine, une bifurcation de la foi.
D’obscur et terrible, pantin vengeur dans les mains d’une ou plusieurs divinités, l’univers est devenu matrice, avec l’expansion de la science.
Un édifice immuable de codes à décrypter, assembler, exploiter.
Les lois de la nature sont faillibles. Parce qu’elles sont humaines.
Le grand Newton ancra ses lois dans un espace, un temps absolus. Puis naquit Einstein, et la tempête relativiste effondra l’édifice. L’absolu, l’immuable n’existent pas.
Les lois de la nature sont une quête humaine. Une quête de contrôle.
L’homme créa la foi pour dompter ses peurs, puis les lois pour dompter son monde.
La nature elle, est sans foi ni loi.
La représentation hiérarchique de la vie sur Terre, vue par l’homme, ressemblait à une pyramide de la mort, chaque segment encapsulant le tueur de l’étage précédent. La vie selon l’humain, était un jeu de la destruction : impitoyable, sanguinaire, où l’on survivait en massacrant ses inférieurs.
Les lois de la survie posa Pierre, contraignaient le nouveau-né à dépendre physiologiquement de sa mère, et ce fait avéré, passé à la moulinette du psychisme, allait conditionner les émotions de l’adulte en gestation. Toute sa vie, avec plus ou moins de succès, l’être humain allait partir en quête de relations lui procurant ce bien-être, cette sécurité et ce réconfort qui l’avaient ou non, bercé durant son enfance, mais dont le besoin irrépressible s’exprimerait toujours. Acculé, il devrait jouir et se désespérer des affections et pertes qui parsèmeraient sa route : une existence à se leurrer, à se repaître et à pleurer des substituts nourriciers...
Et quand l’être chéri qui tenait ce rôle venait à disparaître, alors c’était l’avènement du vide, du manque définitif, le règne de l’impuissance, des épitaphes muselés.
« C’est drôle. Je suis là, à ta merci, immobile et consentante. J’ignore pourquoi j’ai rampé ces quelques mètres, quel instinct stupide m’a poussée à te fuir, toi que j’ai réclamée. Toi, fidèle, persévérante, prends-moi. Un instant encore, que je crache ces dernières bribes de vie qui me suffoquent et je suis à toi. C’est toi que j’épouse, mon répit éternel, sans regrets ni remords.»
Son assassin lui offrait ce dont son amant l’avait toujours privée : la sérénité du corps, la félicité de l’âme. La jeune fille s’étourdit de ce délicieux présent et expira, libre.